Vous lisez : Absentéisme prolongé et maladie : droit de gérance et droits fondamentaux du salarié

Dans la foulée des récents jugements de la Cour suprême, particulièrement les affaires Hydro-Québec[1] et Centre de santé universitaire McGill[2], l’obligation d’accommodement de l’employeur s’est trouvée davantage circonscrite. Dans l’analyse de la situation propre d’un salarié aux prises avec des problèmes de santé ou encore dans la mise en œuvre de mesures d’accommodement personnalisées, l’employeur et certains de ses représentants auront donc accès à certaines informations confidentielles et protégées par le secret professionnel. Comment réconcilier le droit de gérance de l’employeur et la vie privée du salarié?

Tel qu’il appert de l’article 2085 du Code civil du Québec, il est de l’essence du contrat de travail que le salarié fournisse effectivement une prestation de travail au bénéfice et sous la direction de l’employeur. Or, certaines dispositions législatives, particulièrement l’article 79.1 de la Loi sur les normes du travail[3], permettent au salarié de s’absenter pour cause de maladie ou d’accident, autre qu’un accident de travail ou une maladie professionnelle[4]. En milieu syndiqué, bon nombre de conventions collectives de travail contiendront des dispositions ayant pour effet de maintenir le lien d’emploi d’un salarié absent pour cause de maladie ou d’accident, et ce, pour une durée considérable.

Ainsi, l’employeur aura souvent intérêt à connaître certaines informations relatives à l’état de santé de son salarié, et ce, pour moult raisons et dans différentes situations, dont le contrôle du bien-fondé de la raison justifiant l’absence prolongée, l’assurance de la capacité du salarié de fournir efficacement sa prestation de travail, la détermination du pronostic de retour au travail dans un avenir raisonnablement prévisible, l’aménagement de certaines mesures d’accommodement, ou simplement la protection de la santé et de la sécurité du salarié lui-même et des autres membres de son personnel. À ce titre, l’employeur doit prendre les mesures appropriées pour protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié[5].

Le droit à la vie privée, l’inviolabilité de la personne humaine et le secret professionnel sont garantis et protégés dans la Charte des droits et libertés de la personne[6]. En outre, le Code civil du Québec[7] renferme certaines dispositions d’ordre public relativement au droit à la vie privée. Par ailleurs, quant à l’état de santé d’un individu, la Loi sur les services de santé et les services sociaux[8] et la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé[9] prévoient clairement que le dossier médical d’un usager ou d’un patient ne pourra être transmis à un tiers, dont l’employeur, que dans la mesure ou consentement à la transmission du dossier est signé. Alors, comment réconcilier les droits et obligations des parties à un contrat de travail?

Le droit de l’employeur de requérir un certificat médical
Dans le cas précis d’une absence pour cause de maladie ou d’accident, l’employeur pourra s’assurer qu’au moment de réintégrer ses fonctions, le salarié sera en mesure de s’acquitter de ses fonctions et de fournir une prestation de travail satisfaisante, dans les circonstances. Ainsi, l’employeur pourra demander au salarié qui amorce un retour au travail qu’il lui fournisse un certificat médical ou une attestation écrite à savoir qu’il est pleinement capable d’effectuer son travail. Ce faisant, l’employeur aura le bénéfice de connaître, s’il en est, les recommandations quant aux modalités d’un retour au travail (progressif ou non, à temps plein ou à temps partiel, travaux légers ou affectations particulières) et de procéder aux aménagements nécessaires.

Ce droit de l’employeur qui pourrait, en milieu syndiqué, être prévu et balisé par une convention collective, doit être exercé raisonnablement, de bonne foi et tenir compte de la nature des circonstances.

Un tel certificat devrait préciser la nature de l’accident ou de la maladie, soit le diagnostic, mais également le pronostic, faisant état de la date prévisible d’un retour au travail ou d’une réévaluation médicale. Bien qu’il soit reconnu que l’employeur puisse, notamment lorsque la nature de l’emploi, de l’entreprise et de la maladie le justifient, demander au salarié de lui fournir un certificat médical encore plus précis et détaillé, il ne pourra pas faire de zèle ni agir de façon déraisonnable.

