Le 1er février 2018, la Cour suprême du Canada a rendu une décision très attendue en droit du travail portant sur l’obligation d’accommodement raisonnable des employeurs à la suite d’une lésion professionnelle. Dans l’arrêt CNESST c. Caron, 2018 CSC 3, la Cour suprême du Canada maintient la décision de la Cour d’appel du Québec, réitère que l’employeur a l’obligation d’accommoder une travailleuse ou un travailleur victime d’une lésion professionnelle et confirme le devoir de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la « CNESST ») ainsi que du Tribunal administratif du travail (le « TAT ») d’évaluer si une personne a été validement accommodée par l’employeur.
Ainsi, cet arrêt aura certes un impact significatif sur le processus de réadaptation et la détermination d’un emploi convenable par les principaux acteurs, dont la CNESST et le TAT.
Faits
En 2004, le travailleur développe une épicondylite en exerçant son travail d’éducateur dans un centre d’accueil. La lésion professionnelle est consolidée en 2006 avec une atteinte permanente et des limitations fonctionnelles qui l’empêchent de reprendre son emploi prélésionel.
Il est important de préciser que tout au long de cette période, le travailleur avait occupé, en travaux légers, les fonctions de chef d’équipe.
En 2010, dans le cadre de la procédure de réadaptation prévue à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (la « LATMP » ou la « Loi ») et la détermination de la capacité de retour au travail du travailleur, l’employeur avise la Commission de la santé et de la sécurité du travail (la « CSST », maintenant remplacée par la CNESST) qu’aucun emploi convenable n’est disponible pour le travailleur et met fin à son emploi. La CSST informe donc le travailleur que le processus de réadaptation sera poursuivi, mais que ses possibilités professionnelles seront évaluées ailleurs sur le marché du travail.
Le travailleur conteste la décision de la CSST alléguant que l’employeur ne s’est pas déchargé de son obligation d’accommodement raisonnable lui incombant en vertu de la Charte des droits et libertés de la personne (la « Charte »). En raison de sa lésion professionnelle, le travailleur, porteur d’un handicap, prétend que l’employeur devait tout mettre en œuvre pour favoriser son retour au travail, sans toutefois lui imposer de contraintes excessives.
Historique judiciaire
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Commission des lésions professionnelles
En 2012, la Commission des lésions professionnelles (la « CLP ») rejette les prétentions du travailleur. Elle estime que la jurisprudence constante de la Cour d’appel écarte l’application du devoir d’accommodement raisonnable prévu à la Charte en matière de réadaptation de la LATMP. La CLP conclut que les dispositions de la loi constituent en elles-mêmes un accommodement raisonnable. L’employeur n’avait donc pas l’obligation d’offrir un emploi convenable au travailleur, et le processus de réadaptation pouvait se poursuivre ailleurs sur le marché du travail.
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Cour supérieure
En 2014, la Cour supérieure, en révision judiciaire, estime que la CLP a omis de déterminer si le travailleur avait été victime d’une discrimination illicite fondée sur son handicap et si l’employeur avait exercé son devoir d’accommodement avant de déclarer qu’il n’existait pas d’emploi convenable au sein de son entreprise. La Cour supérieure annule la décision de la CLP et retourne le dossier afin qu’elle tranche la contestation du travailleur, en tenant compte du droit à l’égalité protégé par la Charte.
La CSST porte la décision en appel.
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Cour d’appel
En 2015, la Cour d’appel rappelle que le droit d’une travailleuse ou d’un travailleur porteur d’un handicap et le devoir de l’employeur à l’accommodement transcendent la loi, le contrat de travail et la convention collective. Ainsi, une personne qui conserve des séquelles d’une lésion professionnelle doit être considérée comme handicapée au sens de la Charte. Elle sera donc protégée contre toute discrimination et pourra bénéficier d’un accommodement par l’employeur afin de maintenir son emploi. Qui plus est, la Cour réitère qu’il revient à l’employeur de prendre l’initiative de rechercher une solution acceptable pour tous.
Selon la Cour d’appel, même si la LATMP n’impose pas explicitement à l’employeur l’obligation de trouver un emploi convenable au sein de son entreprise, il doit tenter de trouver une mesure d’accommodement raisonnable. L’obligation de participer à l’effort de réintégration de la travailleuse ou du travailleur exige de tout employeur qu’il analyse les accommodements possibles et offre un poste respectant ses limitations fonctionnelles. Le caractère supralégislatif de la Charte impose non seulement cette obligation à l’employeur, mais oblige également la CSST et la CLP à vérifier si cet exercice a été exercé de façon légitime.
