Vous lisez : Clause de non-concurrence : un moyen efficace et essentiel pour protéger ses intérêts

Dans une ère aussi compétitive que la nôtre, s’assurer la loyauté de ses employés peut parfois s’avérer un vrai casse-tête pour un employeur. Le développement des industries et de la technologie de même qu’un investissement de plus en plus important dans la formation des employés ont forcé les employeurs à se doter de moyens afin de se protéger contre la volatilité de la main-d’œuvre et toutes ses conséquences négatives. Rappelons qu’à défaut de prévoir une clause de non-concurrence, un employé est libre de quitter son emploi pour aller travailler chez le concurrent direct.

Ainsi, nous retrouvons au Québec un nombre grandissant de contrats de travail comprenant des clauses restrictives d’emploi, telles que les clauses de non-sollicitation et de non-concurrence, cette dernière faisant spécifiquement l’objet du présent article.

La clause de non-concurrence dans le contrat individuel de travail a pour but de restreindre, à la fin d’un emploi, la possibilité pour un ex-employé de faire directement concurrence à son ancien employeur. Le présent article propose donc une revue des différentes modalités entourant ce type de clause.


Clause de non-concurrence
Les tribunaux québécois ayant unanimement reconnu la légalité des clauses de non-concurrence après l’expiration du contrat de travail, ceci est désormais codifié dans le Code civil du Québec à l’article 2089, lequel stipule que :

« Les parties peuvent, par écrit et en termes exprès, stipuler que, même après la fin du contrat, le salarié ne pourra faire concurrence à l’employeur ni participer à quelque titre que ce soit à une entreprise qui lui ferait concurrence.

Toutefois, cette stipulation doit être limitée, quant au temps, au lieu et au genre de travail, à ce qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur.

Il incombe à l’employeur de prouver que cette stipulation est valide. »

À la lumière de cet article, nous pouvons constater que la validité d’une telle clause est sujette à certaines conditions strictes et s’apprécie en évaluant trois critères particuliers, soit :

  1. la durée de la restriction;
  2. l’étendue territoriale de la restriction;
  3. la nature et la portée des activités assujetties à la restriction.


a) Durée de la restriction
Il est primordial de prévoir une durée d’application de la clause de non-concurrence. Ainsi, une telle clause qui ne comprendrait aucune durée fixe ou même qui serait d’une durée illimitée serait automatiquement jugée déraisonnable et annulée par un tribunal.

En général, une clause de non-concurrence d’une durée d’un an et moins sera reconnue comme valide par les tribunaux québécois.

La raisonnabilité de la durée s’apprécie notamment en fonction de la nature de l’entreprise et du poste qu’occupe l’employé.

À titre d’exemple, une clause d’une durée d’un an peut être raisonnable pour un poste de haute direction. Cependant, une telle durée semble déraisonnable pour un emploi de bureau.

Lorsque vient le temps de prévoir une durée à la clause de non-concurrence, il est nécessaire d’analyser plusieurs données, dont la nature des fonctions de l’employé, la nature des activités d’entreprise, la possibilité de remplacer l’employé de façon efficace, etc.

À titre d’exemple, dans l’affaire Compagnie de gestion MDJ inc. c. Cadieux[1], le juge Tessier-Couture a conclu que la durée de douze mois prévue à la clause de non-concurrence était déraisonnable. Selon lui, la durée d’une clause de non-concurrence doit notamment s’évaluer en considérant le temps nécessaire pour pourvoir le poste laissé vacant; considérant le poste occupé par l’ex-employé, soit chargé de compte et représentant, de même que le fait que le contrat contenait un préavis de six mois en cas de départ volontaire, le tribunal conclut que la durée de la restriction de douze mois est déraisonnable. Ce faisant, la clause a été annulée.

b) L’étendue territoriale de la restriction
La deuxième condition à déterminer lors de la rédaction d’une clause de non-concurrence est sa portée territoriale.

Le principe général et conducteur entourant cet élément est que l’étendue territoriale raisonnable représente habituellement le territoire qui est nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de l’employeur tout en considérant la capacité du salarié de travailler.

À titre d’exemple, la Cour supérieure a jugé, dans l’affaire Faucher Industries inc. c. Polysianie[2], qu’une clause couvrant l’ensemble du territoire canadien alors que les clients desservis par l’ex-employé se trouvaient essentiellement au Québec était déraisonnable.

