Vous lisez : Actualité en matière de cause juste et suffisante de congédiement

Il est souvent difficile pour le gestionnaire de prendre la décision de congédier un salarié qui a commis une faute. La gravité de cet écart justifie-t-elle, en soi, le congédiement? La progression dans l’imposition des sanctions nécessite-t-elle qu’une mesure moins sévère soit imposée?

Après deux ans de service continu, un salarié se sentant lésé par la décision de l’employeur de mettre fin à son emploi pour un motif disciplinaire peut déposer une plainte à la Commission des normes du travail, en application de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail. Le fardeau incombera alors à l’employeur de démontrer qu’il avait une cause juste et suffisante de remercier son employé. Nous vous proposons un survol de quelques verdicts rendus depuis le début de l’année en la matière confirmant ou infirmant les décisions des employeurs de procéder au congédiement de salariés pour différents motifs.

Mommaerts et Élopak Canada Inc., 2011 QCCRT 0375
L’employeur œuvre dans le domaine de l’imprimerie. En 2008, le plaignant est embauché à titre de cadre intérimaire. Son rôle consiste essentiellement à gérer un projet d’implantation de nouvelles technologies d’impression pour améliorer la gamme des services offerts par l’employeur. Le plaignant reçoit en 2009 une évaluation confirmant un rendement exceptionnel. Commencent alors des discussions et des négociations concernant son augmentation salariale. Il obtient une augmentation de 13 %, comparativement au 3 % que d’autres salariés ont eu.

Plus tard en 2009, l’entreprise se réorganise, ce qui entraîne une participation plus grande de sa section européenne. Le plaignant est en désaccord avec l’implication accrue des Européens, il considère que cela affectera son leadership. Il adopte dès lors une attitude négative envers les dirigeants de l’entreprise avec qui il est en contact. Il envoie notamment deux courriels par lesquels il soulève le manque d’autorité qui lui est conférée et sa rémunération insuffisante pour mener à bien le projet. Il termine son dernier courriel en mentionnant que ses demandes sont fondamentales pour qu’il continue son travail. La confiance de l’employeur commence à s’effriter.

En 2010, le plaignant est de moins en moins présent dans l’entreprise et omet de répondre à des courriels importants. D’autres discussions surviennent quant aux augmentations salariales demandées par le plaignant, et il y a prise de bec à ce sujet. Celui-ci quitte alors le travail pour quelques jours et ne répond pas aux appels ni aux courriels de l’employeur. Aussitôt revenu au travail, il exige à nouveau une augmentation salariale substantielle. Le plaignant étant souvent absent, la survie du projet pour lequel il avait été embauché est compromise. Dans les circonstances, l’employeur décide de mettre fin à son emploi, et cette décision est contestée par le plaignant.

La Commission juge que dans les circonstances, le principe de la progression des sanctions ne pouvait trouver application. En effet, le plaignant étant un cadre responsable de l’exécution du projet, une suspension lui aurait fait perdre toute crédibilité. De plus, le plaignant était responsable d’un projet sur lequel reposait la survie de l’entreprise. L’employeur avait avisé le plaignant à de multiples reprises que s’il ne modifiait pas son comportement, il serait congédié.

Le plaignant ayant négligé ses responsabilités dans le but évident de mettre de la pression sur l’employeur afin que celui-ci augmente son salaire, de l’avis de la Commission, l’employeur avait une cause juste et suffisante de le congédier.

Allard c. Industries Mailhot Inc., 2011 QCCRT 0411
L’employeur est un fabricant de vérins hydrauliques exploitant plusieurs usines en Amérique du Nord. La plaignante travaille pour lui depuis plus de vingt ans. Au moment de son congédiement, elle porte le titre de directrice des ressources humaines. Elle est également la principale collaboratrice du président et, à ce titre, s’occupe de ses affaires tant personnelles que professionnelles. Elle gère notamment l’agenda personnel du président, son courrier, ses affaires comptables et administre son compte personnel. Au fil des ans, la plaignante devient une proche du président et donc une personne de confiance.

En mars 2009, une irrégularité concernant une facture pour l’achat d’une paire de bottes soulève un questionnement chez le vice-président. Questionnée, la plaignante soutient qu’elles ont été achetées pour elle-même, alors qu’elles l’ont, au contraire, été pour son fils. Après vérifications, il en a été de même pour les années 2006 et 2007. La plaignante en vient à avouer sa faute quelques semaines plus tard.

Averti de la situation, le président rencontre la plaignante le lendemain de l’aveu. Cette fraude mettant en cause une personne près de la direction, l’affaire est prise au sérieux. Au cours de cette rencontre, le président questionne la plaignante pour savoir si elle a commis d’autres gestes de la sorte. Elle avoue alors avoir retiré environ 6 000 $ dans le compte de banque du président (la preuve révélera qu’elle avait plutôt pris près de 14 000 $). La plaignante explique qu’elle a pris ces montants, mais qu’elle les a remboursés, sans avoir conservé le relevé de ces transactions. La plaignante explique au surplus que le président l’avait autorisée à prendre de l’argent dans son compte en 2005, au besoin, pour des travaux de rénovation à sa résidence.

Le président est alors formel, la relation de confiance ayant existé entre eux est terminée. Elle relèvera ainsi désormais du vice-président RH et Affaires corporatives. Il lui propose de rester à son emploi encore six mois pour lui laisser le temps de se trouver un nouvel emploi et de rembourser les sommes qu’elle lui a subtilisées. Elle recevra effectivement une lettre de congédiement plusieurs mois plus tard.

De l’avis de la Commission, compte tenu du poste occupé par la plaignante, les trois achats frauduleux de bottes auraient à eux seuls pu justifier le congédiement. Quant à l’incident des retraits au compte bancaire, la version de la plaignante selon laquelle elle avait l’autorisation du président n’est pas retenue. Elle a plutôt profité de la confiance du président.

