Commentaire sur le projet de loi n° 35 intitulé Loi modifiant le régime de santé et de sécurité du travail afin notamment de majorer certaines indemnités de décès et certaines amendes et d’alléger les modalités de paiement de la cotisation pour les employeurs.
Le projet de loi 35 modifiant le régime de santé et de sécurité du travail a été présenté devant l’Assemblée nationale le 23 avril 2009 par le ministre du Travail, M. David Whissell, et a été adopté le 10 juin dernier.
Cette nouvelle loi modifie tant la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST) que la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP); il entraîne d’importants changements, dont les principaux sont la modification du mode de perception des cotisations en vertu de la LATMP, la transformation de certaines allocations et indemnités ainsi que l’augmentation progressive des amendes imposées par la LSST et l’assujettissement à la LSST des employés d’agences de placement. L’ensemble de ces modifications vise essentiellement l’atteinte de quatre objectifs, soit accroître les mesures de prévention, alléger les charges financières et administratives des entreprises, offrir un meilleur soutien financier aux familles et réduire l’indemnisation des travailleurs incarcérés.
Nous étudierons les changements générés par l'adoption du projet de loi ainsi que leurs conséquences probables et signalerons certaines critiques faites lors du processus d’adoption.
1. Accroître la prévention
1.1. L’accroissement des amendes circonscrites aux articles 236 et 237 de la LSST
L'article 236 de la LSST sanctionne toute violation à la loi ou aux règlements ainsi que le refus de se conformer à une décision ou à un ordre rendu suivant cette loi ou ces règlements.
Suivant l'article 237 de la LSST, commet une infraction la personne qui, par acte ou par omission, agit de manière à compromettre directement et sérieusement la santé, la sécurité ou l'intégrité physique d'un travailleur.
Aux termes des modifications du projet de loi[1], le montant des amendes pour les personnes morales prévu aux articles 236 et 237 de la LSST doublera au 1er juillet 2010 et triplera au 1er janvier 2011. À compter du 1er janvier 2012, ce montant sera revalorisé annuellement[2]. De plus, la notion de récidive additionnelle, qui hausse jusqu’à six fois le montant des amendes, est ajoutée dans ces modifications. Ainsi, les amendes maximales prévues à l’article 237 de la LSST seront, à compter de 2011 et pour une personne morale, de 60 000 $ pour une première infraction, de 150 000 $ pour une récidive et de 300 000 $ pour toute récidive additionnelle.
Les amendes pour les personnes morales seront ainsi appliquées :
Infraction | Article 236 | Article 237 |
Situation actuelle | • 1re offense - Min. : 500 $ - Max. : 1 000 $ • Récidive |
• 1re offense - Min. : 5 000 $ - Max. : 20 000 $ • Récidive |
Du 1er juillet 2010 au 31 décembre 2010 |
• 1re offense - Min. : 1 000 $ - Max. : 2 000 $ • Récidive • Récidives subséquentes |
• 1re offense - Min. : 10 000 $ - Max. : 40 000 $ • Récidive • Récidives subséquentes |
À partir de janvier 2011 | • 1re offense - Min. : 1 500 $ - Max. : 3 000 $ • Récidive • Récidives subséquentes |
• 1re offense - Min. : 15 000 $ - Max. : 60 000 $ • Récidive • Récidives subséquentes |
À partir de janvier 2012 | Le montant des amendes sera revalorisé chaque année selon les modalités des articles 119 à 123 de la LATMP. |
Selon le ministre, cette mesure s’insère dans le cadre des actions visant à accroître la prévention, ce qui constitue la meilleure façon de réduire les accidents et les pertes de vie. Ces changements s’incorporent d’ailleurs dans un plan plus vaste véhiculé par différents moyens, dont les campagnes de publicité et de sensibilisation. L’imposition d’amendes est une façon prévue dans la Loi pour atteindre cet objectif. De plus, le montant des amendes n’a jamais été augmenté ni indexé depuis 1979. Ainsi, afin de déterminer l’augmentation, le ministre a évalué ce que représenterait actuellement le montant de l’amende s’il y avait eu une indexation annuelle depuis les trente dernières années.
