À l’instar des deux dernières années, selon les intervenants du milieu, 2008 n’a pas connu de grandes vagues sur le plan des relations de travail. Avec la crise économique qui se profile à l’horizon, certains prévoient toutefois quelques remous durant les prochains mois.
« L’année 2008 a été très calme. La majorité des conventions collectives se sont signées sans conflit », observe la sous-ministre adjointe au ministère du Travail, Suzanne Thérien. Fin novembre, on dénombrait 83 litiges pour l’année en cours. On observe une hausse par rapport à 2006 et 2007 qui en ont compté respectivement 43 et 51. Mais selon Mme Thérien, cette augmentation est attribuable aux récentes négociations coordonnées dans les hôtels et dans les supermarchés Maxi et Provigo.
Conséquemment, le nombre de journées de travail perdues a bondi, passant de 186 000 en 2007, à plus de 250 000 en 2008. Une augmentation imputable aux conflits de longue durée qui ont marqué l’année. On pense bien sûr aux 252 employés du Journal de Québec qui ont été en lock-out durant 16 mois et aux 260 travailleurs de la raffinerie de Petro-Canada à Montréal, en conflit depuis plus d’un an.
Le nombre de jours-personne perdus est toutefois bien inférieur à celui des années qui ont précédé 2006 et 2007, alors que la moyenne était de 700 000 et de quelque 1,4 million en 2005 seulement.
La tendance se maintient donc pour une troisième année : les relations de travail se vivent avec de moins en moins d’embûches. « Les parties n’utilisent plus le rapport de force aussi souvent qu’avant », confirme Mme Thérien.
Selon la présidente de la Confédération des syndicats nationaux, Claudette Carbonneau, cette tendance reflète une certaine insécurité chez les travailleurs. « Tu ne vas pas en conflit de travail quand tu ne penses pas pouvoir faire des gains. » Elle soutient que la capacité des entreprises de délocaliser leurs activités fait pression sur les travailleurs.
Le président-directeur général de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), Florent Francoeur, CRHA, affirme pour sa part que les relations de travail ont atteint une certaine maturité. « La question de la rémunération n’est plus aussi litigieuse qu’elle était, avance-t-il. Dans les récents conflits, comme celui du Journal de Québec, les salaires ne sont souvent plus un enjeu. »
« La majorité des travailleurs sont de plus en plus informés et sont bien au fait de la nouvelle réalité économique, dit Florent Francoeur. Lorsque les gens se retrouvent autour de la table de négociation, ils comprennent que les entreprises doivent être productives et rentables. »
Selon un récent sondage de l’Ordre, lorsqu'on demande aux travailleurs québécois quelles devraient être les priorités des syndicats pour les années à venir, la conciliation travail-famille arrive en tête de liste avec 56 %, suivie de près par la qualité de vie au travail (42 %) et par la sécurité du travail (37 %).
De son côté, Suzanne Thérien croit que l’accalmie s’explique notamment par le fait que les conventions collectives sont maintenant de plus longue durée. Les ententes s’étirent souvent sur quatre, cinq ou six ans, plutôt que sur trois ans, fait-elle remarquer. « Si les parties ne peuvent pas utiliser le rapport de force à court terme, ils sont obligés de discuter et de trouver une solution gagnante pour les deux. »
Conflits en longueur
« Toutefois, ajoute Mme Thérien, lorsqu’un problème persiste et que la convention vient à échéance, les négociations peuvent être ardues. Ça peut mener à un long conflit de travail. »
Ce constat est corroboré par le professeur associé au département de relations industrielles de l’Université Laval, Jean Boivin. « Il y a moins de conflits en général, mais lorsqu’il y en a, ils sont longs et plus difficiles à régler », observe-t-il.
M. Boivin note aussi un nouveau phénomène : la proportion de lockouts dans les conflits de travail est beaucoup plus importante qu’auparavant. Sur 83 conflits en date du 30 novembre, 18 étaient des lockouts, soit un peu plus de 20 %.
« Ce sont les employeurs qui font des demandes plutôt que les syndicats, constate Jean Boivin. Ils disent qu’en raison d’une conjoncture difficile, ils n’ont plus les moyens de donner les mêmes conditions de travail qu’avant. Résultat : les syndicats sont sur la défensive. »
Selon Suzanne Thérien, on ne peut pas encore parler de tendance. « C’est vrai qu’il y a eu beaucoup plus de lockouts cet été, mais c’était une situation exceptionnelle. Il faut attendre avant de tirer des conclusions. »
Jean Boivin est loin d’envisager un revirement de la situation. « Les secteurs public et municipal, qui ont longtemps échappé à la logique du profit à tout prix, commencent eux aussi à passer à la moulinette, note-t-il. L’attitude des employeurs se durcit. Le gouvernement a imposé des conditions de travail en 2005. À la Ville de Québec, les négociations achoppent parce que l’employeur demande une diminution des avantages sociaux. » Selon le professeur, l’année 2009 confirmera ce durcissement des relations de travail.
Vers le futur
« Contrairement à 2008, l’année 2009 ne sera sans doute pas de tout repos », estime Florent Francoeur de l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés. « Avec la récession appréhendée, les entreprises revoient leurs prévisions à la baisse et du coup, révisent les augmentations salariales attendues », note-t-il.
« Ça peut être une source de conflits pour ceux qui arrivent dans une période de négociation. Aussi, plusieurs entreprises vont tenter de rouvrir les ententes pour parler de temps partagé, de semaines de quatre jours, de diminution des salaires ou même de gel. Ça va brasser un peu plus durant les prochains mois! »
D’autres intervenants prédisent que la question des fonds de pension sera un enjeu important en 2009, puisqu’avec la crise financière, les caisses de retraite fondent à vue d’œil. De plus, seulement 40 % des travailleurs ont accès à un régime de retraite.
« C’est très explosif! dit l’avocat en droit du travail, Me Ronald Sirard. Il va y avoir un conflit entre ceux qui ont un bon régime et ceux qui n’en ont pas. Est-ce que le gouvernement doit utiliser les impôts des contribuables pour maintenir les fonds de pension de gens déjà privilégiés? Qu’est-ce qu’on fait de ceux qui sont pénalisés? Je vous le dis, ça va crier! »
Selon Claudette Carbonneau, la tension sera à son maximum en entreprise. « Les employeurs vont vouloir se départir des régimes à prestations déterminées, qui sont très coûteux pour eux, pour les remplacer par des régimes à cotisations déterminées. De leur côté, les travailleurs veulent une sécurité économique. Ça va faire des flammèches! »
Marie-Ève Maheu, journaliste indépendanteSource : VigieRT, numéro 33, décembre 2008.