Vous lisez : Congédiement sans cause juste et suffisante

Le recours à l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante est apparu en 1980 avec l’adoption de la Loi sur les normes du travail (LNT) [1]. À cette époque, le législateur désirait protéger l’emploi du salarié justifiant d’au moins cinq ans de service continu[2] chez un même employeur.

L’article 124 de la LNT est venu limiter de manière importante le droit de gérance de l’employeur, puisque ce dernier ne pouvait dorénavant plus congédier ses salariés selon son bon vouloir en s’exposant uniquement à devoir payer une indemnité financière. En effet, depuis 1980, l’employeur qui congédie un salarié sans avoir de cause jugée juste et suffisante s’expose à devoir le réintégrer dans son poste, et ce, avec pleine indemnisation.

En 36 ans, la jurisprudence a fait évoluer la notion de congédiement sans cause juste et suffisante, mais les remèdes, eux, sont demeurés les mêmes. Voici un bref état des lieux, appuyé par quelques exemples.

Les remèdes offerts
N’ayant subi que des modifications de concordance depuis 1981, l’article 128 de la LNT prévoit les pouvoirs du tribunal chargé de l’application de l’article 124 de la LNT :

128. Si la Commission des relations du travail[3] juge que le salarié a été congédié sans cause juste et suffisante, elle peut :

  1. ordonner à l’employeur de réintégrer le salarié;
  2. ordonner à l’employeur de payer au salarié une indemnité jusqu’à un maximum équivalant au salaire qu’il aurait normalement gagné s’il n’avait pas été congédié;
  3. rendre toute autre décision qui lui paraît juste et raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances de l’affaire.

Cependant, dans le cas d’un domestique ou d’une personne dont la fonction exclusive est d’assumer la garde ou de prendre soin d’un enfant, d’un malade, d’une personne handicapée ou d’une personne âgée, la Commission des relations du travail ne peut qu’ordonner le paiement au salarié d’une indemnité correspondant au salaire et aux autres avantages dont l’a privé le congédiement.

Ce sont des pouvoirs à visée réparatrice dont l’objectif consiste à replacer le salarié dans la situation où il aurait dû se trouver, n’eût été le congédiement fautif.

La réintégration
Même en 2016, la réintégration du salarié dans son poste et dans les mêmes conditions demeure la norme. Elle doit être ordonnée, sauf exception. Le salarié peut y renoncer, mais l’employeur ne peut refuser de le reprendre à son service s’il y est contraint par le Tribunal. Il risquerait alors d’être condamné pour outrage au Tribunal.

L’employeur peut toutefois tenter de faire la démonstration que la réintégration est :

  • impossible : l’entreprise est fermée, le salarié est devenu inapte physiquement à occuper son poste ou le salarié n’est plus titulaire du permis requis;
  • problématique : lorsque le salarié a contribué à la faute ou a démontré qu’il ne s’améliorera pas;
  • illusoire : dans le cas d’une dégradation des relations interpersonnelles du salarié avec la direction ou les collègues;
  • inappropriée : lorsque la relation de confiance d’un côté ou de l’autre a été irrémédiablement brisée et est nécessaire à l’emploi ou que le comportement des parties après le congédiement a rendu la collaboration impossible (poursuites, menaces ou diffamation).

Il s’agit d’exemples de motifs que la jurisprudence a retenus afin de faire échec à la demande de réintégration. Généralement, la réintégration est alors remplacée par une indemnité financière. Cette indemnité vise à dédommager le salarié pour la perte de son emploi stable, puisqu’il devra recommencer ailleurs et n’obtiendra une certaine sécurité d’emploi qu’après avoir acquis de nouveau deux ans de service continu. Cette indemnité s’ajoute au remboursement du salaire perdu.

Le remboursement du salaire perdu
Le salarié sera généralement indemnisé pour le salaire dont il a été privé en raison de son congédiement, et cette indemnité n’est pas réservée aux cas où la réintégration est ordonnée. Le calcul doit tenir compte de la rémunération globale du salarié, y compris les primes dont il aurait bénéficié s’il était demeuré en poste. L’indemnité devrait couvrir la période allant du congédiement jusqu’à la réintégration ou à la date du jugement, selon le cas, si la réintégration n’est pas ordonnée.

De cette somme, il faut déduire tout le salaire que le salarié a gagné auprès d’un autre employeur pendant cette même période, puisque l’employeur doit replacer le salarié dans la situation où il aurait dû se trouver, sans plus.

