La Cour suprême a rendu récemment un arrêt visant plus de 500 000 travailleuses et travailleurs canadiens non syndiqués employés par des organisations de juridiction fédérale (banques, secteurs des télécommunications et des transports, ainsi que certaines sociétés de la Couronne). Elle a ainsi mis un terme à la controverse qui existait à l’égard du recours en congédiement injustifié prévu par les articles 240 à 246 du Code canadien du travail[1] (« CCT »). Cette décision vient marquer un tournant important dans l’arbitrage en matière de congédiement injustifié.
Le régime prévu aux articles 240 et suivants du CCT offre des protections semblables à celles dont jouissent les employés protégés par une convention collective et vise les employés non syndiqués ayant travaillé sans interruption pendant 12 mois. Pour les entreprises québécoises, un parallèle peut être fait avec le recours pour congédiement sans cause juste et suffisante prévu à l’article 124 de la Loi sur les normes du travail. L’arbitre saisi d’une plainte pour congédiement injuste est investi de larges pouvoirs de réparation, notamment de la réintégration.
L’arrêt Wilson[2] vient trancher un sujet qui divise la jurisprudence arbitrale depuis l’introduction de l’article 240 CCT. Depuis lors, deux principaux courants de pensée s’affrontaient :
(i) Les employeurs de juridiction fédérale peuvent légalement congédier une personne salariée non syndiquée sans motif au moyen d’un préavis, et ce, sans qu’elle puisse bénéficier du recours prévu à l’article 240 CCT pour contester son congédiement.
(ii) Les employeurs de juridiction fédérale ne peuvent légalement congédier une personne salariée non syndiquée sans motif, même en lui payant un préavis. Elle pourra maintenant bénéficier du recours prévu à l’article 240 CCT pour contester son congédiement. Si l’employeur n’est pas en mesure de prouver une cause « juste » de congédiement, l’arbitre pourra appliquer une variété de remèdes, dont la réintégration de la personne salariée.
Par ailleurs, la première tendance était essentiellement recensée dans les autres provinces.
I - Retour sur les faits
Le salarié est employé par Énergie atomique du Canada pendant quatre ans et demi. Le 16 novembre 2009, il est congédié sans cause. L’employeur lui offre une indemnité de départ de 6 mois de salaire qualifiée de très généreuse par rapport aux 18 jours de préavis légal auquel il avait droit en vertu du CCT. Malgré cela, l’employé dépose une plainte pour congédiement injustifié en vertu de l’article 240(1) CCT, alléguant avoir été congédié sans cause.
II - Instances inférieures
- Décision de l’arbitre
L’arbitre reconnaît l’existence des deux courants arbitraux relativement au congédiement injustifié. Il mentionne qu’un employeur ne peut se soustraire à l’application du CCT en versant une indemnité de départ bien que cette dernière soit généreuse. Il détermine que l’employeur n’avait pas de cause pour congédier le salarié et conclut que le renvoi sans cause d’un employé constitue automatiquement un congédiement injustifié en vertu de l’article 240 CCT.
- Décision de la Cour fédérale
Selon la Cour fédérale, le congédiement sans cause est légal s’il n’est pas injuste. Elle conclut que les articles prévoyant le préavis légal n’auraient pas été introduits si seul le congédiement pour cause était autorisé, et le législateur aurait clairement exprimé son désir de créer un tel régime si c’était le cas.
- Décision de la Cour d’appel fédérale
La Cour d’appel fédérale confirme le jugement de la Cour fédérale en reconnaissant l’existence d’un débat dans la jurisprudence arbitrale à ce sujet. La Cour est d’avis que les dispositions du CCT ne donnent pas ouverture à l’existence d’un droit au travail comparable à celui dont bénéficient les employés syndiqués. Les articles prévoyant le préavis légal permettent au contraire à l’employeur de renvoyer un membre du personnel sans cause pour autant qu’il lui accorde un préavis ou une indemnité en tenant lieu.
III - Décision de la Cour suprême
Le plus haut tribunal du pays devait déterminer si un congédiement sans cause assorti d’une indemnité de départ généreuse équivaut à un congédiement injuste au sens du CCT.
