Vous lisez : Compte-rendu des relations du travail devant les tribunaux

En 2010, la Commission des relations de travail (CRT) a reconnu l’utilisation abusive des courriels à des fins personnelles comme étant une faute grave, pouvant mener à un congédiement. « Jusqu’à maintenant, peu de décisions s’étaient penchées sur cette question », souligne Robert E. Boyd, CRIA, avocat chez Dunton Rainville.

Dans cette cause, la Ville de Saint-Basile-le-Grand a congédié un cadre après avoir découvert qu’il avait reçu près de 600 courriels personnels, dont 190 portant la mention « pool de hockey ». De plus, il s’adonnait à des prêts en utilisant son adresse courriel officielle de la Ville. « La décision aurait peut-être été moins sévère si le cadre avait été un simple employé. Mais comme la personne était un gestionnaire, elle devait montrer l’exemple. De plus, le cadre ne pouvait alléguer qu’il ne connaissait pas la politique de l’entreprise en matière d’utilisation du matériel informatique, puisqu’un gestionnaire se doit d’être au fait des politiques internes », analyse Karine Fournier, CRIA, avocate chez Fasken Martineau. Le juge administratif a donc maintenu le congédiement, même s’il n’y avait pas eu gradation de sanctions. Il est à noter que cette décision fait l'objet d'une révision judiciaire.

Un jugement qui pourrait donner le ton aux années futures. En effet, avec les nouvelles technologies de l’information, ce genre de problème risque d’être de plus en plus fréquent en entreprises, prédit Me Fournier. Selon un sondage effectué en France, chaque employé passerait en moyenne 20 minutes par jour à échanger des courriels personnels et 21 minutes à naviguer sur le web pour des questions personnelles. « Si on extrapole à 200 minutes par semaine, à la fin de l’année, cela représente 20 jours ouvrables de travail perdus », calcule l’avocate.

Une perte de productivité d’autant plus importante avec l’arrivée des téléphones intelligents, dont l’utilisation au travail est plus difficile à contrôler. « La réflexion est amorcée en ce moment pour identifier comment gérer cette situation pour que cela respecte le droit des employés à leur vie privée et le droit de gérance de l'employeur », ajoute Me Fournier.

Nouveaux moyens de surveillance
« L’utilisation des médias sociaux et de la technologie change certains aspects de l’application des lois du travail, notamment en ce qui a trait à la surveillance des employés, indique Florent Francoeur, CRHA, président-directeur général de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. C’est un phénomène complètement nouveau qui risque de changer le cours des choses. »

« Il y a plusieurs décisions partout au Canada concernant des employés ayant été congédiés à la suite de publications sur Facebook, où les congédiements ont été maintenus », atteste Me Fournier.

Les propos haineux, diffamatoires, discriminatoires ou tout simplement contradictoires publiés sur le web 2.0 ont été retenus en preuve contre des employés.

Par exemple, en 2009, deux causes entendues devant la Commission des lésions professionnelles confirment cette tendance. « Dans un premier cas, une employée en congé de maladie était partie à Cuba et avait publié ses photos de voyage, alors que, dans son témoignage, la travailleuse prétendait être restée chez elle durant cette période. Dans un autre cas, une personne en arrêt de travail avait publié sur son statut des phrases comme “demain, je vais voir Docteur cool” », explique Me Fournier. Des éléments qui ont nui à la crédibilité de ces travailleurs et qui ont été admis en preuve.

Dans la même veine, l’utilisation de GPS (Global Positioning System) comme outil de surveillance a également été admise en cours. « La loi ne permet pas de traquer un employé, mais n’interdit pas l’utilisation de GPS sur un véhicule », indique Me Fournier. D’ailleurs, un col bleu de la Ville de Montréal a été congédié lorsque son employeur a réalisé, grâce à la géolocalisation, qu’il retournait chez lui au lieu de vérifier l’état des bornes-fontaines dont il avait la charge.

Mais attention : peu importe le moyen technologique utilisé, les patrons ne doivent pas faire fi des lois, soutient l’avocate. « L’employeur doit respecter le cadre législatif et jurisprudentiel en termes de doute raisonnable, d’intrusion minimale et de proportionnalité entre les moyens utilisés et la problématique vécue dans l'entreprise. » Un débat qui sera certainement d’actualité en 2011.

Des briseurs de grève… virtuels?
Les travailleurs à distance sont-ils des briseurs de grève? Les conflits de travail, au Journal de Québec, puis au Journal de Montréal, ont braqué les projecteurs sur les dispositions anti-briseurs de grève du Code du travail du Québec.

