Dans le cadre du congédiement d’un dirigeant ou d’un cadre, l’entreprise ou l’organisme s’expose-t-il à une plainte en congédiement injuste en vertu du Code canadien du travail (ci-après C.c.t.)?
Il importe d’abord de préciser que la Partie III du C.c.t., qui inclut le régime applicable en matière de congédiement injuste prévu aux articles 240 à 246[1], ne s’applique qu’aux entreprises fédérales telles qu’elles sont définies par l’article 2 du C.c.t., sauf exception.
Le régime applicable en matière de congédiement injuste ne s’applique pas aux employés qui occupent un poste de « directeur », et ce, en vertu de l’article 167 (3) du C.c.t.
On comprend aisément que la définition de ce qu’est un « directeur » est cruciale et qu’elle n’est pas toujours limpide, tout comme l’exception de « cadre supérieur » prévue à la Loi sur les normes du travail en droit québécois.
Cette question a récemment été soumise à la Cour fédérale dans le cadre de l’affaire Torre[2]. Dans ce litige, une employée avait été congédiée, car on lui reprochait d’avoir contrevenu aux règles de confidentialité de la banque. Cette dernière avait pour principales tâches de :
- Contribuer à réaliser les objectifs d’entreprise du centre bancaire;
- Diriger, encadrer et veiller au perfectionnement des employés;
- Maximiser la capacité opérationnelle du centre bancaire;
- Gérer le risque et s’assurer que des politiques, des procédures et des contrôles sont en place pour réduire le risque de fraude, de contrefaçon et de pertes irrécouvrables;
- S’assurer de la conformité à la réglementation;
- Veiller à ce que les programmes et politiques soient appliqués de façon uniforme dans l’ensemble de l’entreprise.
L‘employeur a invoqué de façon préliminaire l’objection selon laquelle l’employée devait être considérée comme une « directrice » et que, par conséquent, elle ne pouvait se prévaloir des dispositions du C.c.t. pour un congédiement injuste. L’arbitre, initialement saisi du cas, de même que par la suite, la Cour fédérale en contrôle judiciaire, sont tous deux parvenus à la conclusion que l’employée n’était pas une « directrice » au sens du C.c.t.
Cette question requiert une brève analyse des principes sous-jacents à cette exception de « directeur » et de l’application qu’en font les tribunaux et les arbitres.
Objectif de l’exception et fardeau de la preuve
L’objectif du C.c.t.[3] lors d’un congédiement injuste est de protéger les employés ne bénéficiant pas d’un soutien syndical ou n’occupant pas un poste de dirigeant les plaçant dans un rapport de force plus équitable avec l’employeur :
« In my opinion, the provisions of Division V.7 were promulgated in 1978 to provide a remedy for dismissed employees who found themselves in this legal no man's land, this grey area between unionized employees and the managers of an enterprise, who truly hold the decision-making powers.[4] »
C’est par l’application de l’article 167 du C.c.t. que ceux qui sont qualifiés de directeurs se voient privés des mesures de protection.
S’agissant d’une exception au régime général, c’est à l’employeur soulevant cette exception que revient le fardeau de démontrer que l’employé occupait un poste de directeur, tel que l’expose la Cour fédérale dans l’affaire Wygant :
« 20. J'estime que, comme dans le cas d'une allégation de défaut de compétence d'un arbitre en raison d'une suppression de poste, une charge de preuve semblable repose sur l'employeur qui allègue, surtout après coup, un défaut de compétence parce que l'employé était un directeur au moment de sa cessation d'emploi. »
Critères et principes
L’expression « directeur » (« managers » dans la version anglaise de la Loi) n’est pas définie par la Loi ou les règlements. Toutefois, la doctrine et la jurisprudence constantes retiennent une interprétation restrictive de cette notion et ainsi, évitent de l’étendre à toutes les personnes qui occupent un poste de « direction ». L’analyse ne se limite pas au titre ou à la description des tâches de l’employé, mais elle doit consister en une analyse factuelle des tâches réellement effectuées. La taille et la structure de l’organisation seront considérées.