Selon la Cour, il est évident que le législateur entendait donner aux employés fédéraux non syndiqués des droits en cas de congédiement qui sont « certainement analogues à ceux des employés syndiqués »[3]. À cet égard, elle rappelle que « les employés visés par une convention collective sont protégés contre le congédiement injuste; ils ne peuvent être congédiés que pour une juste cause. Il incombe à l’employeur de fournir les motifs démontrant en quoi le congédiement est justifié, et l’employé jouit d’importantes mesures de réparation, dont la réintégration dans l’emploi et des mesures disciplinaires progressives »[4].
La Cour suprême confirme que la décision de l’arbitre n’était pas déraisonnable et réitère que les employeurs de juridiction fédérale ne peuvent pas se soustraire aux dispositions relatives au congédiement injuste uniquement en octroyant l’indemnité légale dont le calcul est prévu aux articles 230 et 235 du CCT ou en donnant une indemnité de départ généreuse.
Dans ce contexte, les salariés pourront bénéficier du recours prévu à l’article 240 du CCT pour contester la légalité d’un congédiement, et ce, même si l’employeur a versé le préavis légal ou une indemnité substantiellement supérieure à ce dernier. Autrement dit, les employeurs de juridiction fédérale sont tenus de démontrer une juste cause de congédiement.
Selon la Cour suprême, il s’agit d’une interprétation cohérente des dispositions du CCT qui respecte l’intention du législateur, la jurisprudence arbitrale majoritaire et les pratiques répandues dans le domaine des relations de travail[5]. Elle ajoute que « l’autre interprétation, suivant laquelle le versement d’une indemnité de départ suffit, n’appartient pas aux "issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit", car elle mine complètement l’objet du régime en permettant aux employeurs, à leur choix, de priver les employés de l’ensemble intégral des mesures de réparation créées par le Parlement à leur intention »[6].
Par ailleurs, la Cour revient sur le débat jurisprudentiel arbitral traité par les instances inférieures. Selon les éléments dont elle dispose, le désaccord qui perdurait depuis au moins une vingtaine d’années serait formé tout au plus de 18 affaires sur plus de 1 700. Elle accorde donc peu d’importance à ce courant en mentionnant que « l’on parle ici d’une goutte d’eau dans la mer qu’on tente d’élever à une séparation des eaux jurisprudentielles »[7].
IV – Constats
La décision de la Cour suprême s’inscrit dans la même lignée que celle du droit provincial québécois, c’est-à-dire qu’un congédiement ne peut être effectué que pour une cause juste et suffisante. En effet, le droit québécois ne donne pas ouverture à la possibilité de congédiements « sans cause ».
Les employeurs fédéraux devront maintenant s’adapter dans la gestion de leurs relations de travail. À cet égard, ils devront être plus vigilants notamment dans les 12 mois qui suivent l’embauche d’un membre du personnel, puisque ce dernier ne pourra bénéficier du recours prévu à l’article 240 CCT avant cette date. Ainsi, une personne salariée n’ayant pas atteint le seuil des 12 mois d’ancienneté pourrait être congédiée sans cause, pourvu qu’elle reçoive le préavis de fin d’emploi prévu au CCT ou l’indemnité en tenant lieu. Une fois le seuil d’ancienneté franchi, le membre du personnel pourra bénéficier du recours prévu à l’article 240 CCT lorsque son employeur décide de le congédier sans cause. Autrement dit, les employeurs devront évaluer davantage les conséquences légales et financières s’ils désirent congédier sans cause un membre du personnel ayant plus de 12 mois d’ancienneté.
Il faut noter que la décision de la Cour suprême ne fait pas obstacle à la possibilité qu’a un employeur de congédier avec cause un membre du personnel. L’employeur et la personne salariée peuvent tout de même s’entendre sur une fin d’emploi au moyen d’une entente mutuelle assortie d’une quittance où cette dernière pourrait recevoir une contrepartie pécuniaire. Toutefois, il est à prévoir que l’arrêt Wilson donnera manifestement un argument supplémentaire aux salariés, puisque si les négociations échouent, la personne congédiée pourra se prévaloir du recours prévu au CCT.
Source : VigieRT, septembre 2016.
1 | LRC 1985, c L-2. |
2 | Wilson c. Énergie atomique du Canada ltée, 2016 CSC 29 |
3 | Ibid au para 44. |
4 | Ibid au para 51. |
5 | Ibid au para 69. |
6 | Ibid au para 39. |
7 | Ibid au para 61. |