Le party de Noël est une belle occasion de célébrer entre collègues de travail la fin d’une année bien remplie. L’employeur en profite pour démontrer sa reconnaissance à ses employés; il participe aux dépenses, repas, réservation de salle, alcool… Mais cette ambiance chaleureuse peut se transformer pour certains en lendemain de veille difficile, en cas de comportement déviant.
Le cas de Suzanne
Suzanne se souviendra longtemps de son party de Noël de décembre 2004. Elle est alors serveuse dans un resto-pub de la région Laurentides-Lanaudière, après avoir travaillé auparavant dans une grande entreprise de Montréal. Elle aime bien ce travail qu’elle occupe depuis environ un an et demi. Elle s’entend bien avec les autres serveuses ainsi qu’avec les deux frères propriétaires, Daniel et Marcel. Ces derniers décident d’organiser une soirée de reconnaissance. Pour s’amuser, quelques serveuses proposent un échange de cadeaux non nominatifs « à thème érotique ».
Informée d’une telle proposition, Suzanne manifeste son étonnement et son désaccord aux propriétaires. Le concept de la soirée est tout de même maintenu. Suzanne choisit finalement d’acheter un ensemble de fondue au chocolat.
Après le repas a lieu l’échange de cadeaux. Parmi ceux-ci, des menottes… Certains s’amusent alors à se menotter mutuellement. À sa table, Suzanne voit tout à coup Marcel s’approcher d’elle avec les menottes et se retrouve aussitôt les mains attachées derrière le dossier de sa chaise. Alors qu’elle est ainsi maintenue, Marcel baisse la fermeture-éclair de son chandail. Elle lui dit fermement : « Marcel, non ». Elle trouve que la blague va trop loin.
Elle tente de se défaire des menottes, mais Marcel lui maintient les mains avec l’une des siennes. De l’autre main, il extirpe des glaçons d’un pichet d’eau et les introduit dans le soutien-gorge de Suzanne en touchant son sein jusqu’à l’extrémité à deux reprises. Une des serveuses intervient, interpelle Marcel, le somme d’arrêter.
Suzanne, enfin libérée, reste figée sur sa chaise. « J’étais en état de choc », dira-t-elle. Puis elle quitte précipitamment la soirée.
Elle retourne chez elle, ne parle pas immédiatement de l’incident à son conjoint. Se sentant salie, trahie et humiliée par cet attouchement, elle prend une douche. Elle pleure, n’arrive pas à dormir. Finalement, le lendemain, elle se confie à son conjoint. Puis, à son retour de congé, elle demande des explications à son patron. Marcel s’excuse, invoque le fait qu’il avait pris quelques verres de trop et lui demande de ne pas en parler à sa conjointe.
Suzanne croit alors avoir la force de recommencer à travailler. Mais son retour est pénible, elle ne veut ni ne peut revoir Marcel. Il la « dégoûte », elle le craint et a peur de lui : « J’avais le sentiment clair que demeurer à l’emploi, surtout avec l’attitude de Marcel qui minimisait l’importance de sa faute, donnait l’impression à tous ceux présents à la soirée que j’acceptais sa conduite, que ses gestes étaient finalement banals, qu’il ne s’était finalement rien passé ». Dans ce climat de travail, où elle est supervisée par son agresseur, elle étouffe. Après sa journée de travail, elle est épuisée. Elle a les nerfs à fleur de peau, pleure souvent, refuse que son conjoint la touche ou la surprenne lorsqu’elle lui tourne le dos.
Finalement, Suzanne démissionne et dépose une plainte pour harcèlement psychologique.
La responsabilité de l’employeur
Ce cas vécu (Houle c. 9022-3363 Québec inc. (Le Pub St-Donat enr.) DTE 2007T-722) démontre bien la possibilité de débordements pouvant survenir à l’occasion d’une soirée qui devrait pourtant être une occasion de se réjouir et de conclure une année bien remplie.
Dans ce cas, l’employeur a pu être étonné que sa conduite puisse être sanctionnée par la Loi sur les normes du travail, car « l’incident » s’est passé en dehors des heures de travail.
La jurisprudence abonde en cas d’écarts de conduite de la part de collègues ou d’un patron lors de soirées qui ont mal tourné. Dans chaque cas, le tribunal considère que de tels événements sont liés au travail puisqu’ils découlent essentiellement d’une relation d’emploi, même s’ils ont lieu en dehors de l’horaire et des lieux du travail.