Encore une fois, plus le domaine d’activité est spécialisé, plus l’étendue territoriale prévue à l’intérieur de la clause de non-concurrence pourra être large.

Dans une affaire ayant fait récemment les manchettes, la Cour supérieure jugeait raisonnable une clause de non-concurrence couvrant le territoire du Canada, des États-Unis et du Mexique[3]. Dans cette affaire, l’employé était en fait le président-directeur général œuvrant dans un milieu très compétitif, soit celui de la création de jeux vidéo interactifs. Or, un employé peut faire concurrence à son ex-employeur situé à Montréal en travaillant aux États-Unis. Certains milieux de la haute technologie font en sorte que les portées territoriales peuvent être larges.

c) La nature et la portée des activités assujetties à la restriction
En dernier lieu, la clause de non-concurrence devra comprendre une description des activités interdites. Les deux principes dégagés par la jurisprudence quant au caractère raisonnable des activités prohibées sont 1) la nature de l’industrie au sein de laquelle les parties évoluent et 2) l’impact que peut avoir l’interdiction recherchée sur la concurrence que subit l’employeur.

Également, dans l’éventualité où l’expérience et les connaissances de l’employé ne présentent aucun caractère essentiel ou particulier, le champ des activités pouvant être prohibées devra être beaucoup plus limité. De plus, lorsque l’employeur n’a aucun intérêt valable de se prémunir d’une clause restrictive de ce type, cette dernière pourra difficilement être considérée comme raisonnable.

Autres considérations
La jurisprudence nous rappelle l’importance, lors de la rédaction d’une clause de non-concurrence, de décrire chacun des critères mentionnés plus haut de la façon la plus précise possible. En effet, à défaut de le faire, la validité de la clause pourrait alors être contestée. De plus, en raison du caractère restrictif d’une telle clause, les tribunaux ont tendance, dans le doute, à favoriser une interprétation stricte de ces clauses de façon à reconnaître autant que possible la liberté de l’employé de travailler.

Toutefois, lorsque la clause est claire, bien détaillée et respecte les critères énoncés à l’article 2089 du Code civil du Québec, les tribunaux n’hésiteront pas à intervenir.

Au cours des dernières années, plusieurs employeurs ont tenté d’inclure des clauses de non-concurrence « par paliers ». Essentiellement, le but de ces clauses est de prévoir des solutions de rechange, advenant qu’un tribunal juge inapproprié le libellé de la clause de non-concurrence. Les tribunaux ont cependant fermé la porte à ces clauses par paliers en les déclarant tout simplement invalides. La Cour d’appel s’est d’ailleurs prononcée en ce sens en 2004, dans l’affaire Drouin c. Surplec inc[4].

Bref, les clauses de non-concurrence sont valides ou elles ne le sont pas; un tribunal n’a pas le pouvoir de les réécrire. Rappelons que le fardeau de prouver que ladite clause de non-concurrence est valide incombe à l’employeur. Dans l’éventualité où un tribunal jugeait la clause invalide, la partie qui en demande l’application – généralement l’employeur – ne pourrait requérir du tribunal que ce dernier en réduise la portée jusqu’à ce qu’elle devienne valide à ses yeux.

Par ailleurs, l’application d’une clause de non-concurrence ne dépend pas uniquement de la validité de son libellé. En effet, dans le cas d’un employé congédié, un tribunal devra chercher à savoir si le congédiement a été fait sans cause juste et suffisante. Advenant une telle situation, le tribunal refusera à l’employeur le droit d’invoquer une telle clause de non-concurrence. Cette règle se retrouve à l’article 2095 du Code civil du Québec :

« L’employeur ne peut se prévaloir d’une stipulation de non-concurrence s’il a résilié le contrat sans motif sérieux ou s’il a lui-même donné au salarié un tel motif de résiliation. »

À titre d’exemple, la Cour supérieure, dans l’affaire Personnel Marie-Andrée Laforce (2000) inc. c. Laforce, en venait à la conclusion que l’application d’une clause de non-concurrence était invalide puisqu’elle prévoyait son application en cas de cessation d’emploi pour quelque cause que ce soit. À cet égard, la Cour s’exprimait ainsi :

« Accueillir la prétention des requérantes sous cet aspect équivaudrait à leur donner le pouvoir, même sans juste cause, de mettre fin au contrat d’emploi et d’empêcher l’intimé de gagner sa vie. »


Recours en cas de violation
Dans le cas d’une violation d’une clause de non-concurrence, un employeur peut exercer différents recours afin de s’assurer de son respect ou d’obtenir compensation. En effet, il peut intenter une injonction afin d’empêcher la violation de la clause et/ou un recours en dommages-intérêts.

