Dans une décision rendue en octobre 2016[1], la Cour supérieure du Québec a jugé qu’une accusation d’homicide involontaire coupable au moyen d’un acte illégal[2] pouvait être fondée sur une infraction à la législation provinciale en matière de santé et de sécurité au travail. En conséquence, l’employeur dans cette affaire fera face à deux chefs d’accusation criminelle à la suite du décès d’un travailleur, soit celui d’homicide involontaire coupable en plus de celui de négligence criminelle causant la mort[3].
Les entreprises devront ainsi redoubler d’ardeur pour s’assurer que leurs processus sont conformes aux normes applicables en matière de santé et de sécurité au travail, et du même coup, rappeler à leurs employés, à leurs superviseurs et à leurs gestionnaires l’importance de connaître et de respecter ces normes. Au cas contraire, les personnes concernées, de même que les entreprises elles-mêmes, pourraient faire face à des conséquences de plus en plus lourdes.
Faits
En avril 2012, un employé décède au travail lorsque les parois d’une excavation au fond de laquelle il remplaçait de la tuyauterie s’effondrent et l’ensevelissent. Le propriétaire de l’entreprise qui l’emploie est également présent au moment de l’effondrement, mais s’en sort indemne. Des accusations criminelles seront portées contre ce dernier subséquemment.
La preuve présentée par la Couronne pendant l’enquête préliminaire a révélé que les parois de l’excavation qui se sont effondrées n’avaient pas été étançonnées convenablement et que des matériaux avaient été placés directement sur le bord des parois, contrevenant ainsi à l’article 3.15.3 du Code de sécurité pour les travaux de construction[4] (Code de sécurité).
Le propriétaire a initialement été accusé de négligence criminelle causant la mort, mais la Couronne a également demandé à ce qu’il soit accusé d’homicide involontaire coupable. C’est au sujet de cette dernière accusation seulement que le propriétaire a contesté, devant la Cour supérieure, son renvoi à procès.
Quant à l’accusation de négligence criminelle causant la mort, rappelons simplement qu’en 2004, le projet de loi C-45 est entré en vigueur et est venu imposer, par l’ajout de l’article 217.1 au Code criminel, l’obligation suivante aux personnes qui supervisent l’accomplissement d’un travail :
« Il incombe à quiconque dirige l’accomplissement d’un travail ou l’exécution d’une tâche ou est habilité à le faire de prendre les mesures voulues pour éviter qu’il n’en résulte de blessure corporelle pour autrui. »
Il est prévu au Code criminel que quiconque, par négligence criminelle, cause la mort d’une autre personne est coupable d’un acte criminel passible de l’emprisonnement à perpétuité[5].
Décision
Le juge de la Cour supérieure avait donc à trancher la question suivante : une accusation d’homicide involontaire coupable peut-elle être fondée sur une infraction de responsabilité stricte à une loi ou à une réglementation provinciale portant sur la santé et la sécurité au travail? En d’autres mots, une infraction à l’article 3.15.3 du Code de sécurité peut-elle constituer « l’acte illégal » ayant entraîné la mort? Après avoir fait une revue exhaustive de la jurisprudence et de la doctrine pertinentes, le juge a décidé que le propriétaire était renvoyé à procès à juste titre pour l’accusation d’homicide involontaire coupable.
Le juge a notamment mentionné que les articles 51, 236 et 237 de la LSST[6], de même que l’article 3.15.3 du Code de sécurité, avaient pour effet de créer une obligation pour les employeurs de prendre les mesures nécessaires afin d’assurer la protection et la sécurité des travailleurs. Puisque l’enquête préliminaire avait permis de démontrer que l’article 3.15.3 du Code de sécurité n’avait pas été respecté par le propriétaire, le juge a conclu que ce manquement pouvait constituer l’acte illégal sur lequel pouvait se fonder une accusation d’homicide involontaire coupable[7], moyennant certains critères.
Ainsi, lorsque l’infraction sous-jacente sur laquelle se fonde une accusation d’homicide involontaire coupable consiste en une infraction de responsabilité stricte, la poursuite doit établir les éléments suivants, hors de tout doute raisonnable : i) que l’infraction de responsabilité stricte constituait un acte objectivement dangereux; ii) que l’acte constituait un écart marqué et important par rapport à la norme de prudence que respecterait une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances et; iii) qu’une personne raisonnable aurait, dans les mêmes circonstances, été consciente du risque de lésion corporelle.
En tenant compte des faits particuliers en cause, le juge a décidé qu’une infraction à l’article 3.15.3 du Code de sécurité satisfaisait ces critères et a confirmé la décision du juge présidant l’enquête préliminaire : le propriétaire serait renvoyé à procès à l’égard de l’accusation de négligence criminelle causant la mort et de l’accusation d’homicide involontaire coupable.
Analyse
Cette affaire ouvre ainsi une nouvelle brèche en matière de responsabilité criminelle en contexte de santé et de sécurité du travail. En effet, les infractions à certaines dispositions de la législation provinciale sur la santé et la sécurité au travail peuvent désormais exposer les employeurs ou les personnes dirigeant l’accomplissement d’un travail à une accusation d’homicide involontaire coupable, en plus de celle de négligence criminelle.
Rappelons par ailleurs que la protection des tranchées constitue l’un des sujets prioritaires de la CNESST au Québec et que l’employeur avisé devrait ainsi redoubler les efforts déployés en matière de prévention.
Cette affaire semble par ailleurs s’inscrire dans un contexte plus général de durcissement du ton des tribunaux en pareille matière. Par exemple, dans une décision rendue par la Cour supérieure de l’Ontario[8] en 2016, un superviseur a été condamné à une sentence de trois ans et demi d’emprisonnement sous quatre chefs d’accusation de négligence criminelle ayant causé la mort et un chef d’accusation de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles à la suite de l’effondrement d’une passerelle ayant notamment coûté la vie à quatre travailleurs. De plus, l’entreprise pour laquelle ce superviseur travaillait a été condamnée à payer une amende de 750 000 $ à la suite d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario découlant des mêmes événements[9].
Cette tendance devrait inciter davantage les employeurs à faire preuve d’initiative en ce qui a trait aux exigences en matière de santé et de sécurité au travail, tout en ne perdant pas de vue l’objectif principal : assurer la sécurité et le bien-être des travailleurs.
Source : VigieRT, mai 2017.
1 | Fournierc.R, 2016 QCCS 5456. |
2 | Code criminel, LRC 1985, c C-46, art. 222(5)a). |
3 | Id, art. 220(b). |
4 | Code de sécurité pour les travaux de construction, RLRQ c S-2.1, r 4. |
5 | Op. cit., note 3. |
6 | Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1. |
7 | Op. cit., note 2, art. 222(5)a). |
8 | R.vVadim Kazenelson, 2016 ONSC 25. |
9 | R.vMetron Construction Corporation, 2013 ONCA 541. |