Vous lisez : Agences de placement de personnel, prélevez-vous les cotisations fiscales?

Les agences de placement de personnel gagnent en popularité en offrant une organisation du travail plus flexible. Bien que ce modèle d’affaires comporte certains avantages, il brouille les repères qu’on retrouve communément dans le cadre d’une relation de travail bipartite, puisqu’en vertu de ce modèle, la relation est plutôt tripartite. Cette relation tripartite complexifie le processus d’analyse de qualification du statut du travailleur et d’identification de l’employeur. En juillet 2014, la Cour d’appel du Québec a rendu un arrêt[1] qui rappelle les circonstances dans lesquelles une personne recommandée par une agence de placement de personnel à un client peut être qualifiée de salariée, au sens fiscal, et qui détermine qui est l’employeur responsable des retenues à la source dans un tel contexte. Cet arrêt illustre bien les conséquences financières que peut avoir une mauvaise qualification du statut de la personne recommandée par une agence de placement de personnel.

Dans cette affaire, une agence de placement de personnel infirmier (ci-après l’« appelante ») se pourvoit contre un jugement rendu par la Cour du Québec[2] qui rejette ses avis d’appel déposés à l’encontre de deux avis de cotisation établis par l’Agence du revenu du Québec pour les années d’imposition 2007 et 2008. Devant la Cour d’appel, l’appelante prétendait qu’elle n’était pas tenue de payer différentes cotisations, dont la cotisation pour le régime des rentes du Québec (RRQ), le financement du régime québécois d’assurance parentale (RQAP), le fonds des services de santé (FSS) et la Commission des normes du travail (CNT). Une pénalité de 15 % était également réclamée en vertu de la Loi sur le ministère du Revenu qui a été remplacée par la Loi sur l’administration fiscale[3] pour avoir omis de déduire, de retenir ou de percevoir les montants en cause. Enfin, des intérêts étaient également réclamés conformément à la Loi sur le ministère du Revenu[4]. Une somme de 95 368,11 $ était réclamée pour l’année 2007, et une somme de 69 755,66 $ l’était pour l’année 2008.

Dans cet arrêt, la Cour d’appel a répondu aux questions suivantes :

  1. Les personnes recommandées par une agence de placement de personnel à ses clients sont-elles des salariées ou des travailleuses autonomes?
  2. Si ces personnes sont des salariées, qui est tenu, à titre d’employeur, de prélever les déductions fiscales visées dans les avis de cotisation?

Afin de répondre à ces questions, la Cour d’appel a d’abord analysé la situation de l’appelante. Celle-ci exploite depuis 2002 une agence de placement de personnel infirmier. Elle sert des hôpitaux, des centres d’hébergement et de soins de longue durée et des centres locaux de services communautaires. Elle considère les personnes recrutées pour travailler chez ses clients comme des travailleuses autonomes. Par conséquent, elle leur verse une rémunération, mais ne prélève pas les cotisations prescrites par les lois fiscales.

L’appelante agit à titre d’intermédiaire entre ses clients et le personnel infirmier qu’elle recommande. Le client la contacte pour lui faire part de ses besoins. Le prix des services est convenu entre le client et l’appelante. Celle-ci recrute la personne qui offrira les services au client. La personne recommandée se présente au lieu de travail, à la date et à l’heure convenues. Elle exécute les tâches qui lui sont confiées par le client qui détermine les méthodes de travail et supervise la prestation de travail. La personne recommandée est tenue d’agir conformément aux directives et aux protocoles de soins établis par le client. Elle est intégrée dans la structure organisationnelle du client et travaille en collaboration avec les salariés du client. Après la prestation de travail, l’appelante facture son client selon le prix convenu en y ajoutant un montant pour générer son profit.

Les personnes recommandées n’ont aucun contrat écrit avec l’appelante et ne sont liées par aucun engagement de non-concurrence ou de non-sollicitation. Elles sont libres d’accepter ou de refuser un placement. Elles sont rémunérées sur la base d’un montant forfaitaire pour un quart de travail de 8 heures, n’ont aucune possibilité de faire des profits et ne font face à aucun risque de perte. Elles paient leurs cotisations professionnelles, leurs uniformes, leurs chaussures et occasionnellement quelques petits équipements tels que des stéthoscopes. Les placements chez les clients sont de durées variables.

