Les médias sociaux font maintenant partie intégrante de la vie de bien des gens. Il s’agit d’un sujet inévitable qui touche de près tout conseiller RH, car il doit dénouer différentes problématiques engendrées par l’utilisation de ce type de médias par les employés de son entreprise. Il suffit de penser, à titre d’exemple, aux problèmes de baisse de rendement, de vol de temps, de diffamation, etc. Évidemment, les médias sociaux ne sont pas uniquement une source de problèmes pour l’employeur qui sait en faire une utilisation stratégique. Ces médias représentent une source non négligeable d’information sur les salariés, tout en offrant des occasions intéressantes,en matière de recrutement, par exemple.
Les tribunaux sont appelés, de plus en plus fréquemment, à se prononcer sur différents litiges concernant, de près ou de loin,les médias sociaux. Nous abordons dans le présent texte trois décisions récentes qui illustrent l’impact que peut avoir, dans un litige, une preuve issue des médias sociaux.
A. c. Les Courtiers en Douane Arrivage Ltée, 2012 QCCRT 150
Dans cette affaire, la plaignante allègue avoir été victime de harcèlement psychologique et plus particulièrement,de harcèlement sexuel au travail. Elle dépose donc des plaintes selon les articles 124 (congédiement sans cause juste et suffisante) et 123.6 (harcèlement psychologique) de la Loi sur les normes du travail.
Lors de son témoignage, la plaignante fait état de nombreux gestes à caractère sexuel posés par le président de l’entreprise où elle travaillait, ce dernier niant catégoriquement les allégations de la plaignante.
Le témoignage de la plaignante est contredit par plusieurs témoins, seule une collègue de celle-cicorrobore les faits tels qu’ils sont présentés par la plaignante. La crédibilité de cette collègue revêt donc une importance particulière dans le litige. Souhaitant compromettrela crédibilité de cette dernière, l’employeur décide de procéder à une demande de réouverture d’enquête, après la prise en délibéré, afin de déposer un échange intervenu entre la plaignante et sa collègue sur Facebook. Cet échange ferait mention d’une compensation pécuniaire offerte par la plaignante à sa collègue pour son témoignage, ce qui nuit àla crédibilité de celle-ci selon l’employeur. Puisque la collègue de la plaignante est le principal témoin corroborant, en partie,son témoignage et que l’appréciation de la crédibilité de ce témoin est déterminante en l’espèce, la Commission décide d’accorder la réouverture d’enquête et d’admettre en preuve les messages échangés sur Facebook entre la plaignante et sa collègue.
Il convient de noter que le président de l’entreprise a été informé de l’échange de messages sur Facebook entre la plaignante et sa collègue par une autre employéequi connaissait le mot de passe de la plaignante afin d’accéder à son compte Facebook. C’est à la demande du président que celle-ci a accédé au compte Facebook de la plaignante pour y trouver l’échange en question, qu’elle transmit à son patron.
Après l’analysedu contenu de l’échange de messages sur Facebook, la Commission en est venue à la conclusion qu’il y était simplement question d’une indemnité compensatoire à verser à la collègue de la plaignante pour la perte de sa journée de travail, comme prévu par ailleurs à l’article 137.7 du Code du travail. Comme la plaignante n’a aucunement tenté d’acheter le témoin, la crédibilité de son témoignage n’a pas été affectée.
La Commission a souligné par ailleurs que l’échange de messages en question était a priori privé, puisqu’il a eu lieu dans la section « Messages » de Facebook plutôt que sur le babillard. Malgré tout, selon la Commission, cette preuve n’a pas été obtenue de façon illégale puisque la plaignante a elle-même confié son mot de passe à l’employée et a fait preuve de négligence en omettant de le modifier par la suite.
Il est également intéressant de noter que la Commission a semblé voir dans cet échange de messages sur Facebook un élément qui renforce les témoignages de la plaignante et de sa collègue, tel que le démontre l’extrait suivant :
« Comment sinon expliquer autrement son commentaire sur Facebook, lorsque L.(…) écrit à la plaignante : « We are abused ». Se croyant seule, ni l’une ni l’autre ne tentait de convaincre qui que ce soit. »
(…)
« Le témoignage de la plaignante est également corroboré par une preuve documentaire qui fait référence au harcèlement sexuel subi, et ce, avec constance et à plus d’une reprise : (…) le courriel du 25 juin 2011 sur Facebook avec L., alors que les deux croient échanger privément. »[nos soulignements]
Ainsi, l’échange de messages sur Facebook entre la plaignante et sa collègue, pourtant obtenu de manière discutable par une autre employée, a somme toute représenté un élément important pour la Commission dans l’appréciation de la crédibilité des témoins et a joué un rôle non négligeable dans la décision de la Commission, selon laquelle la plaignante avait bel et bien été victime de harcèlement de la part de son employeur.
Le syndicat canadien de la fonction publique, section locale 3535 (FTQ) c. La société des alcools du Québec (Logistique et distribution), 2011 CanLII 84831 (T.A.)
Dans cette affaire, le plaignant a été congédié à la suite d’une enquête de son employeur relativement à son absence pour cause de maladie pendant laquelle il touchait des prestations d’assurance-salaire.
