Pour qu’un employeur puisse le congédier sans avoir procédé à la gradation des sanctions, un employé doit avoir commis une faute grave justifiant un congédiement immédiat. Cette faute devra être examinée en tenant compte de toutes les circonstances de l’affaire, ainsi que des facteurs atténuants et aggravants. Le vol de temps constitue une faute grave et, à cet effet, le commissaire Pierre Cyr, dans l’affaire Gagnon c. Deloitte consulting, 2007 QCCRT 0139, (C.R.T.), a rendu une décision innovatrice en ce qu’elle fait le lien entre le vol de temps et le fait pour un employé de ne pas rapporter sa disponibilité, au même titre que la falsification de cartes de temps ou l’utilisation abusive du téléphone à des fins personnelles. Cette décision se résume ainsi.
Les faits
Le plaignant est employé de Deloitte Consulting depuis le 7 août 2003. Deloitte Consulting est une firme de traduction dans les secteurs bancaires et financiers. Au sein de l’entreprise, il effectue le travail de traducteur-réviseur dans le secteur bancaire. Le Guide des services linguistiques de l’entreprise régit la distribution du travail. Selon le Guide, les traducteurs se voient attribuer des mandats par les coordonnateurs qui, eux, gèrent le tableau des dossiers en cours. Il relève de la responsabilité du traducteur d’avertir le coordonnateur lorsque son mandat achève afin d’assurer la répartition des tâches. Le plaignant revoit le travail des traducteurs et y apporte les corrections nécessaires. Dans le cadre de son travail, il jouit d’une grande autonomie professionnelle et, par le fait même, les relations de travail dans l’entreprise sont fondées sur des valeurs d’honneur et de confiance.
De mai 2004 à avril 2005, le plaignant commet plusieurs erreurs de traduction et fait l’objet de maints reproches de la directrice du service. Il refuse de contacter les clients pour prendre des arrangements afin de corriger ses erreurs. Le 20 avril 2005, le plaignant reçoit un avis disciplinaire du directeur des ressources humaines lui indiquant son insatisfaction à la suite des erreurs répétées et des absences non motivées inscrites à son dossier, l’incitant de ce fait à changer son comportement sans quoi il s’exposerait à des sanctions disciplinaires. Malgré cela, les erreurs persistent et le plaignant mérite la cote de « rendement à améliorer (RA) », la cote la plus basse jamais octroyée au sein de l’entreprise. En juin 2005, le plaignant est transféré au module financier. Le 18 octobre 2005, le secteur financier connaît une importante augmentation des mandats et un message est envoyé à tous les traducteurs afin de vérifier la disponibilité de chacun. Le plaignant ne répond pas à l’appel et l’employeur constate que le plaignant est sans travail depuis le 14 octobre, mais n’a pas dénoncé cet état au coordonnateur. Cet incident culminant mène le plaignant au congédiement.
Il en est informé par lettre de son employeur le 25 octobre 2005. Il dépose une plainte pour congédiement sans cause juste et suffisante, fondée sur l’article 124 de la Loi sur les normes du travail, le 2 décembre 2005.
Motifs de la décision
Le congédiement du plaignant était justifié que ce soit pour des motifs disciplinaires ou administratifs. Le commissaire considère que le fait pour le plaignant de ne pas avoir déclaré sa disponibilité équivaut à du vol de temps, à de la tromperie et à la violation de son obligation de loyauté.
Dans le contexte révélé par la preuve, cet incident a brisé le lien de confiance entre les parties. Il signale que la faute commise est grave et qu’elle justifie le congédiement immédiat, sans gradation de sanction. Le plaignant ne pouvait plaider l’ignorance, car en plus d’avoir déjà été averti pour un comportement similaire, il ne pouvait ignorer la norme suivante, clairement exprimée dans le guide des services linguistiques distribué à tous les traducteurs : Lorsque le traducteur a presque terminé sa traduction, il doit en informer les coordonnatrices afin qu’elles aient le temps de lui préparer un nouveau dossier. De plus, cette consigne était constamment répétée lors des réunions mensuelles.
Sur le plan administratif, le commissaire constate que la preuve a démontré que le plaignant ne répondait pas aux exigences de l’emploi. Il souligne son manque de rigueur dans ses fonctions et le fait que la situation ne tendait pas à s’améliorer. Puisqu’en matière administrative, le commissaire n’a pas compétence pour modifier la sanction imposée par l’employeur, il se limite à constater que la décision n’est pas abusive ou discriminatoire, mais qu’elle lui paraît tout à fait raisonnable.
Conclusion
Bien que, dans cette affaire, l’employeur ait eu d’autres bonnes raisons pour congédier son employé, le commissaire Pierre Cyr a ouvert la porte à une nouvelle forme de vol de temps, celle qui consiste à omettre de divulguer sa disponibilité. Afin d’ajouter à la gravité d’une telle faute, les employeurs ont tout intérêt à adopter, eux aussi, lorsque les circonstances s’y prêtent, une politique claire à l’effet que les employés doivent manifester leur manque de travail.
Martine Bélanger, avocate du cabinet Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Source : VigieRT, numéro 18, mai 2007.