Le milieu de travail ne se limite pas aux lieux où le travail est exécuté. Depuis longtemps, on a reconnu que le milieu de travail inclut aussi les activités sociales ou autres fêtes organisées par l’employeur, et ce, peu importe qu’elles se tiennent dans les locaux de l’employeur ou à l’extérieur de ceux-ci. Que ce soit un souper organisé par l’entreprise afin de récompenser ses salariés ou un « party de Noël », il s’agit toujours d’activités découlant du travail et l’employeur a la responsabilité de voir à ce que tout se déroule correctement.
À cet égard, un employeur est en droit de demander à ses salariés qu’ils adoptent une conduite exempte de harcèlement à l’égard de leurs collègues. À plus forte raison, un employeur doit lui-même observer le comportement qu’il exige de ses salariés.
De plus, il est reconnu depuis fort longtemps que la notion de harcèlement psychologique inclut le harcèlement sexuel et la violence. Il revient à l’employeur de fournir un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique et d’assurer la santé, la sécurité et la dignité de ses salariés. Il doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir toute forme de harcèlement et intervenir pour faire cesser toute conduite harcelante lorsqu’il en est informé.
Une telle soirée peut donc se transformer en cauchemar, et pas uniquement pour la victime de telles conduites graves et inacceptables.
La position du tribunal
Dans le cas de Suzanne, il apparaît clairement qu’il s’agit d’une seule conduite grave et non pas de gestes répétés. Il faut savoir que la Loi sur les normes du travail prévoit qu’en matière de harcèlement, une seule conduite grave peut constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
Dans l’affaire qui nous intéresse, le tribunal souligne à juste titre que l’attouchement sexuel fait par Marcel constitue une conduite grave qui porte atteinte à la dignité de Suzanne. À l’évidence, cette atteinte a eu un effet nocif continu puisque le climat de travail de Suzanne s’est complètement détérioré. Les gestes posés par Marcel sont d’autant plus inacceptables qu’il a profité de sa situation d’autorité à l’égard de Suzanne.
Bien que Suzanne n’ait pas immédiatement réagi, qu’elle soit restée figée, on ne peut conclure à son consentement. Pour le tribunal, il apparaît clairement qu’un tel geste était non désiré et qu’une personne raisonnable placée devant une même situation ne pourrait faire autrement que conclure à une conduite grave constituant du harcèlement au sens de la Loi.
Il faut comprendre qu’en relation d’emploi, la victime, à titre de salariée, subit un effet nocif et continu du seul fait qu’elle est placée sous l’autorité de la personne qui est la cause du harcèlement. Cela implique qu’elle doit continuer sa prestation de travail sous la supervision de celui-là même qui a posé, à son égard, un geste humiliant à connotation sexuelle. On peut dès lors comprendre que cet événement a engendré une détérioration considérable des conditions et du milieu de travail de Suzanne.
Les sanctions contre l’employeur dans de tels cas sont multiples. Il pourrait notamment être condamné à verser des dommages moraux ou même exemplaires compte tenu du geste intentionnel. La Loi prévoit également le paiement d’une indemnité pour salaire perdu et/ou pour perte d’emploi.
De tels gestes posés par des collègues de travail de même niveau ou en autorité devront également être sanctionnés par l’employeur. Telle sanction peut aller jusqu’au congédiement.
Comment prévenir une situation de harcèlement à l’occasion d’un party de Noël?
Certaines entreprises prévoient des règles spécifiques lors de la tenue de telles activités, comme l’absence d’alcool ou la limitation des consommations, la désignation d’une ou plusieurs personnes pour encadrer l’événement, une programmation précise de la soirée laissant peu de place à des initiatives malheureuses, etc.
La meilleure façon est certes d’élaborer une politique sur le harcèlement psychologique d’entreprise claire et efficace. Cette politique doit être connue de tous les salariés à tous les niveaux, bien comprise par eux et appliquée de manière cohérente.
À la lumière d’une telle politique, une analyse des facteurs de risques inhérents à une activité comme une soirée de Noël devrait également être faite de manière à prévenir et à minimiser tout risque de dérapage.
Guy Poirier, CRIA, avocat, directeur général des affaires juridiques, et Robert L. Rivest, CRIA, avocat, directeur des affaires juridiques Centre de Montréal, Commission des normes du travail
Source : VigieRT, numéro 21, octobre 2007.