L’employeur ne saurait simplement se refuser à réintégrer le salarié parce qu’il remet en cause les conclusions du médecin traitant ou en craignant la complaisance de ce médecin, surtout en l’absence d’événements antérieurs survenus au travail laissant clairement présager de réelles difficultés d’exécution des tâches du salarié.[10]

Appelés à statuer sur de telles questions, les tribunaux, particulièrement la Commission des relations du travail ou les arbitres de griefs, n’accordent pas foi au seul jugement de l’employeur quant à l’aptitude du salarié qui retourne au travail à la suite d’une absence pour cause de maladie ou d’accident. Dans la mesure où l’employeur aurait de réels motifs de douter des conclusions du médecin traitant qui apparaissent sur le certificat médical, il ne saurait simplement suspendre provisoirement, voire congédier le salarié. Le cas échéant, il s’expose à un grief ou encore à une plainte pour pratique interdite, déposée en vertu de l’article 122 de la LNT, auquel cas une présomption favorable au salarié – faire l’objet d’une mesure de représailles en raison de l’exercice d’un droit conféré par la loi – pourra s’appliquer.

Dans de telles situations, avant d’agir, il serait avisé pour l’employeur de demander à un médecin dûment qualifié de procéder à une contre-expertise, avec ou sans examen médical du salarié, selon les circonstances propres à chaque cas.[11] Par conséquent, advenant qu’elle soit l’objet d’une plainte ou d’un grief, l’employeur sera donc en mesure de défendre la décision qu’il aura prise et de l’appuyer sur une opinion médicale.

L’examen médical auprès du médecin désigné par l’employeur
Dans cette perspective, l’employeur pourra mandater un médecin pour procéder à une expertise ou à une contre-expertise de l’état de santé du salarié. L’employeur sera fondé à recourir à une telle mesure, notamment si la convention collective le prévoie clairement ou, en l’absence d’autorisation, en utilisant son droit de gérance lorsqu’il existe des motifs raisonnables pour ce faire, compte tenu des droits fondamentaux du salarié et des intérêts légitimes de l’employeur.

L’employeur pourra ainsi s’assurer de façon ponctuelle de la capacité du salarié d’effectuer ses tâches adéquatement et efficacement, et ce, en toute sécurité pour lui-même et pour ses collègues. Cette avenue sera également à privilégier, dès lors que l’employeur remet en cause les conclusions du médecin traitant du salarié, exposées dans un certificat médical ou autre, ou encore pour répondre à un rapport d’expertise, particulièrement dans un cas d’absentéisme excessif.

L’employeur aura tout intérêt à procéder de la sorte pour connaître la durée prévisible de l’invalidité du salarié et déterminer ou non s’il continuera d’accommoder le salarié, notamment lorsque la durée de l’absence permise par la convention collective ou celle prévue à la LNT sera excédée.

Dans certaines circonstances, l’employeur pourra contraindre le salarié à se soumettre à un examen médical, et ce, en cours d’emploi, même sans absence pour cause de maladie ou d’accident. L’employeur pourra le faire, notamment dans le cadre de manifestations graves dans le rendement du salarié, des signes ou des manifestations d’un comportement anormal ou d’une déficience mentale susceptible de compromettre la prestation de travail satisfaisante du salarié ou la capacité du salarié de satisfaire aux attentes raisonnables de l’employeur. Ce droit découle également des droits de l'employeur et de la responsabilité qu'il est susceptible d'assumer pour les faits et gestes fautifs de ses salariés, en vertu de l'article 1463 C.c.Q[12].

En cours d’emploi, l’employeur pourrait également exiger un examen médical, dans le cas où un salarié postule un autre emploi au sein de l’entreprise, ou souhaite être muté à un autre poste, lorsqu’il a des motifs raisonnables de croire que le salarié intéressé n’a pas les capacités physiques ou mentales d’assumer ces nouvelles responsabilités.

Lorsque l’employeur est justifié de procéder de la sorte, il pourra alors convoquer le salarié chez un médecin qu’il aura désigné afin de le soumettre à un examen médical pour lui permettre de se prononcer sur ses capacités. Il peut arriver qu’un médecin procédant à une expertise ait vraiment besoin de consulter le dossier médical ou hospitalier du salarié, seulement lorsqu’il est démontré qu’un tel dossier lui permettra de se prononcer adéquatement sur la capacité de travail.

