Vous lisez : Augmentation salariale annuelle et ajustement salarial

La Loi sur l’équité salariale (ci-après la « Loi ») a pour objet de corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories à prédominance féminine. Afin de corriger ces écarts, la Loi prévoit divers mécanismes modulés en fonction du nombre de salariés que compte l’entreprise. L’employeur est tenu de réaliser le programme d’équité salariale qui lui est applicable. Si un ajustement salarial doit être effectué à l’issue de l’exercice d’équité à l’égard d’une ou de plusieurs catégories d’emploi à prédominance féminine, la Loi permet à l’employeur d’étaler dans le temps les versements dus. L’employeur est également tenu d’assurer le maintien de l’équité dans son entreprise au fil des années.

L’application de cette Loi soulève encore, plusieurs années après son adoption, diverses questions d’interprétation et d’application. Dans l’affaire Héma-Québec[1], l’arbitre de griefs précise que les obligations de l’employeur relatives au maintien de l’équité salariale s’appliquent une fois le processus d’équité complété, c’est-à-dire une fois que les ajustements dus aux employés y ayant droit ont été versés en totalité.

Notons qu’une requête en révision judiciaire a été déposée par Héma-Québec en décembre 2010, laquelle demeure à être tranchée par la Cour supérieure au moment de la rédaction du présent texte[2].

<>FAITS
Le litige entre l’employeur et le Syndicat des travailleuses et travailleurs de Héma-Québec CSN (ci-après le « syndicat CSN ») porte sur le paiement des ajustements liés à l'équité salariale pour les salariés appartenant à des catégories d'emploi à prédominance féminine ayant droit à un correctif à la suite de l'exercice d'équité salariale.

Héma-Québec, organisme connu du grand public, possède des bureaux à Montréal et à Québec. Environ mille trois cents (1300) employés et cadres y travaillent. Les salariés sont répartis au sein de neuf (9) syndicats.

Un premier exercice d’équité salariale a débuté vers la fin de l’année 2002. À l’époque, les différents syndicats devaient opter pour un programme distinct, applicable à leur unité d’accréditation seulement, ou se joindre au programme général de l’entreprise regroupant des salariés syndiqués et des employés non syndiqués. Le syndicat CSN ainsi que deux autres syndicats affiliés à cette centrale ont choisi de faire partie du programme général d’entreprise.

Le programme d’entreprise comporte des catégories d’emploi à prédominance masculine et à prédominance féminine. L’exercice d’équité a donc été réalisé en tenant compte des catégories d’emploi visées par ce programme d’entreprise.

Au terme de l’exercice d’équité, cinq (5) catégories d’emploi visées par l’accréditation du syndicat CSN se sont vues reconnaître le droit à un ajustement salarial. On a prévu étaler les ajustements en cinq (5) versements au cours des années 2003 à 2007.

Un litige relativement à la date du paiement des correctifs est alors survenu. L’employeur prétendait que les correctifs s’appliquaient à compter de 2003, alors que le syndicat CSN affirmait qu’il s’agissait de l’année 2001. En 2007, une entente a été signée. Celle-ci prévoyait la reprise d’un processus d’équité salariale ainsi qu’un délai de paiement de quatre-vingt-dix (90) jours suivant la fin de l’exercice d’équité.

En janvier 2009, le comité d’équité salariale a informé le personnel visé des ajustements prévus et des modalités de versement. On lui a indiqué que les versements tiendraient compte des versements effectués entre 2004 et 2007 en vertu du premier programme réalisé ainsi que du maintien de l’équité salariale afin de tenir compte des changements apportés aux emplois depuis 2001.

L’article 40 de la Loi prévoit que l’employeur doit notamment s'assurer du maintien de l'équité salariale lors de modifications aux emplois existants ou aux conditions qui leur sont applicables alors que l’article 43 prévoit que lorsque, à la suite de changements survenus dans l'entreprise, les ajustements salariaux ou le programme d'équité salariale ne permettent plus d'assurer le maintien de l'équité salariale, l'employeur doit apporter les modifications nécessaires pour maintenir l'équité salariale.

En octobre 2009, l’employeur a expliqué aux membres du comité d’équité salariale et aux représentants syndicaux le mode de calcul utilisé. Selon l’expert retenu par l’employeur, ces versements devaient tenir compte de tout événement pertinent survenu depuis 2001 afin d’assurer le maintien de l’équité.

À ce sujet, l’employeur soutenait qu’il pouvait opérer compensation entre les augmentations salariales prévues à la convention collective et les ajustements dus en vertu de l’équité salariale, puisqu’il n’y avait alors plus d’écart salarial entre les catégories d’emploi.