Sur la question du délai d’exercice du droit de retour au travail, la Cour d’appel considère que la CLP doit procéder à un examen individualisé de la situation de la personne concernée. En application de la Charte, le délai de deux ans prévu à la LATMP constitue un facteur à prendre en compte, sans pour autant être déterminant.
L’appel est rejeté, mais la CSST obtient l’autorisation de se pourvoir devant la Cour suprême.
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Cour suprême du Canada
La Cour suprême du Canada rejette le pourvoi de la CSST. Elle réitère que le devoir d’accommodement raisonnable s’applique à une travailleuse ou à un travailleur victime d’une lésion professionnelle, et ce, nonobstant le fait que la LATMP ne traite pas expressément du devoir d’accommodement.
D’emblée, la Cour souligne que toutes les lois du Québec, dont la LATMP, doivent être interprétées en conformité avec la Charte : « [l]’obligation d’accommodement étant l’un des principes centraux de la Charte québécoise, elle s’applique donc à l’interprétation et à l’application des dispositions de la loi québécoise sur les accidents du travail. Il n’existe aucune raison de priver quelqu’un qui devient invalide par suite d’un accident du travail des principes applicables à toutes les personnes invalides, notamment du droit à des mesures d’accommodement raisonnables ».
Le régime d’indemnisation des accidentés du travail prévoit divers types d’accommodement, comme la réintégration, un emploi équivalent ou, à défaut, l’emploi qui convient le mieux. Ainsi, la LATMP propose déjà une forme d’accommodement en faveur de la travailleuse ou du travailleur sans nécessairement prévoir expressément le devoir d’accommodement au sens de la Charte.
La Cour suprême confirme maintenant que ce devoir d’accommodement est implicite en précisant que « [l]e fait que le régime prévoit certains types d’accommodement n’exclut pas l’accommodement général plus vaste qu’exige la Charte québécoise ».
Dans ces circonstances, la Cour réitère que le TAT possède le pouvoir de réparation exclusif concernant le droit à la réintégration, à un emploi équivalent ou à un emploi convenable d’imposer à l’employeur des mesures d’accommodement raisonnablement à l’égard de la travailleuse ou du travailleur lésé et des circonstances qui en découlent.
En conséquence, l’affaire est renvoyée au TAT pour qu’il puisse trancher la contestation du travailleur en tenant compte de l’obligation de l’employeur de prendre des mesures d’accommodement raisonnable en conformité avec la Charte.
Il est par ailleurs intéressant de noter que le juge dissident est, quant à lui, d’avis que la CNESST, étant un organisme administratif et non juridictionnel, ne peut obliger un employeur à prendre des mesures d’accommodement en faveur d’un membre du personnel. Seul le TAT détient ce pouvoir d’ordonnance. Toutefois, il souligne que cela ne signifie pas que la CNESST ne puisse pas discuter de l’obligation d’accommodement avec l’employeur et qu’il « est à espérer que la CSST aide les employeurs à comprendre non seulement les droits que la Loi confère aux travailleurs, mais aussi ceux que leur confère la Charte québécoise ».
Recommandations
Au regard de cette décision et des principes qui y sont énoncés, nous constatons que les obligations incombant aux employeurs à l’égard des membres du personnel victimes d’une lésion professionnelle et qui demeurent avec des séquelles seront dorénavant accrues.
En effet, suivant l’analyse des tribunaux supérieurs, nous vous avisons que les employeurs devront maintenant démontrer à la CNESST, et ultimement au TAT, qu’une analyse sérieuse des mesures d’accommodement possibles a bel et bien été effectuée. Les employeurs devront très certainement justifier objectivement leurs décisions lorsque celles-ci seront à l’effet de confirmer l’absence d’emploi pouvant être offert aux travailleurs.
Nous profitons de la présente affaire pour vous rappeler qu’en matière d’accommodement, les obligations des employeurs sont de plus en plus étendues, et la Cour suprême du Canada, une fois de plus, est venue confirmer cette tendance.
Les auteurs remercient Me Francine Legault et Mme Raphaëlle Alimi-Lacroix pour leur contribution à la rédaction de cet article.
Source : VigieRT, mars 2018.