L’employeur pourrait également demander au Tribunal de réduire la somme due au salarié en vertu du principe de la mitigation des dommages[4]. En effet, le salarié congédié doit agir afin de ne pas aggraver le préjudice qu’il subit. Ainsi, il doit faire des efforts raisonnables en vue de se chercher un emploi comparable et ne doit pas refuser une offre d’emploi qui, dans les circonstances, est raisonnable.

La Cour d’appel[5] a toutefois récemment nuancé l’application de ce principe de droit civil en matière de recours en congédiement sans cause juste et suffisante. Dans cette affaire, la Commission des relations du travail n’avait accordé au salarié aucune indemnité salariale au motif que ce dernier n’avait fait aucune recherche d’emploi depuis son congédiement. La Cour d’appel accueille en partie le pourvoi et ordonne que le salarié soit indemnisé malgré le fait qu’il n’ait pas recherché d’emploi. On peut lire au paragraphe 110 de l’arrêt que « [le salarié] n’a pas à remuer mers et mondes pour tenter de se trouver un autre emploi le plus rapidement possible, le standard étant celui des efforts raisonnables ». Dans les circonstances, la Cour d’appel estime que les recherches n’auraient sans doute pas porté fruit de toute façon.

La Cour d’appel souligne aussi que l’article 124 LNT est un recours particulier qui vise d’abord et avant tout la réintégration du salarié et que cet objectif doit être considéré lorsqu’on analyse les efforts qu’il a déployés afin de se trouver un emploi en attendant sa réintégration, qu’il l’obtienne ou non. « De façon générale, même l’absence d’efforts de mitigation, dans le contexte d’un congédiement, justifiera très rarement la privation complète de toute indemnisation »[6].

Toute autre ordonnance juste et raisonnable
Le Tribunal dispose d’une large gamme de mesures qu’il peut ordonner afin de rétablir le salarié dans ses droits, et en la matière, la jurisprudence regorge d’exemples allant des plus communs aux plus particuliers.

Lorsque la réintégration est ordonnée, le Tribunal peut déterminer des mesures à prendre afin de faciliter le retour du salarié absent depuis parfois quelques années. Il peut s’agir d’aménager le poste ou l’horaire de travail ou d’ordonner à l’employeur de veiller à la mise à niveau de la formation du salarié ou de la financer.

Dans le cas où la réintégration est jugée impossible, le Tribunal peut ordonner à l’employeur de fournir au salarié une lettre de recommandation, et peut même lui en dicter la teneur. Il s’agit ainsi de faciliter l’obtention d’un nouvel emploi pour le salarié congédié injustement.

Le Tribunal peut également substituer une autre mesure disciplinaire qu’il juge raisonnable dans les circonstances au congédiement qui, lui, était abusif.

Le salarié peut bénéficier du remboursement de certaines dépenses qu’il a dû assumer en raison du congédiement fautif : les frais engagés dans le cadre de ses recherches d’emploi, les honoraires de son avocat, les frais d’assurance qu’il a dû assumer en perdant le régime offert chez l’employeur, etc.

Le Tribunal peut aussi indemniser le salarié pour la perte de certains avantages que lui procurait son emploi, comme la cotisation à un fonds de pension ou à un REER et l’utilisation d’une automobile de fonction.

Lorsque la situation s’y prête, le Tribunal peut également condamner l’employeur à verser au salarié une indemnité pour les dommages moraux qu’il a subis en raison du congédiement. Si ses droits fondamentaux ont été brimés, le Tribunal détient également le pouvoir d’ordonner le paiement d’une indemnité pour dommages punitifs et exemplaires.

Le maintien de l’emploi
En conclusion, nous pouvons constater que l’objectif premier du recours à l’encontre d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante demeure le même qu’au jour de son adoption. Malgré l’évolution du monde du travail et l’allongement des délais liés à l’exercice du recours lui-même, les tribunaux privilégient le maintien de l’emploi stable et l’indemnisation intégrale du salarié.

Source : VigieRT, février 2016.


1 RLRQ, c. N-1.1.
2 Le recours est désormais ouvert aux salariés détenant deux ans de service continu.
3 Depuis le 1er janvier 2016, elle a été remplacée par le Tribunal administratif du travail (ci-après « le Tribunal »).
4 Ce principe découle de l’article 1479 du Code civil du Québec, L.Q. 1991, c. 64.
5 Carrier c. Mittal Canada inc., 2014 QCCA 679.
6 Id., par. 111.
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