Cette mesure a été largement contestée par les employeurs. On critiquait d’abord son incidence financière majeure en période de récession économique sur les entreprises québécoises qui sont déjà exposées à beaucoup plus d’infractions pénales que dans le reste du Canada. À ce titre, le Conseil du patronat du Québec a fait part de ses réticences à l’égard de la mise en place de ces mesures dans un document intitulé Commentaires du Conseil du patronat du Québec[3] daté de mai 2009. D’autres organismes, tels que l’Association de la construction du Québec, le Conseil de l’industrie forestière du Québec et l’Association des constructeurs de routes et de grands travaux du Québec, ont aussi énoncé de pareilles réticences et inquiétudes.
De plus, certains comme le Conseil du patronat[4] souhaitaient que soit précisée la notion de récidive (même infraction, faits de même nature, dans un même établissement, sur un même chantier, etc.). D’autres estimaient que les critères d’imposition des amendes devraient être balisés.
En ce qui a trait à l'imposition des amendes, certains suggéraient de tenir compte de la viabilité économique de l’entreprise, considérant que la majorité des entreprises québécoises sont des PME et que des amendes trop élevées pourraient s'avérer fatales pour quelques-unes d’entre elles, engendrer des pertes d’emploi et même causer leur fermeture. L’Association de la construction du Québec[5], au même titre que le Conseil du patronat[6], craignaient l’incidence financière de telles amendes sur la viabilité économique et le taux d’embauche des PME du Québec.
D’autres estimaient plutôt que la crise économique n’était pas un motif valable pour retarder l’application du projet de loi, soulevant que les entreprises qui ont fait les efforts nécessaires pour améliorer leurs établissements ne se verront pas imposer d’amendes. Les grandes centrales syndicales du Québec appuyaient ce projet de loi. À ce titre, Michel Arsenault, président de la FTQ, a réagi positivement au projet en déclarant que « bien que la FTQ privilégie la prévention et la réadaptation, le fait de tripler les amendes ne peut qu’envoyer un message clair aux employeurs délinquants »[7]. Dans le même ordre d’idée, Roger Valois, vice président de la CSN, a déclaré que « le projet de loi, qui prévoit l’augmentation des amendes pour les employeurs fautifs et des pénalités supplémentaires pour ceux qui récidiveront, est certainement un incitatif pour les amener à faire plus de prévention »[8].
D’ailleurs, quant aux conséquences économiques de l’augmentation des amendes, le ministre du Travail a rappelé en débats parlementaires que celles-ci ne constituent pas une taxe sur la masse salariale, mais bien une sanction contre l’entreprise qui choisit de ne pas respecter les règles établies pour la protection des travailleurs et qui, ce faisant, commet une faute grave.
D’autre part, certains estimaient que l’augmentation des amendes ne devrait pas être basée sur un calcul équivalant à l’indexation visant à atteindre une valeur actualisée devant se rapprocher davantage de ce qui est prévu en Ontario et dans les autres provinces canadiennes.
Effectivement, en Ontario[9] tout comme en Alberta[10], la première infraction est passible d’une amende de 500 000 $ alors qu’en Colombie Britannique[11], elle est de l’ordre de 589 010 $. En Alberta et en Colombie Britannique, les lois sur le sujet prévoient de plus qu’en cas de récidive, une amende variant autour de un million de dollars peut être imposée.
Cependant, les montants des amendes modifiés par le projet de loi se rapprochent davantage de ceux prévus dans les autres provinces canadiennes, quoique la majorité d’entre elles fixent une amende maximale de 250 000 $ pour la première infraction, ce qui dépasse largement les montants prévus au Québec. En effet, les montants maximums prévus au Québec sont bien en deçà de ce montant : 60 000 $ pour la première infraction et 150 000 $ en cas de première récidive.