La situation est plus délicate en ce qui concerne le temps qui s’est écoulé avant le congédiement effectif de la plaignante. En effet, après avoir constaté la faute de la plaignante, l’employeur a maintenu son emploi plusieurs mois. La question se pose sur la réelle perte de confiance de l’employeur envers la plaignante. Celle-ci, après plusieurs mois, ne quitte pas de son plein gré, mais attend plutôt sa mise à pied par l’employeur. La Commission retient que l’employeur n’a pas tardé à communiquer sa décision de congédier la plaignante, pour une cause juste et suffisante, au moment où il a eu connaissance des faits et a simplement retardé de six mois son départ. Le congédiement est confirmé.

Baroni c. Provigo Québec Inc. Loblaws, 2011 QCCRT 0289
Le plaignant, gérant d'épicerie de nuit chez Provigo, conteste devant la Commission des relations du travail le congédiement qui lui a été imposé par l'employeur. Il avait alors plus de dix ans de service, dont environ cinq ans à titre de gérant de nuit.

Le plaignant avait déjà à son dossier deux mesures disciplinaires pour des retards et des absences injustifiées.

L’employeur, au soutien du congédiement, reproche au plaignant d'avoir poussé, lancé et entassé de l’équipement, des outils de travail et d'autres matériaux dans un réfrigérateur laitier, et ce, afin de ralentir l'équipe de jour. Mis au courant de ces faits, l’employeur suspend pour enquête le plaignant. Cette enquête permettra ainsi à l’employeur de questionner le plaignant, celui-ci se contentant de nier les faits. Notons que l’employeur détenait une bande vidéo montrant le plaignant en train de commettre les gestes imputés.

En raison de la négation des manquements qui lui étaient reprochés, et ce, à au moins trois reprises, que ce soit lors de la rencontre de suspension aux fins d'enquête, lors de la remise de la lettre de congédiement qui lui était adressée et même devant le tribunal, la Commission a conclu, après avoir visionné la preuve vidéo, que le plaignant avait menti.

À cet égard, malgré le fait que dans d’autres circonstances, les manquements reprochés n'auraient pas justifié un congédiement, l’attitude du plaignant a contribué à ses malheurs et a fait en sorte qu’il perde son recours. Le lien de confiance nécessaire au maintien de son emploi était irrémédiablement rompu, considérant, en plus, qu'il occupait un poste de cadre.

Dans ces circonstances, bien qu'aucun réel dommage n'ait été constaté aux biens de l'employeur, la Commission des relations du travail a maintenu le congédiement du plaignant.

Edwards c. Compagnie Wal-Mart du Canada, 2011 QCCRT 0205[1]
Le plaignant travaillait à titre de technicien en mécanique automobile dans l’un des garages de la chaîne Wal-Mart.

En novembre 2008, un avis verbal est donné au plaignant, celui-ci ayant contrevenu à une politique d’entreprise de Wal-Mart. L’employeur reprochait alors au plaignant de s’être querellé avec le gérant du garage dans l’aire du service à la clientèle en présence de deux clients.

Plusieurs mois plus tard, une autre altercation impliquant le plaignant survient, cette fois-ci avec un autre employé. Ceux-ci se disputent relativement à la procédure à suivre dans le service aux clients, et la situation dégénère. Tout de suite après l’incident, alors que le collègue du plaignant est près d’une clôture extérieure, le plaignant jette avec force par terre une pince avec laquelle il travaillait, se précipite vers son collègue et donne un coup de pied sur la porte de la même clôture. Il lui crie de partir, à défaut de travailler. Un troisième employé intervient et calme la situation. Tous les trois finissent par se remettre au travail. Aucun client n’est témoin de la scène. Le plaignant reconnaît que ses gestes sont inappropriés et à l’encontre de la politique de Wal-Mart.

L’employeur demande au plaignant et à son collègue de rédiger un rapport sur la situation, dans lequel ils expliquent leur version des faits. Le plaignant est suspendu pour enquête, avec traitement.

Le plaignant revient au travail quelques jours plus tard. On lui dit que l’enquête est toujours en cours et de retourner chez lui. Il croise un autre salarié qui avait été témoin de la scène et, aux dires de ce dernier, lui fait alors des menaces. S’il perd son emploi, le plaignant réglera des comptes.

Le plaignant est congédié le lendemain. En effet, au terme de son enquête, l’employeur invoque la faute grave.

La Commission retient que lorsque le plaignant a lancé son outil ou qu’il a donné un coup de pied dans la clôture, il ne voulait faire de mal à personne. Il ne peut être qualifié dans ces circonstances, tout comme l’autre salarié impliqué dans l’altercation, d’agresseur. De plus, aucune preuve qu’un client a été importuné n’est soumise à la Commission. Quant aux menaces proférées à son collègue lors du « retour au travail », la Commission doute de la crédibilité du témoignage rendu par l’employé en question.

La Commission conclut que le plaignant a en effet commis une faute, mais que celle-ci ne justifiait pas un congédiement. Le plaignant est un bon travailleur et il exprime des regrets. La Commission s’en remet ainsi au principe de la progression des sanctions et substitue au licenciement un avis écrit.

Ces décisions illustrent bien que la gravité d’une faute, eu égard à la notion de cause juste et suffisante de congédiement, est largement tributaire des circonstances associées à chaque cas. Une analyse détaillée de chaque situation s’impose donc au gestionnaire, de façon à tenir compte de tous les facteurs susceptibles d’avoir une incidence sur la décision à prendre.

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Source : VigieRT, octobre 2011.


1 Il convient de noter qu’une procédure de révision judiciaire de cette décision est en cours.
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