Les parties pourraient également, lors de la rédaction d’une clause de non-concurrence, inclure une clause pénale, l’objectif d’une telle clause étant de baliser une évaluation anticipée des dommages-intérêts advenant le cas où l’employé contreviendrait à son obligation de non-concurrence.

Le droit québécois reconnaît l’existence et la validité de ce type de clause, mais celle-ci fait généralement l’objet d’une interprétation restrictive. La nature et la portée de la clause pénale sont prévues par l’article 1622 du Code civil du Québec, qui stipule que :

« La clause pénale est celle par laquelle les parties évaluent par anticipation les dommages et intérêts en stipulant que le débiteur se soumettra à une peine au cas où il n’exécuterait pas son obligation. »

« Elle donne aux créanciers le droit de se prévaloir de cette clause au lieu de poursuivre, dans les cas qui le permettent, l’exécution en nature de l’obligation; mais il ne peut en aucun cas demander en même temps l’exécution et la peine, à moins que celle-ci n’ait été stipulée que pour le seul retard dans l’exécution de l’obligation. »

Ainsi, il est possible pour les parties de déterminer à l’avance le montant qui pourrait être réclamé. La jurisprudence nous démontre que le montant réclamé par l’intermédiaire d’une clause pénale peut être substantiel. Dans une affaire récente[5], la Cour a jugé que la partie de la clause pénale prévoyant le paiement d’une amende de 15 000 $ en cas de contravention à une clause restrictive était valide.

Évidemment, pour être valide, la clause pénale doit être appliquée de façon raisonnable en tenant compte des circonstances particulières du dossier. Dans l’éventualité où une telle clause avait pour effet d’enrichir sans cause et exagérément l’employeur, celle-ci pourrait être considérée comme abusive et invalide.

En dernier lieu, il est important de noter le débat jurisprudentiel qui existe à l’effet que l’employeur pourrait ou ne pourrait pas exercer simultanément son recours en vertu de la clause pénale et son recours à l’injonction. À cet effet, il est important pour l’employeur de prévoir une mention dans la clause de non-concurrence selon laquelle l’employé reconnaît que le recours en injonction est le remède approprié en cas de violation, et ce, nonobstant l’inclusion d’une pénalité pécuniaire au contrat. La validité d’une telle stipulation a d’ailleurs été reconnue dans l’affaire Télémédia Communications Inc. c. Godin[6].


Conclusion
En conclusion, lors de la rédaction d’une clause de non-concurrence, il est important de se pencher sur les différents éléments mentionnés plus haut, notamment en s’interrogeant sur la nécessité et la légitimité de faire signer une telle clause à l’employé.

Il faut éviter d’utiliser à l’aveuglette des clauses de non-concurrence pour tous les employés. Ces clauses ont une importance considérable et doivent être adaptées selon les fonctions des salariés visés.

On devrait s’assurer que le libellé est suffisamment détaillé, précis, et qu’il respecte les différents critères. Il faut se souvenir qu’advenant le cas où un tribunal jugerait la clause trop restrictive, cette même clause serait immédiatement considérée comme invalide et donc, inapplicable. Évidemment, chaque cas est unique et s’appréciera selon plusieurs éléments, comme nous l’avons mentionné précédemment.

Ce bref survol visait à permettre à tout employeur de saisir les tenants et aboutissants reliés à l’intégration d’une clause de non-concurrence à l’intérieur d’un contrat individuel d’emploi.


Simon Laberge
, avocat et Rhéaume Perreault, CRIA, avocat du cabinet Heenan Blaikie

Source : VigieRT, numéro 21, octobre 2007.


1 D.T.E. 2006T-201 (C.S.)
2 2005 BE-4 (C.S.)
3 Ubisoft Divertissement inc. c. Tremblay D.T.E. 2006T-653 (C.S.)
4 [2004] R.J.Q. 1125 (C.A.)
5 Assurance Turcotte et Turcotte inc. c. Tremblay, D.T.E. 2007T-402, (C.Q.)
6 [1990] R.J.Q. 2010 (C.S.)
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