En fonction de ce calcul, tous les ajustements devant être effectués en vertu de l’équité salariale se trouvaient déjà « absorbés » par les augmentations salariales annuelles octroyées au fil des années, à l’exception d’un ajustement pour l’emploi de « commis gardien clientèle ».

L’employeur a effectué les versements en fonction de son calcul en date du 8 octobre 2009. Le syndicat CSN a contesté ce calcul et déposé deux (2) griefs à cet effet quelques jours plus tard.

Selon le syndicat, l’employeur est tenu de verser les ajustements en sus des augmentations annuelles prévues à la convention collective. Il soutenait que le maintien de l’équité ne s’applique qu’une fois les ajustements versés. L’employeur prétendait, pour sa part, que le montant des ajustements dus n’a pas été contesté et que son mode de calcul s’explique par l’obligation prévue à la Loi de maintenir l’équité salariale, obligation qui s’applique également en période d’étalement des versements.

DÉCISION
L’arbitre a rappelé que le grief déposé par le syndicat ne contestait pas les travaux du comité d’équité salariale ni le montant des ajustements convenus. Le fait que l’employeur a versé les augmentations annuelles prévues à la convention collective n’était pas contesté non plus. La question au cœur du litige était la suivante : l’employeur pouvait-il tenir compte des augmentations annuelles et opérer compensation avec les versements d’équité dus?

En vertu de l’article 74 de la Loi, les ajustements déterminés au terme de l’exercice d’équité salariale sont réputés faire partie intégrante de la convention collective applicable aux salariés des catégories d’emploi à prédominance féminine.

En l’espèce, les augmentations annuelles ont été accordées tant aux salariés occupant des emplois à prédominance féminine qu’à ceux occupant des emplois à prédominance masculine. Selon l’arbitre, le fait d’opérer compensation entre les augmentations et les ajustements n’est pas conforme à la Loi. Les ajustements découlant de la Loi font partie de la convention collective tout comme les augmentations annuelles et ils devaient donc être versés à la date convenue entre les parties.

En ce qui concerne l’argument de l’employeur relatif au maintien de l’équité salariale, l’arbitre a affirmé que l’objectif de ce maintien vise à s’assurer qu’une fois les ajustements versés, la discrimination salariale ne réapparaisse pas. Le maintien de l’équité ne permet pas à l’employeur de se soustraire, en cours d’étalement, au paiement des ajustements prévus au programme. Ce faisant, l’arbitre a souscrit aux motifs exprimés par un autre arbitre dans une affaire jugée similaire, bien que la notion de maintien n’y était pas soulevée[3].

Le maintien doit s’appliquer à partir du moment où le programme est complété, c’est-à-dire une fois que les ajustements ont été versés en totalité aux employés y ayant droit. Il vise à maintenir l’équilibre entre les catégories d’emploi une fois que l’équité salariale est atteinte.

L’arbitre a rappelé que le comité d’équité salariale en place avait convenu des ajustements à être versés à une date fixe. L’employeur ne pouvait surseoir à ces versements « sous prétexte » d’une augmentation d’échelles salariales déjà prévue à la convention collective. L’arbitre a donc accueilli le grief et ordonné le paiement rétroactif des versements d’ajustement salarial.

CONCLUSION
Les articles 40 à 43 de la Loi ont été abrogés en 2009 par la Loi modifiant la Loi sur l’équité salariale[4]. Les obligations de l’employeur relatives au maintien de l’équité salariale se trouvent désormais aux articles 76.1 et suivants de la Loi. On prévoit qu’une évaluation du maintien de l’équité doit être faite tous les cinq (5) ans, contrairement à ce que prévoyaient les articles 40 et 43 de la Loi.

Malgré cette modification législative, les motifs au soutien de ces décisions arbitrales sont toujours applicables. À moins d’une conclusion différente de la Cour supérieure siégeant en révision judiciaire, cette jurisprudence détermine qu’un employeur ne peut tenir compte des augmentations annuelles consenties aux salariés en général et « réduire » d’une manière ou d’une autre le montant des versements dus au terme du processus d’équité salariale.

Enfin, rappelons également qu’en vertu des modifications législatives entrées en vigueur en 2009, les entreprises québécoises étaient tenues de réaliser l’exercice d’équité salariale et de produire l’affichage en faisant foi au plus tard le 31 décembre 2010.

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Source : VigieRT, juin 2011.


1 Héma-Québec et Syndicat des travailleuses et travailleurs de Héma-Québec CSN, D.T.E. 2011T-99 (T.A.).
2 Voir le dossier de cour 500-17-062699-106.
3 Syndicat démocratique des salariés du Château Frontenac (CSD) et Fairmont le Château Frontenac, D.T.E. 2006T-481 (T.A.) Dans cette affaire, l’augmentation annuelle prévue à la convention avait été considérée comme une avance sur le paiement du versement d’équité salariale.
4 2009 c.9, art. 14

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