Les tribunaux judiciaires et les arbitres s’entendent généralement pour se guider à l’aide des critères et des principes suivants tels qu’ils sont répertoriés dans la décision Ferris[5] :
- Pouvoir de prendre des décisions sans appel pouvant entraîner des conséquences significatives pour l’employeur;
- Pouvoir d’agir de façon indépendante et autonome. L’employé peut relever d’un supérieur hiérarchique, mais doit pouvoir agir à sa discrétion;
- Pouvoir de participer à l’élaboration des politiques de l’entreprise relatives à des sujets importants pour l’employeur. Cette participation ne doit pas se limiter à la rédaction des politiques, mais bien porter sur leur élaboration;
- Pouvoir de participer aux décisions budgétaires de l’entreprise;
- Pouvoir d’embauche, de congédiement, de promotion, de rétrogradation, d’évaluation et de discipline sur les employés sous sa supervision;
- Participation aux procédures de griefs et à la négociation de conventions collectives;
- Pouvoir d’engager l’employeur dans l’exécution d’obligations, comme par exemple, le pouvoir de conclure des contrats au nom de l’employeur.
Autonomie
Comme l’enseigne la Cour fédérale dans l’affaire Torre, lors de l’analyse des critères énumérés précédemment, l’autonomie décisionnelle et l’absence de subordination de l’employé congédié constituent des éléments essentiels à sa qualification à titre de « directeur » :
« [32] […] En l’espèce, le tribunal pouvait raisonnablement conclure, à la lumière de la preuve au dossier, que la défenderesse avait peu d’autonomie en pratique; elle suivait les directives de la banque en matière de discipline, d’embauche, de congédiement, d’établissement des horaires et des salaires, et ce, de manière à ce que les objectifs de la succursale soient rencontrés par le personnel en place. Par conséquent, le rôle de la défenderesse ressemblait donc beaucoup plus à celui d’un superviseur ou d’un surveillant qu’à celui d’un “directeur”. Le tribunal a donc compétence pour entendre la plainte de la défenderesse. »
Double test
L’ensemble de ces critères vise à s’assurer que l’employé congédié occupe réellement des fonctions de direction tant sur le plan opérationnel que sur le plan administratif, ainsi, tel que le souligne la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Lee-Shanok[6] :
« The reality of the situation was that he functioned simply as the sole foreign exchange trader, a role of an operational rather than administrative nature. I fail to see how his job contained the administrative element which I consider the term “manager” requires. »
Ce double test s’avère contraignant, car il arrive fréquemment que des employés hauts placés au sein d’une entreprise ou d’un organisme cumulent plusieurs tâches opérationnelles dans leur champ d’activité, mais qu’ils ne participent pas à l’administration au sens où l’entendent les tribunaux et les arbitres. Retenons d’ailleurs les cas suivants où les employés congédiés n’ont pas été reconnus comme occupant une fonction de direction :
Conclusion
En définitive, l’interprétation restrictive de la notion de « directeur » est conforme à l’objectif qui la sous-tend, soit que ceux qui seront reconnus à titre de « directeurs » disposent d’autres moyens pour se défendre contre leur employeur que ceux prévus au C.c.t. dans le cas où ils estiment avoir été congédiés injustement.
Source : VigieRT, novembre 2011.
1 | Une particularité préliminaire du régime fédéral est que douze mois de service continu permettent de déposer une plainte en congédiement injuste en vertu de l’article 240 C.c.t. |
2 | Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Torre, 2010 CF 105. |
3 | Code canadien du travail, L.R.C., 1985, c. L-2, Partie III, Section XIV, art. 240 à 246. |
4 | Gill c. Banque Nationale du Canada, 5 novembre 1981, 11° 56, non rapportée, à la p. 12. |
5 | Ferris c. Big Freight Systems Inc., [2008] C.L.A.D. No 58. |
6 | Lee-Shanok c. Banca Nazionale Del Lavoro, [1987] 3 F.C. 578 (C.A.F.). |
7 | Lorenz c. Air Canada, [2000] C.L.A.D. No 139. |
8 | P.G. Canada c. Gauthier, [1980] 2 C.F. 393 (C.A.F.). |
9 | Lightning v. Muskwachees Fire & Ambulance Authority Ltd., [2001] C.L.A.D. No 168. |