Dans une société centrée sur la performance, la compétition entre entreprises est forte, tout comme l’est celle entre employés. Cette compétition crée des fouineurs, qui scrutent leurs collègues dans différents buts. Une tendance qui peut mener jusqu’à l’espionnage. Portrait d’un fléau sous-estimé.
Le furetage peut revêtir bien des formes : il s’étend de l’écoute imprévue de conversations sur le lieu de travail jusqu’à l’ouverture des tiroirs des voisins de bureau une fois tout le monde parti! Il y a aussi les commères de bureau, résolument toxiques celles-là, qui s’immiscent dans la vie personnelle. Elles soutirent de l’information privilégiée et peuvent diffuser à tort et à travers, au détriment des autres, de l’information qui ne les regarde pas.
Portraits de fouineursQu’est-ce exactement qu’un fouineur de bureau? A priori, il peut être n’importe qui. Tout le monde a sous les yeux, à un moment ou à un autre, du matériel qui ne lui est pas destiné : un message qui traîne dans l’imprimante, une feuille dans la photocopieuse, un bout de document qui dépasse de la boîte de recyclage… Il se dégage néanmoins quatre types généraux de fouineurs.
Le premier, le fouineur nuisible, ne veut que le mal des autres pour son propre bien. Il n’a pas l’ambition de renverser professionnellement ses collègues, mais peut-être en veut-il à l’un d’eux qui a omis de laver l’intérieur du four à micro-ondes? Ce type de fouineur s’apparente au trouble-fête et au développeur de virus informatiques : il propage le mal uniquement parce que ça lui plaît.
Le deuxième type de fouineur est l’ambitieux. Attention à celui-là : il veut faire avancer sa carrière et est prêt à tout pour parvenir à ses fins! Une personne ne doit surtout pas révéler ses failles professionnelles ou personnelles devant lui, car il les exploitera à satiété pour la faire mal paraître. Si un poste convoité se libère au bureau, il peut fouiner pour connaître l’identité des candidats potentiels à l’emploi. Ces indiscrétions lui permettent de gérer ses relations professionnelles en vue de changer de poste.
Tout le monde connaît le troisième type de fouineur : c’est le patron méfiant. Marie-Ève envoie et reçoit des courriels de nature douteuse au travail? Il l’apprendra. Nicole parle pendant des heures au téléphone durant ses heures de bureau? Il le constatera. Simon sort plus souvent qu’à son tour fumer une cigarette? Il le sentira. Personne n’est irremplaçable et personne ne le sait mieux que le patron. Lorsqu’il passe derrière les cloisons en faisant mine de ne rien voir, il observe et même note tout! L’employé doit toujours s’affairer… surtout lorsque son patron se trouve dans le coin.
Le dernier type de fouineur et non le moindre est généralement bien intentionné, mais il manque peut-être de jugement : c’est le fouineur inoffensif. Jérôme annonce devant le patron que Claudine croit être enceinte après l’avoir entendue parler au téléphone avec son conjoint. Le malaise qui suivra sera évident. Jérôme, seulement par souci d’informer ses collègues, devient malgré lui un fouineur inoffensif.
Du personnel au professionnelLes fouineurs scrutent la vie personnelle et professionnelle. Lorsqu’elle est mal protégée, la vie privée peut même en prendre pour son rhume. À titre d’exemple, voici une histoire qui illustre bien certains risques associés aux fouines. Un jour, Marc, un jeune cadre, a invité sa collègue Julie à prendre un verre. Ils se sont vus à quelques reprises, mais Julie soupçonnait Marc d’infidélité. Elle trouvait étrange, quand elle passait près de son bureau, qu’il soit toujours en train de parler au cellulaire à voix basse. Elle a donc commencé à passer plus souvent près de Marc pour entendre ce qu’il disait. De plus, lorsque Marc allait à la cuisine, son écran d’ordinateur restait allumé et sa boîte de réception de courriels laissait à tous la possibilité de lire ses messages. Julie en profita pour lire ces courriels. En lisant un message plutôt flou que Marc avait reçu d’une autre femme, Julie conclut à tort de l’infidélité de Marc. À son retour, elle lui fit une scène… Cela fit perdre une promotion à Julie, car le patron a été témoin de la scène.
Sur un plan professionnel, une autre histoire, celle d’un fouineur ambitieux, réunit tous les ingrédients pour semer la paranoïa chez ses collègues. Nicolas, un fonceur, était extrêmement jaloux, car son collègue Carl avait décroché le poste qu’il convoitait. Nicolas s’empressa donc de s’appliquer le plus possible au boulot pour avoir toujours l’air d’attendre après le travail de Carl. Un jour, en ouvrant un courriel envoyé par un ami, Carl y découvrit des photos obscènes, qui se sont affichées en haute résolution sur son écran. Au même moment, Nicolas passait derrière le bureau de Carl en lorgnant son ordinateur. Il en fit rapport à son patron et Carl a reçu une réprimande pour manquement à ses devoirs.
