Le 8 juin dernier, la Cour suprême du Canada posait un nouveau jalon en matière de droit du travail en rendant une décision favorable aux syndicats du secteur Santé de la Colombie-Britannique dans leur lutte pour faire reconnaître leur droit à la négociation. Pour les experts interrogés, le jugement vient confirmer l’importance de se conformer à l’esprit des régimes québécois et canadien de relations du travail. Un régime, où liberté d’association et droit à la négociation ne font qu’un.
La cause menée devant le plus haut tribunal du pays opposait les syndicats infirmiers, d’installations et communautaires du secteur santé de la Colombie-Britannique à leur gouvernement provincial. Il visait à renverser la Health and Social Services Delivery Improvement Act, une loi adoptée par le gouvernement de la Colombie-Britannique pour remédier aux problèmes éprouvés au sein du système de santé de la province, et ce, sans véritable consultation de la population ou des groupes concernés.
Or, en plus de modifier les droits liés aux transferts et affectations dans différents lieux de travail, la loi ouvrait la porte à la sous-traitance, modifiait le statut des employés contractuels, les programmes de sécurité d’emploi ainsi que les droits de mise en disponibilité et de supplantation. Elle accordait également aux employeurs du secteur de la santé une plus grande latitude pour aménager à leur gré leurs relations avec leurs employés, invalidait d’importantes dispositions des conventions collectives alors en vigueur et interdisait toute véritable négociation collective sur certaines questions. Réunis en front commun, les syndicats de la Colombie-Britannique ont fait valoir que la loi portait atteinte à la liberté d’association et aux droits à l’égalité garantis par la Charte canadienne des droits et libertés et qu’elle allait, par conséquent, à l’encontre de la constitution canadienne.
À la satisfaction de tous
Les arguments avancés par la partie syndicale ont été favorablement reçus par les juges. De fait, explique Jean-François Tremblay, CRIA, professeur de relations industrielles de l’Université du Québec en Outaouais, « la décision rendue par le tribunal confirme que le droit à la négociation collective est un droit fondamental, associé au processus de syndicalisation et garanti par la Charte des droits et libertés en tant que partie de la liberté d’association. En d’autres termes, il vient dire aux employeurs qu’ils sont, à chaque fois, tenus d’entreprendre un processus de négociation et de le faire de bonne foi ».
Les juges sont même allés jusqu’à circonscrire les sujets suffisamment importants pour justifier une négociation de bonne foi, ce qu’ils ont appelé les « entraves substantielles ». Les questions pécuniaires : salaire, rémunération et avantages sociaux font partie du lot, ainsi que les liens d’emplois, le droit de supplantation, la sous-traitance et la sécurité d’emploi. Impossible donc pour un employeur de passer outre aux discussions entourant ces éléments. En contrepartie, la décision de ne pas aborder à la table de négociation les dossiers relatifs à l’organisation du travail et à la mobilité du personnel par exemple ne peut être invoquée comme motif suffisant pour justifier l’absence de processus de négociation. Autre information de taille, pour les juges de la Cour suprême, la bonne foi des parties se mesure à l’aune du processus effectué et non des résultats obtenus.
En raison des nombreuses nuances introduites dans le jugement, la décision rendue a été favorablement accueillie par l’ensemble des parties. C’est que, précise Me Pierre Brun, associé chez Grondin, Poudrier, Bernier et avocat spécialisé en droit du travail pour le compte des syndicats, « Jusqu’à présent, la liberté d’association était limitée à une liberté individuelle. Le but ou l’objectif de l’association, lui, n’était pas protégé. Pourtant, dans les faits, la négociation collective des conditions de travail est la principale raison pour laquelle des travailleurs décident de se regrouper et d’unir leurs voix. C’est une évidence qui n’a pas attendu la Charte des droits pour exister. Le jugement vient donc reconnaître un état de fait qu’il est difficile de contester. » Chez Le Corre & Associés, Me Jean-François Belisle partage le même point de vue. Il est difficile en effet, selon lui, d’attaquer la logique du jugement qui vient « rappeler la dynamique idéale qui devrait exister en matière de relations de travail, soit la négociation ».
Impacts et divergence
D’accord sur les fondements du jugement, les spécialistes interrogés divergent toutefois d’opinion sur les impacts qu’une telle décision pourrait avoir au Québec. Pour Me Brun, en raison des nouveaux paramètres déterminés par la Cour suprême, certains des gestes posés dans le cadre des dernières négociations du secteur public ne pourraient en aucun cas se répéter. « Aujourd’hui, dit-il, un gouvernement pourrait difficilement affirmer "j’ai un cadre financier et il ne bouge pas", parce cela reviendrait à dire qu’il refuse de parler argent et par conséquent salaires et rémunération. Dans une certaine mesure, il ne pourrait plus échapper à son obligation de minimalement s’asseoir pour expliquer ses chiffres. »
De l’avis de Jean-François Tremblay, l’équation n’est pas aussi claire. C’est que, affirme-t-il, « malgré le fait que les dernières négociations dans le secteur public aient un peu fini en queue de poisson, l’exercice de négociation a été réel et manifeste et des offres ont été déposées. Des ententes sont survenues sur certaines dispositions et même les questions financières ont finalement été abordées. À partir du moment où les parties acceptent de modifier certaines de leurs positions, on peut affirmer qu’il y a eu négociation de bonne foi ». Selon le professeur Tremblay, l’abrogation de la loi spéciale adoptée dans le cadre des dernières négociations n’est donc pas envisageable.
Quant à savoir si le jugement aura des impacts sur les négociations du secteur privé, là encore les opinions sont partagées. Pour Me Belisle, « la décision fait d’abord et avant tout référence au pouvoir du gouvernement d’utiliser sont pouvoir de législateur pour imposer des décisions ou une loi spéciale. Il ne touche pas directement les employeurs privés qui sont, eux, de toute façon assujettis au Code du travail ».
Chez Grondin, Poudrier, Bernier, Pierre Brun croit pour sa part que « la constitutionnalisation du droit de négocier vient de remonter d’un cran l’obligation de négocier et cela que l’on soit un employeur privé ou public ». D’autant que, insiste-t-il, « le droit d’association est aussi inclus dans la Charte québécoise des droits et libertés ».
Au premier rang
Directement concernés par les éventuelles retombées du jugement, les représentants des grands syndicaux nationaux québécois ne cachent pas leur satisfaction à l’égard du jugement. Pour Claudette Carbonneau, présidente de la CSN « la décision de la Cour suprême constitue un rempart pour protéger le droit à la négociation des travailleurs et travailleuses ». Elle y voit aussi une autre raison d’interpeller le gouvernement du Québec pour qu’il accepte de donner suite à la décision du Bureau international du travail (BIT) qui condamnait le décret adopté en décembre 2005 (loi 43) pour imposer les conditions de travail des 500 000 travailleurs du secteur public. À la FTQ, Henri Massé, partage le même point de vue et se dit convaincu que « le jugement forcera le gouvernement Charest à modifier son approche en matière de relations de travail ».
De l’autre côté du miroir, la présidente du Conseil du trésor, Monique Jérôme-Forget refuse de considérer cette avenue. C’est que, dit-elle, « contrairement à ce qui a été fait en Colombie-Britannique, nous avons eu plus de 1000 rencontres de négociation. C’est plus que suffisant pour démontrer que nous étions de bonne foi ».
De l’avis de Jean-François Tremblay, « seul le temps permettra de réellement mesurer la portée de ce jugement ».
Guylaine Boucher, journaliste
Source : VigieRT, numéro 20, septembre 2007.