Ainsi, malgré les nombreuses critiques de ces nouvelles mesures, le projet de loi 35 a été adopté. La notion de récidive n’y est pas précisée et les parties devront encore se reporter à la jurisprudence afin de tenter de cerner cette notion.
1.2 Étendre la portée de la LSST aux travailleurs dont les services sont requis par l’entremise d’une agence de location de personnel
Dans la poursuite de cet objectif visant une meilleure prévention, le paragraphe 51.1 du projet de loi élargit donc expressément la portée de la LSST. Cette nouvelle disposition permet de s’assurer qu’une entreprise qui ne fait pas appel qu’à des travailleurs de remplacement soit assujettie aux mêmes obligations que les autres entreprises. Ce paragraphe prévoit que : « La personne qui, sans être un employeur, utilise les services d’un travailleur aux fins de son établissement doit respecter les obligations imposées à un employeur par la présente loi. »
2. Alléger les charges administratives et financières des entreprises
Le projet de loi vise à simplifier le mécanisme de paiement des cotisations dues à la CSST. Pour ce faire, les nouvelles dispositions[12] prévoient le versement périodique des cotisations lorsque les travailleurs ont fourni leur prestation de service. La perception des sommes d’argent dues à la CSST sera intégrée au mécanisme de retenues à la source déjà en place et géré par le ministère du Revenu. Celui-ci percevra donc les cotisations au même moment que les retenues à la source perçues sur les salaires des employés et les cotisations versées au gouvernement. Les sommes dues à la CSST lui seront simplement transférées par la suite.
Ainsi, les employeurs n’auront plus à estimer leur masse salariale en début d’année afin de verser les sommes requises à la CSST selon le taux de cotisation prévu, avant même que le travail soit effectué et que des profits soient réalisés.
Le ministre Whissell estime que ces nouvelles mesures de paiement des cotisations permettront aux entreprises d’épargner 75 millions de dollars grâce à l’élimination d’un million de transactions, à la réduction des tâches administratives et à la diminution des intérêts que les entreprises doivent payer.
3. Augmentation des allocations versées aux familles de travailleurs décédés
Selon le président de la CSST, M. Luc Meunier, l’ensemble des modifications apportées aux indemnités de décès avait pour but d’harmoniser davantage les indemnités avec celles normalement versées par la SAAQ[13].
Ainsi, de nombreux ajustements ont été effectués aux montants des indemnités prévus par la LATMP afin que soit augmentée l’indemnité pour le conjoint et les parents des travailleurs décédés. L’indemnité forfaitaire versée aux deux parents est passée de 11 350 $ à 49 174 $[14]. De plus, le projet de loi prévoit une hausse du montant accordé actuellement pour les frais funéraires qui passera de 2836 $ à 4599 $[15].
Finalement, une nouvelle indemnité a été introduite[16] et est versée aux enfants à charge du travailleur sans conjoint. Cette indemnité forfaitaire varie entre 94 569 $ et 186 000 $. Une telle indemnité peut aussi être versée aux enfants majeurs si le travailleur décédé pourvoyait à plus de la moitié de leurs besoins.
4. Réduction des indemnités de remplacement de revenu des travailleurs incarcérés
À l’heure actuelle, la LATMP prévoit que le travailleur incarcéré qui est victime d’une lésion professionnelle dans le cadre d’un programme d’activités pendant son incarcération a droit à une indemnité de remplacement de revenu, qui est calculée selon le revenu brut annuel. Toutefois, avant l’entrée en vigueur du projet de loi n° 35, aux fins du calcul de l’indemnité, ce revenu annuel brut ne pouvait pas être calculé sur une base inférieure à celle du salaire minimum, en vertu de l’article 65 de la LATMP. L’indemnité destinée aux personnes incarcérées représentait donc 90 % du salaire minimum. Or, puisque le salaire dans le cadre des programmes d’activité des personnes incarcérées est inférieur au salaire minimum, l’indemnité se trouvait à être plus élevée que leur salaire réel.