Selon la loi, un employeur ne peut avoir recours à des travailleurs de remplacement au sein de son établissement. C’est cette définition du mot établissement qui fait défaut, dans un contexte où les moyens virtuels de travail sont légion, souligne la présidente de la CSN, Claudette Carbonneau. « Au moment de l’adoption de cette disposition, en 1977, tous les moyens virtuels de travail qu’on connait aujourd’hui n’existaient pas. Nous demandons donc une modernisation du Code de travail par le gouvernement, pour tenir compte de cette nouvelle réalité. »

Même si cette question s’est rendue en cour, le débat n’est toujours pas réglé. En effet, la CRT a donné raison aux employés du Journal du Québec qui considéraient les pigistes ou les agences comme des travailleurs de remplacement. Toutefois, la Cour supérieure a annulé cette décision. « Dans une autre cause, cette fois au sujet du Journal de Montréal, le commissaire a affirmé que le journal n’intervenait pas directement auprès des agences et pigistes, comme au Journal de Québec, mais “achetait” plutôt le produit d’un travail », explique Me Boyd. La Cour d’appel a refusé d’intervenir à l’égard de la décision du Journal de Montréal. Elle doit cependant entendre, en 2011, l’appel du syndicat dans le dossier du Journal de Québec.

Si le gouvernement décide de modifier la loi, cela pourrait ouvrir une boîte de Pandore. D’autant plus que les dispositions anti-briseurs de grève québécoises sont parmi les plus avantageuses en Amérique du Nord, explique le directeur du module des relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais, Jean-François Tremblay. « Les représentants patronaux voudront aussi modifier certaines dispositions, notamment quant au processus d’accréditation. Ils pourraient notamment demander l’instauration d’un vote obligatoire au scrutin secret lors d’une demande d’accréditation syndicale », ajoute-t-il.

De plus, l’effet de ce questionnement juridique pourrait faire boule de neige, analyse Florent Francoeur, puisque le télétravail prend de l’ampleur dans plusieurs industries au Québec, et pas seulement dans les médias.

La CNT étend ses pouvoirs hors province
En septembre 2010, l’adoption de la loi 11 a permis de corriger une injustice historique pour les travailleurs québécois. Maintenant, la Commission de normes du travail (CNT) peut faire exécuter, dans les autres provinces, une ordonnance pour des sommes dues à des salariés lorsque leur employeur n'a plus d'entité au Québec.

« Aujourd’hui, avec les technologies de l’information, il devient plus fréquent d’être embauché par des employeurs hors Québec, en informatique, en vente, etc. La loi permet donc de corriger une iniquité, car le Québec était le seul à ne pas avoir de dispositions à ce sujet à cause de son régime législatif de nature française », indique Johanne Tellier, avocate et directrice du centre juridique de Montréal de la CNT.

Pour les dossiers fermés depuis dix ans, les montants dus représentent quelque deux millions de dollars, calcule la CNT. « Nous sommes en train de mettre en place les mécanismes qui nous permettront de travailler avec les autres provinces. Dans une deuxième phase, nous allons également conclure des ententes avec d’autres pays », ajoute Me Tellier.

Syndicalisation des travailleurs agricoles
Autre décision marquante en 2010 : en avril dernier, la CRT a déclaré inconstitutionnel l'article du Code du travail du Québec empêchant les travailleurs agricoles de se syndiquer.

La disposition empêchait les employés d’avoir recours à la syndicalisation s’il n’y avait pas au moins trois employés à temps plein et à l’année dans l’exploitation agricole, explique Me Boyd. « Cette disposition, adoptée dans les années 1960, visait à éliminer les risques de syndicalisation des fermes familiales. Ce qui ne reflète plus nécessairement la réalité. »

Si la cause est maintenant en appel, cela ouvre toutefois un intéressant débat sur l’accréditation syndicale de nouvelles catégories d’employés. « Le jugement s’appuie sur un arrêt récent de la Cour suprême du Canada, qui spécifie que la liberté d’association constitue un droit protégé par les chartes canadienne et québécoise des droits et libertés », indique Me Boyd. Un arrêt qui a ouvert la porte notamment à la syndicalisation des éducatrices en milieu familial et qui pourrait aussi interpeller d’autres travailleurs.

De meilleures protections pour les employés à statut précaire
En juillet 2010, la Cour suprême du Canada a tranché : les employés temporaires qui comptent plus de deux ans de service continu ont droit de recours en cas de congédiement sans cause juste et suffisante, et ce, qu’ils soient syndiqués ou non. « En fait, dans plusieurs conventions collectives, il existe certaines dispositions interdisant aux employés à statut temporaire d’avoir recours à la procédure de griefs afin de contester un congédiement », indique Me Boyd. Ce jugement les rend illégales, entre autres si « l’employé invoque l’article 124 de la Loi sur les normes du travail devant l’arbitre », ajoute-t-il.

Avant cette décision, certains arbitres acceptaient tout de même de se pencher sur la question du congédiement quand ils recevaient un grief d’un employé temporaire. D’autres arbitres refusaient simplement d’entendre l’affaire, ajoute l’avocat. « Ainsi, certains employeurs invoquaient cette clause et les arbitres n’examinaient pas du tout les causes du congédiement. » De plus, il était souvent trop tard pour porter plainte à la CNT quand les employés étaient au fait de la situation. En effet, le délai pour ce faire est de 45 jours.

L’Arrêt de la Cour suprême trace donc la marche à suivre pour ce genre de cas. « Pour la plainte 124 de congédiement, l’arbitre devra se prononcer en premier dans le cas d’employés syndiqués. Cela permet de corriger une situation ambiguë pour les employés », ajoute Me Tellier.

Source : VigieRT, décembre 2010.

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