Ainsi, en consultant la page Facebook du plaignant, l’employeur a constaté que celui-ci avait effectué plusieurs activités incompatibles avec le diagnostic de dépression majeure posé par son médecin. Entre autres, les photos et commentaires trouvés sur Facebook démontrent que le plaignant a obtenu un contrat de mannequin et effectué un voyage à Cuba, alors qu’il devait être en état d’incapacité de travailler. Après cette découverte, l’employeur a convoqué le plaignant, en présence de son délégué syndical, afin de le questionner sur les activités effectuées durant sa période d’invalidité. À cette occasion, le plaignant n’a aucunement fait mention de son voyage à Cuba et a nié avoir eu des activités incompatibles avec son état de santé. L’employeur a conclu que le plaignant avait commis une faute grave et avait manqué de franchise et de transparence, ce qui motiva sa décision de le congédier.
Comme l’a souligné l’arbitre, la preuve de l’employeur dans ce dossier repose presque entièrement sur le contenu de la page Facebook du plaignant, et aucune objection à cette preuve n’a été présentée.
En ce qui concerne le voyage à Cuba, l’arbitre a conclu que le plaignant n’avait aucun motif valable de ne pas se présenter au travail pour son retour progressif, tel que l’avait prescrit son médecin traitant. L’arbitre a conclu que les activités apparaissant sur la page Facebook du plaignant démontrent que s’il était en mesure de faire la fête à Cuba, il pouvait alors travailler deux jours pendant cette semaine-là, comme prévu dans le cadre de son retour progressif. L’arbitre note que suivant les informations contenues sur Facebook, le plaignant semblait n’être aucunement privé de ses moyens et s’être amusé comme toute personne normale de son âge.
Quant à la fiabilité du contenu d’une page Facebook, l’arbitre a émis les commentaires suivants :
« Je peux comprendre que le contenu d’une page Facebook est romancé la majorité du temps par leurs auteurs. Les personnes qui écrivent sur les réseaux sociaux ne sont pas assermentées lorsqu’elles prennent le clavier et elles ne s’engagent pas à dire toute la vérité… rien que la vérité! J’ai considéré les récits de M. M.dans leur ensemble et je suis parvenu à la même conclusion que le docteur L.à l’effet que M. M.n’avait aucune condition invalidante pour reprendre son travail progressivement à compter du 28 mars. Il manifestait de l’intérêt envers des projets et recherchait le plaisir. »
Ainsi, malgré la fiabilité relative des propos tenus sur Facebook, l’arbitre y a accordé un degré d’importance élevé dans l’évaluation qu’il a faite de l’état du plaignant.
En définitive, l’arbitre a retenu que le plaignant a manœuvré afin de retarder son retour au travail et partir en voyage à Cuba, un choix qui doit donc être assumé. Ainsi, l’arbitre a conclu que la progression des sanctions n’est pas applicable en l’espèce et que le lien de confiance a été rompu. Le congédiement a été maintenu.
Durocher-Lalonde c. 9096-0469 Québec inc., 2011 QCCRT 490
Dans cette troisième et dernière affaire, la plaignante, une esthéticienne en période d’essai dans un hôtel, conteste le congédiement qui lui a été imposé par l’employeur à la suite de propos qu’elle a tenus sur Facebook. Fait intéressant, les propos ont été tenus sur la page Facebook d’une autre employée en utilisant son identité, alors que celle-ci s’était absentée de son poste de travail. La plaignante conteste son congédiement en alléguant que celui-ci est survenu en raison du fait qu’elle était enceinte.
Les faits de cette affaire sont relativement simples. La plaignante, au début de sa journée de travail, constate que sa collègue qui travaillait la veille a laissé l’ordinateur ouvert et, surtout, n’a pas désactivé sa session d’utilisation de son compte Facebook. La plaignante y ayant alors accès, y inscrit le message suivant diffuséà tous les contacts de sa collègue :
« Demission donnes, byebye gouverneur, une equipe de marde de meme pas besoin de ca, esthéticienne pourri, masso lache termineto »
(Reproduit tel quel dans la décision)
La collègue viséeest rapidement informée que quelqu’un a eu accès à son compte.Elle dénonce la situation à son employeur, qui procède à une brève enquête et constate que la plaignante est à l’origine des propos rapportés. À la demande de l’employeur, la plaignante s’excuse par écrit à sa collègue. L’employeur décide néanmoins de mettre fin à la période d’essai de la plaignante.
Dans une très brève décision, la Commission a constaté que n’eut été de l’usurpation de l’identité de sa collègue de travail, l’emploi de la plaignante se serait poursuivi chez l’employeur. Considérant le recours utilisé, soit le congédiement illégal en raison de la grossesse de la plaignante, la Commission n’avait pas à juger de la gravité de la faute, il suffisait que l’employeur démontre qu’il avait une autre raison de congédier la plaignante. L’employeur a démontré que l’usurpation d’identité était la véritable cause du congédiement de la plaignante. Dans ces circonstances, la plainte a été rejetée.
On constate donc que les litiges devant les tribunaux concernant l’utilisation des médias sociaux sont de toutes natures. De nouvelles questions se poseront forcément au gré de l’évolution des différents médias sociaux et surtout de l’utilisation qu’en feront les usagers. Il est donc important de demeurer informé de toutes les tendances issues des transformations des différents médias sociaux de façon à prendre, à titre de gestionnaire des ressources humaines, des décisions éclairées.
Pour obtenir des renseignements sur le cabinet ou pour consulter ses publications, cliquez ici.
Source : VigieRT, avril 2012.