Dans tous ces cas, le salarié devra alors collaborer, sous peine de se voir imposer des mesures administratives, telle la suspension provisoire, ou disciplinaires en raison de son insubordination. Dès lors qu’une telle sanction constitue la conséquence du refus du salarié d’accéder à une demande juste et légitime de l’employeur, la mesure administrative ou disciplinaire sera maintenue[13]. En effet, un tribunal d’arbitrage, saisi d’un grief contestant une suspension d’une durée indéterminée d’un salarié s’étant soumis à une évaluation psychiatrique, mais refusant au médecin expert l’accès à la portion psychiatrique de son dossier médical au cours des trois années précédentes, a statué qu’une telle demande était pleinement justifiée dans les circonstances de cette affaire, et que la suspension était causée par le refus injustifié du plaignant. Le grief fut rejeté[14].

L’employeur pourrait ainsi repousser la présomption de l’article 122 de la LNT puisqu’il aura imposé une mesure pour une cause juste et suffisante étrangère – insubordination – au fait que le salarié ait exercé un droit qui lui est conféré par la loi.[15]

Enfin, le tribunal saisi de la question scrutera les motifs de l’employeur et s’assurera qu’une telle demande ne constitue pas du harcèlement ou un moyen détourné pour se départir des services du salarié. L’employeur devra démontrer qu’il a exercé son droit d’une façon qui ne soit ni abusive, ni arbitraire, ni discriminatoire compte tenu de toutes les circonstances. En outre, les tribunaux examineront la portée de l’examen médical, mais également des documents dont on demande la communication. En ce sens, cet examen de même que les documents requis devraient être limités à ce qui est strictement nécessaire et non pas constituer un prétexte pour connaître de façon trop large l’état de santé du salarié.

En somme, bien que l’employeur, en vertu de son droit de gérance, puisse connaître l’état de santé du salarié afin de s’assurer qu’il est apte à s’acquitter de ses tâches adéquatement, il devra faire preuve de prudence afin de s’en tenir à ce qui est strictement nécessaire, dans les circonstances. Lorsque des circonstances bien particulières et propres à chaque cas le justifient, il pourra mandater un médecin qu’il aura désigné afin d’obtenir une opinion quant aux capacités physiques et psychologiques du salarié, strictement en lien avec l’emploi exercé, et ainsi prendre les décisions qui s’imposent. Dans tous les cas, la prudence est de mise, car les tribunaux sanctionnent sévèrement tout abus dès lors que l’employeur agira déraisonnablement ou de mauvaise foi.

Gilles Rancourt, CRIA, et Pierre-Étienne Morand, avocats au sein du groupe de Droit du travail et de l’emploi, Heenan Blaikie Aubut, partie intégrante de Heenan Blaikie S.E.N.C.R.L., S.R.L., Avocats, Québec.

Source : VigieRT, numéro 33, décembre 2008.


1 Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43.
2 Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, [2007] 1 R.C.S. 161.
3 L.R.Q., chapitre N-1.1 (ci-après « LNT »).
4 Le cas échéant, le régime de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, L.R.Q. c. A-3.001 sera applicable.
5 Voir l’article 2087 C.c.Q. et l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.R.Q., c.S-2.1.
6 L.R.Q., chapitre C-12. Voir les articles 5 et 9.
7 Voir les articles 35 et 36.
8 L.R.Q., chapitre S-4.2.
9 L.R.Q., chapitre P-39.1.
10 Gionest et Hôtel motel Manoir Percé inc., D.T.E. 2004T-862 (CRT).
11 Roy et 2753-5632 Québec inc., D.T.E. 92T-343 (CRT).
12 Fraternité des policiers de la ville de Ste-Thérèse Inc. et Ste-Thérèse (Ville de), D.T.E. 90T-1050 (Me André Rousseau, arbitre).
13 Syndicat des fonctionnaires municipaux de Montréal (S.C.F.P.) et Montréal (Communauté urbaine de), D.T.E. 200T-858 (M. Fernand Morin, arbitre).
14 Ibid.
15 Béland et Sucre Lantic ltée, D.T.E, 97T-1026 (CRT).
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