Dans les cas de vol au sein d’une entreprise, généralement, les employeurs sont d’avis que le recours à un congédiement est automatiquement justifié, plus que toute autre mesure. Pourtant, lorsqu’il est convaincu d’avoir été victime d’un vol de la part de son employé, l’employeur aurait tout avantage à faire une enquête interne et à s’assurer qu’il dispose de tous les éléments de preuve nécessaires avant de procéder au congédiement.
C’est précisément ce à quoi a dû faire face l’employeur dans l’affaire Monir Sheikh Hosseini Moghtader c. 9151-4471 Québec inc.[1], puisque la Commission des relations du travail a accueilli la plainte en congédiement pour cause juste et suffisante d’une employée au motif d’insuffisance de la preuve de vol.
L’employeur, propriétaire d’une clinique dentaire, a constaté une situation irrégulière dans la perception de ses honoraires payés en argent comptant par la plaignante qui occupe le poste de secrétaire-réceptionniste. Dès le lendemain de sa découverte, laquelle s’est produite alors que la plaignante était absente, l’employeur a rencontré cette dernière dans le but d’obtenir sa version des faits et de faire la lumière sur cette situation.
La particularité de ce dossier réside certainement dans la preuve complètement contradictoire présentée par les deux parties relativement à cette fameuse rencontre qui, ultimement, a mené au congédiement de la plaignante.
D’une part, l’employeur allègue à l’audition que la plaignante a avoué son stratagème de vol des honoraires payés en argent comptant et qu’elle a proposé d’emblée de tout rembourser. D’ailleurs, l’employeur dépose lors de l’audition deux messages textes qui, selon lui, corroborent sa version des faits, puisque l’un d’eux indique : « I did that out of compulsion and not betrayal or indecency and I say againt hat I wanted to return it ». Considérant cela comme des aveux de la plaignante, l’employeur l’a congédié sur-le-champ et a procédé par la suite à une enquête plus approfondie.
D’autre part, la plaignante, qui allègue avoir été sous le choc, nie complètement avoir fait de tels aveux. D’ailleurs, elle mentionne avoir reçu une gifle de la part de l’une de ses supérieures et dépose, en sus de la plainte pour congédiement sans cause juste, une plainte pour harcèlement psychologique. Cette plainte n’a toutefois pas été accueillie par la Commission.
L’employeur a donc continué son enquête après le congédiement et a mis en preuve pas moins de 59 extraits de dossiers de patients pour soutenir les allégations de vol. La preuve a également révélé qu’une plainte à la police avait été déposée et que sa compagnie d’assurance lui a remboursé la somme de 18 000 $ à la suite de ses propres vérifications comptables.
Comme les conditions d’exercice du recours en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, L.R.Q. c. N-1.1, étaient remplies, il appartenait à l’employeur de démontrer par preuve prépondérante une cause juste et suffisante de congédiement.
La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt F.H. c. McDougall[2], soulignait que la preuve prépondérante doit être suffisamment claire et convaincante afin de permettre au juge de conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités. Même si la cause de congédiement alléguée concerne une allégation d’infraction pénale ou criminelle, le fardeau de preuve demeure le même[3].
La Commission analyse donc la preuve qui lui a été présentée en l’espèce, mais constate que l’employeur ne remplit pas ce fardeau de preuve.
En effet, selon la Commission, la preuve documentaire déposée est incomplète et peu fiable puisqu’elle est constituée d’extraits de dossiers et de relevés informatiques incomplets.
Également, la Commission est d’avis que cette preuve documentaire a été manipulée sans qu’il soit possible de déterminer exactement par qui, et ce, après que le congédiement soit survenu. La Commission mentionne que la démonstration faite sur le plan des entrées de données concernant le paiement des honoraires par le truchement des différents journaux de recettes ou d’autres documents comptables n’est pas plus concluante. Selon la Commission, « si la plaignante a effectivement omis d’entrer des paiements au système informatique, elle n’est pas la seule à le faire. Et si elle l’a fait, l’employeur a mis bien du temps avant de s’en inquiéter. »
Sur cet élément, il faut mentionner que la preuve présentée par l’employeur soutient qu’il dispose de méthodes de travail afin de s’assurer que tous les honoraires perçus à la clinique sont correctement inscrits dans les registres. Au surplus, il affirme que des vérifications fréquentes sont effectuées, et des mécanismes qui permettent d’assurer l’intégrité du système sont disponibles. C’est donc vraisemblablement en raison de cette preuve que la Commission est d’avis que les lacunes ou irrégularités soulevées à la clinique auraient probablement dû être détectées auparavant.
Il est également intéressant de constater que la Commission accorde une faible valeur probante aux messages textes déposés qui, selon cette dernière, ne contiennent aucun véritable aveu de la plaignante. Tout au plus, un de ses deux messages mentionne de retourner quelque chose, mais cela ne signifie pas qu’il s’agit de l’argent.
La Commission est d’avis que la preuve testimoniale n’est pas plus convaincante, puisqu’elle ne contient que du ouï-dire, soit des paroles rapportées de patients qui ne sont pas venus témoigner lors de l’audition. La crédibilité de certains témoins est également mise en doute.
En résumé, la Commission conclut que la preuve de vol étayée par l’employeur repose essentiellement sur l’addition d’éléments indirects et ne saurait constituer une preuve prépondérante, puisqu’en l’espèce, la preuve a révélé que d’autres personnes auraient pu s’approprier des sommes présumées disparues. La plaignante n’était pas la seule à avoir accès aux différents registres ni aux dossiers des patients.
Cette décision est fort intéressante, car elle démontre l’importance pour l’employeur de mener à bien une enquête interne avant le congédiement afin de s’assurer que la preuve lui permettra de défendre suffisamment toute plainte subséquente qui pourrait être déposée.
Dans le présent cas, l’employeur, alléguant que la plaignante a avoué avoir pris les sommes d’argent, l’a congédiée sur-le-champ. Or, le dossier s’est déroulé tout autrement, car la plaignante a toujours nié cette version des faits par la suite et l’employeur, qui l’avait congédiée sans avoir préalablement pris certaines mesures, s’est retrouvé aux prises avec un fardeau de preuve dont il n’a pu s’acquitter.
Il est certes facile après coup d’analyser un dossier et de donner un avis sur ce qui aurait pu ou aurait dû être fait. Néanmoins, on peut retenir de cette décision qu’un employeur ne doit pas outrepasser certaines étapes dans sa décision de congédier un employé pour un vol. Dans un tel cas et malgré la présence d’aveu présumé, il peut suspendre l’employé pendant l’enquête, le temps de compléter son enquête interne et d’obtenir sa version des faits par écrit. Ensuite, il peut prendre la décision d’imposer une autre mesure selon l’évaluation qu’il aura faite des facteurs aggravants ou atténuants.
Dans la présente affaire, la Commission n’a pas eu à évaluer la justesse de la mesure qui a été imposée, car elle a conclu que les faits ayant mené au congédiement n’avaient pas été prouvés par prépondérance.
*Au moment de la rédaction de la présente, aucune requête en révision n’a été déposée et le délai pour ce faire n’est pas encore expiré.
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1 | 2012 QCCRT 0372. |
2 | [2008] 3 R.C.S. 41. |
3 | Bablouzian Hajjar c. 2738-3538 Québec inc., 2010QCCRT 0366. |