Avantages et inconvénientsPour le fouineur, les avantages sont nombreux. Cela peut être utile pour positionner ses pions dans certains projets et préparer des propositions. Souvent, une personne qui se trouve à un niveau intermédiaire, une assistante par exemple, et qui est dans le secret de quelques projets, connaît les manies de personnes haut placées dans l’entreprise. La nature de son travail en fait moins une fouine que la gardienne d’un trésor : l’information privilégiée. Elle a accès aux renseignements et peut, si elle est bien disposée, laisser aller certaines bribes d’information auxquelles il est difficile, voire impossible, d’avoir accès en temps normal.
Aussi, fouiner permet de mieux cibler les failles de ses collègues au bureau. Une boîte de courriels laissée ouverte pendant une pause, des documents confidentiels oubliés sur le bureau, un appel téléphonique important fait dans un lieu où se trouvent d’autres employés : voilà autant de situations banales qui peuvent nuire à un employé… et en satisfaire un autre.
Le plus grand danger que peut courir un fouineur est celui d’être pris sur le fait. Certains utilisent des méthodes dignes des meilleurs films de James Bond, mais parfois un seul faux pas peut entraîner des sanctions qui, en cas de récidive, peuvent aller jusqu’au congédiement. De plus, le fouineur de vie privée court non seulement le risque d’être licencié, mais aussi celui d’être poursuivi pour intrusion dans la vie privée.
Quand le furetage devient espionnage…Si la fouine occasionnelle est relativement banale, certains individus en font carrière. Le Service canadien de renseignement et de sécurité définit ainsi l’espionnage industriel : « (…) le fait, pour un organisme du secteur privé ou ses représentants, d’utiliser ou de faciliter l’utilisation de moyens illégaux, clandestins, coercitifs ou trompeurs pour acquérir des renseignements économiques. »
Comment alors se protéger de tous les types possibles de fouines? Le gouvernement du Canada a émis des recommandations dans son site Internet pour protéger les Canadiens contre les dangers liés à l’espionnage industriel. Ces précautions sont applicables à tous les secteurs (et types de fouines!). En guise d’exemple, lorsqu’on se trouve en présence de documents sensibles, le gouvernement recommande de les classifier, de les contrôler et de les protéger adéquatement. De plus, leur entreposage et leur élimination doivent être faits convenablement, par exemple avec une déchiqueteuse, pour éviter que des fouines y aient accès trop facilement.
Parallèlement, le gouvernement suggère aux responsables de la sécurité informatique des entreprises de protéger les bases de données et les liaisons entre réseaux contre tout accès non autorisé. Le même principe s’applique aux installations et aux documents de nature délicate : grâce à « l’accès sélectif », seul un nombre restreint de personnes ont accès aux informations confidentielles. Une telle mesure permet de se prémunir contre la ruse des plus fins renards.
En cette époque où l’utilisation des téléphones cellulaires croît de façon exponentielle, les employés doivent aussi se méfier des moyens de communication qu’ils emploient dans le cadre de leurs fonctions. Qui dit que la ligne n’est pas sous écoute et que des pirates informatiques ne scrutent pas les courriels? Rien de mieux qu’un endroit sûr pour discuter de questions délicates. La prudence et le jugement sont donc de mise.
La sensibilisation demeure la meilleure défense contre l’espionnage industriel, qui représente une menace importante. Tout le savoir-faire d’une entreprise peut être dérobé par des espions. Un tel événement mettrait en péril la santé financière d’une entreprise tout en menaçant la sécurité d’emploi de ses travailleurs. En mettant l’accent sur le partage des responsabilités entre tous les employés, une entreprise met toutes les chances de son côté.
Finalement, chacun est gardien de tout le monde et les rapports harmonieux au travail seront toujours utiles pour éviter les fouines. Cependant, peu importe le lieu de travail, les fouines sont partout présentes. De la même manière qu’on verrouille la porte de la maison en donnant une clé au voisin, il ne faut pas devenir paranoïaque, mais éviter de laisser traîner des informations délibérément. En effet, l’occasion fait le larron, dit l’adage… Il suffit de se « brûler » une fois pour apprendre sa leçon.
Stéphanie Lalut, journaliste indépendante
Source : Effectif, volume 10, numéro 2, avril/mai 2007