L’ajout du paragraphe 81.1 à la LATMP, par l’adoption du projet de loi n° 35, vise donc à soustraire les personnes incarcérées de l’application de l’article 65 de la LATMP afin que le calcul de l’indemnité de remplacement de revenu soit basé sur leur revenu réel et non sur le salaire minimum.
Toutefois, si le travailleur a toujours droit à une indemnité de remplacement de revenu à la fin de sa période d’incarcération, cette indemnité sera calculée en tenant compte du salaire minimum.
Selon ces modifications, l’article 65 de la LATMP continuera toutefois de s’appliquer à la personne incarcérée si cette dernière décède afin que le paragraphe 81.1 n’influence pas à la baisse l’indemnité payable en cas de décès du travailleur.
CONCLUSION
Si le contenu du projet de loi n° 35 et son adoption ont engendré certaines réticences au sein des milieux patronaux, certaines centrales syndicales ont manifesté tout autant leur insatisfaction quant à ce qui a été omis et écarté dudit projet. Plusieurs considèrent que les modifications adoptées par le projet de loi 35 ne répondent pas aux demandes incessantes de plusieurs organisations d’apporter certains changements au régime de santé et de sécurité du travail.
Rappelons en terminant que l’adoption du projet de loi n° 35 a comme objectif une amélioration de la prévention et une diminution corrélative du nombre d’accidents liés au travail, soit en lien direct avec les objectifs de la loi, c’est-à-dire « l'élimination à la source même des dangers pour la santé, la sécurité et l'intégrité physique des travailleurs »[17]. Nous devrions voir assez rapidement si les modifications auront une incidence réelle sur la prévention en milieu de travail ou si elles ne seront qu’un fardeau financier supplémentaire assumé par les employeurs.
Me Marie-Claude Perreault, CRIA, associée, avec la collaboration de Me Vicky Lemelin et de Virginie Simard, stagiaire, Lavery, de Billy
Source : VigieRT, numéro 41, octobre 2009.
1 | Articles 17 à 21 et 30 du projet de loi. |
2 | Selon l’article 237.1 LSST édicté par le projet de loi n° 35, le montant sera revalorisé grâce à la méthode prévue aux articles 119 à 123 de la LATMP. |
3 | Conseil du patronat du Québec, Commentaire du Conseil du patronat du Québec |
4 | Conseil du patronat du Québec, précité, note 3. |
5 | Association de la construction du Québec, Projet de loi 35 : il faut reporter l’entrée en vigueur des augmentations des amendes en SST |
6 | Conseil du patronat du Québec, précité, note 3. |
7 | Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec, Nouvelle «Bien que la FTQ privilégie la prévention et la réadaptation, le fait de tripler les amendes ne peut qu’envoyer un message clair aux employeurs délinquants» – Michel Arsenault, président de la FTQ, site visité le 25 août 2009. |
8 | Confédération des syndicats nationaux, Communiqué de presse du 10 juin 2009, URL : www.csn.qc.ca/web/csn/communique/-/ap/Comm10-06-09, site visité le 25 août 2009. |
9 | Loi sur la santé et la sécurité au travail, L.R.O. 1990, c. O.1, article 66. |
10 | Occupational Health and Safety Act, R.S.A. 2000, c. O-2, section 41. |
11 | Workers Compensation Act, R.S.B.C. 1996, c. 492, section 217. |
12 | Article 315 et suivants de la LATMP. |
13 | Débat parlementaire, vendredi, 29 mai 2009. |
14 | Article 110 de la LATMP. |
15 | Article 111 de la LATMP. |
16 | Paragraphe 101.1 de la LATMP. |
17 | Article 2 de la LSST. |