Travailleur autonome ou salarié?
Afin de déterminer si le statut de la personne recommandée par l’appelante à un client est celui de travailleur autonome ou de salarié, la Cour d’appel prend en considération le fait que cette personne n’effectue pas son travail comme elle l’entend. En effet, bien qu’elle puisse accepter ou refuser un placement, elle doit, entre autres, se plier à l’horaire fixé par le client, s’intégrer à la structure organisationnelle de ce dernier, exécuter les tâches qu’il lui assigne selon les délais qu’il lui impose et respecter ses protocoles de soins. De plus, son travail est sujet à évaluation. La Cour d’appel considère également le fait que les appareils requis par le travail et qui nécessitent un investissement plus important sont mis à la disposition de cette personne par le client. Enfin, elle prend en considération le fait que la chance de profit ou de perte est inexistante. Après avoir fait l’énumération de ces éléments, la Cour d’appel vient à la conclusion que la personne recommandée par l’appelante est une salariée parce qu’elle effectue son travail sous la direction et le contrôle d’une entité. Elle conclut à l’existence d’un contrat de travail puisque des « facteurs de l’intégration complète d’une personne dans la structure organisationnelle du client existent » (au point de vue hiérarchique, des protocoles de soins à observer, de l’assignation du travail, de l’horaire de travail, de l’évaluation du travail, etc.). De plus, elle conclut que les éléments caractéristiques du contrat de service sont absents.

La Cour d’appel ayant déterminé que ces personnes étaient des salariées, leur employeur avait l’obligation de retenir et de payer certaines cotisations. La Cour d’appel a donc déterminé qui était l’employeur dans les circonstances.

Qui est tenu de prélever les cotisations fiscales?
Afin de répondre à cette question, la Cour d’appel compare la définition d’employeurs aux termes de plusieurs lois[5]. Elle conclut que dans toutes les lois en cause dans cette affaire, l’employeur est défini comme la personne qui verse le salaire à un employé. Par conséquent, aux fins du prélèvement des charges de nature fiscale établies dans les deux avis de cotisation visés par l’appel, l’appelante est l’employeuse ou, à tout le moins, sa mandataire. À ce titre, elle est tenue de prélever les cotisations de nature fiscale sur la rémunération. Enfin, la Cour d’appel précise que « dans une relation tripartite, il n’est pas exclu, a priori, que le client hérite d’obligations en vertu de certaines lois et que l’agence de placement soit astreinte à d’autres obligations en vertu d’autres lois ».

Par cet arrêt, la Cour d’appel confirme qu’indépendamment du fait que les parties qualifient les personnes recommandées comme ayant le statut de travailleuses autonomes, plusieurs autres critères seront analysés par les tribunaux pour déterminer si elles le sont vraiment tels que le lien de subordination, la propriété des outils, l’expectative de profit et les risques de perte et l’intégration dans l’entreprise. Les entreprises, notamment, les agences de placement de personnel doivent être prudentes et analyser correctement leur situation afin de déterminer si les personnes qu’elles recommandent à leurs clients sont des salariées sur le plan fiscal et si des charges fiscales leur incombent. Omettre de faire une telle analyse peut avoir un impact financier important sur l’entreprise, tel que l’illustre cet arrêt. Enfin, on ne peut passer sous silence que lorsqu’elle analyse la notion d’employeur, la Cour d’appel rappelle que le fait que l’agence de placement ait des obligations en vertu de certaines lois n’empêche pas que le client hérite d’autres obligations en vertu d’autres lois, volet qui ne devrait jamais être négligé par les parties qui s’engagent dans une relation tripartite.

Source : VigieRT, septembre 2014.


1 Agence Océanica inc. c. Agence du revenu du Québec, 2014 QCCA 1385.
2 Agence Océanica inc. c. Agence du revenu du Québec, 2012 QCCQ 5370.
3 RLRQ, c. A-6.002, art. 59.2.
4 Id.,art. 28.
5 Loi sur la Régie de l’assurance maladie du Québec, RLRQ c. R-5, Loi sur le régime des rentes du Québec, RLRQ c. R-9, Loi sur l’assurance parentale, RLRQ c. A-29.011 et Loi sur les normes du travail, RLRQ c. N-1.1.
Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie