Selon un sondage de McKinsey paru en janvier 2006, les dirigeants sont convaincus que le rôle des entreprises dans la société va bien au-delà des obligations envers les actionnaires. Ainsi, 84 % des répondants estiment que les dividendes doivent être équilibrés par rapport aux contributions de l’entreprise envers la société (bons emplois, donations, actions visant à réduire la pollution…).
Une notion élargie de la contribution de l’entreprise
La responsabilité sociale signifie qu’une entreprise doit non seulement se soucier de sa rentabilité et de sa croissance, mais aussi de ses impacts environnementaux et sociaux. Elle doit aussi être attentive aux préoccupations de ses parties prenantes : salariés, actionnaires, clients, fournisseurs et société civile. Certains parlent d’intégration sociale de l’entreprise plutôt que de responsabilité sociale (« Strategy & Society: The Link Between Competitive Advantage and Corporate Social Responsibility », Harvard Business Review, décembre 2006).
Les vertus de la responsabilité sociale sont maintenant claires. En plus de susciter la confiance de la collectivité et d’attirer de bons clients et employés, le fait d’agir de manière responsable envers les travailleurs et les autres membres de la société contribue à favoriser les intérêts à long terme des entreprises et de leurs actionnaires. Selon une étude du cabinet international de relations publiques Weber Shandwick, 79 % des dirigeants croient que les organisations qui ont un très haut niveau de responsabilité sociale récupèrent mieux leur réputation après une crise majeure.
De plus, le fait pour une entreprise de ne rien faire dès aujourd’hui crée un risque de retard très important qui peut être d’autant plus coûteux dans l’avenir.
C’est bien connu, les gestionnaires des ressources humaines font de la responsabilité sociale depuis toujours! Mais comment celle-ci peut-elle améliorer l’image de l’entreprise, accroître son attractivité et l’engagement des salariés?
Le devoir de contribuer à la responsabilité sociale
Les professionnels de la gestion des ressources humaines ont une légitimité toute particulière à être proactif en matière de responsabilité sociale. Ils soutiennent la performance de l’entreprise par leur compréhension de la stratégie, par la qualité du recrutement, la formation, la conduite du changement… De plus, certains enjeux ont des conséquences directes sur la gestion des ressources humaines : la raréfaction des ressources oblige à fidéliser les employés par des moyens innovants; l’internationalisation des opérations impose d’apprendre à gérer du personnel dans des pays où les lois du travail sont peu présentes, de fusionner des entreprises au sens éthique divergent, avec du personnel mal formé à la sécurité et à l’environnement. Enfin, la génération Y a des exigences plus strictes en matière de développement durable à l’égard des employeurs.
Mais attention, la responsabilité sociale ne tient pas nécessairement au fait de devenir plus philanthropique ou plus « écolo ». De bonnes pratiques, comme le développement des compétences, le mentorat, les plans de relève et de développement, l’actionnariat, le bénévolat, sont la base d’une démarche de responsabilité sociale. Elles établissent la confiance réciproque et l’engagement des employés. Inutile de concevoir des projets « verts » si on n’a pas assuré d’abord les fondements d’une politique de gestion des ressources humaines basée sur le développement des personnes et la culture de la performance.
Les gestionnaires des ressources humaines peuvent promouvoir la responsabilité sociale dans une multitude de domaines. Voici quelques idées.
Des initiatives concrètes
Respect des lois et règlements internationaux
- Mise en place et communication d’un code d’éthique, pour les employés et les fournisseurs, basé sur le droit du travail international, interdisant le travail des enfants, garantissant des conditions de travail décentes.
- Bannissement des pratiques discriminatoires dans les filiales. Par exemple, interdiction des tests de grossesse à l’embauche, même lorsque le droit du travail local le tolère (comme GE l’a fait au Mexique).
Évaluation des compétences et de la performance
- Ajout de la créativité aux critères de recrutement et d’évaluation, afin d’encourager l’innovation et de concevoir des produits et services plus durables.
- Ajout des valeurs d’éthique, de respect, d’aptitude au développement des personnes. Au Cirque du Soleil, un des critères de mesure de la performance individuelle est celui de « circassien responsable ».
Développement des compétences
- Enrichissement des contenus de formation et du séminaire d’intégration pour y parler de responsabilité sociale. Au Cirque du Soleil, chaque nouveau gestionnaire se voit expliquer ce qui est attendu de lui pour contribuer à la responsabilité sociale du Cirque.
- Participation des hauts potentiels à des pro- jets à caractère social ou environnemental.
- Partenariat avec une association caritative.
- Réduction de la consommation d’électricité des bâtiments.
- Établissement d’une filière de recyclage pour les déchets de la centrale logistique.
Communication
- Production d’un rapport de responsabilité sociale, pour mesurer sa performance et ses progrès dans le temps. Cette communication peut faire partie du rapport annuel.
- Présentation des métiers liés à l’environnement et au social dans le site Internet, dans les forums de recrutement.
- Achat de cadeaux d’entreprise et de cartes de vœux éthiques (UNICEF notamment).
- Impression des brochures et des documents sur papier recyclé.
Il est normal que l’organisation communique ses actions qui démontrent sa responsabilité sociale, car elle y a investi du temps et des ressources et peut ainsi encourager ses partenaires et clients à faire de même. Cependant, attention à ne pas exagérer sa contribution. Cette sorte de mascarade écologique sera vite dénoncée.
Philanthropie stratégique
La philanthropie doit aller au-delà de la contribution financière. De nombreux exemples et études insistent sur le fait que la valeur générée par la philanthropie est d’autant plus forte qu’elle est en rapport avec les activités de l’entreprise et lui apporte un avantage à long terme.
- Desjardins met ses compétences et sa crédibilité à contribution dans une division consacrée au microcrédit. Elle sort de la misère des familles qui pourront à l’ave-nir accéder aux services financiers plus classiques d’une banque, même si ce n’est pas l’objectif premier de la démarche.
- Microsoft, en soutenant les programmes de formation en technologie, contribue à améliorer les compétences de jeunes qui obtiendront plus facilement un emploi. L’entreprise enrichit son bassin d’emploi et forme de futurs clients.
- Unilever, un des plus gros acheteurs de poissons au monde, a créé avec le WWF (World Wildlife Fund) le Marine Stewardship Council dont la mission est de promouvoir la pêche durable et bien gérée.
Ces entreprises apportent leur expertise au-delà d’une simple contribution financière et ont un intérêt, pas uniquement financier ou à court terme, à faire progresser le sujet.
Développement des compétences du service des ressources humaines
- Formation de l’équipe au développement durable par un cours, des conférences, des présentations faites par les personnes en charge de l’environnement dans l’entreprise et nomination d’une personne en charge de la responsabilité sociale dans le service.
- Identification des nouveaux métiers et des filières de recrutement : éco-conseillers, auditeurs sociaux, spécialistes de la communication, gestionnaire de fondation…
Autres types de projets
- Conception de programmes d’insertion des personnes handicapées ou en difficulté sociale. L’Oréal le fait dans ses filiales en les mettant même en compétition les unes avec les autres.
- Création d’un bureau vert (voir l’initiative de Desjardins).
- Proposition de congés solidaires (projet du CECI et Uniterra qui propose des missions d’expertise à court terme à des employés dans les pays en développement).
- Création d’un programme de covoiturage.
- Compensation des émissions de gaz à effet de serre des événements de l’entreprise (fête de Noël) par la plantation d’arbres ou la contribution à des projets d’économie d’énergie.
Les facteurs clés de succès
Pour assurer la réussite à long terme d’une démarche de responsabilité sociale, un certain nombre d’éléments sont incontournables.
La vision
La responsabilité sociale doit s’inscrire dans la vision de l’entreprise. Chez Nestlé, les deux premiers principes d’affaires sont « Favouring long term development over short term profit » et « Long term commitments and relationships ».
La sincérité de la démarche et son inscription dans une démarche d’amélioration globale
Si l’objectif est uniquement marketing, l’entreprise s’expose à des risques. Il faut aussi communiquer ses échecs avec transparence. Si l’entreprise a vu ses investissements en formation ou le niveau de satisfaction des employés diminuer, elle doit en faire part, indiquer pourquoi et ce qu’elle compte faire pour améliorer la situation. C’est aussi un outil d’analyse.
L’engagement du chef de la direction
Ce type de démarche doit être annoncé par le président et coordonné par lui. On reconnaît alors un engagement du dirigeant qui oblige toute l’entreprise au succès. Cela permet d’avoir un discours cohérent entre la direction générale et les acteurs de la responsabilité sociale en interne. Franck Riboud lui même, président du Groupe Danone, annonçait le 18 décembre 2006 son intention d’inciter ses actionnaires à verser une partie de leurs dividendes dans un fond spécial, consacré à la construction d’usines de yaourts à faible rentabilité dans les pays pauvres.
L’engagement des parties prenantes
Pour élaborer des projets pertinents et durables, il faut connaître les attentes des bénéficiaires et détracteurs de l’activité de l’entreprise. Pour les gestionnaires des ressources humaines, cela peut être le président de l’Association d’insertion des personnes handicapées, les agences de travail temporaire si on veut développer son attractivité auprès du personnel administratif, les étudiants...
La contribution de la démarche au succès de l’entreprise
Bell Canada définit ainsi sa vision de la responsabilité sociale : « (…) Nous croyons qu’en trouvant le bon équilibre entre objectifs économiques, environnementaux et sociaux, nous réduisons les risques, saisissons de nouvelles occasions et, bien souvent, réalisons d’importants gains collectifs. (…) » Chaque entreprise mènera une démarche différente, car son contexte économique, son activité, sa situation géographique sont spécifiques. Elle doit comprendre l’impact de ses activités et les enjeux auxquels elle fait face. Elle doit ensuite se donner pour objectif d’identifier des opportunités commerciales, de baisser ses coûts (de recrutement, des arrêts maladies…), d’améliorer son image, de devenir plus créative ou de générer d’autres bénéfices.
Nestlé, en améliorant la santé des vaches et la qualité des infrastructures en Inde, contribue durablement au développement économique de la région. Elle s’assure une source d’approvisionnement de proximité et à faible coût. Chez GE, un million et demi de dollars seront investis annuellement dans les technologies propres d’ici à 2010 et au moins vingt millions de revenus annuels sont censés venir des technologies qui apportent un avantage environnemental.
Lorsque Virgin annonce que tous les profits des entreprises de transport de son groupe pour les dix prochaines années iront au développement de sources d’énergie diminuant les émissions de CO2, cela va dans le sens de l’intérêt du groupe : diminution des dépenses en pétrole et investissement dans son groupe au lieu d’acheter les technologies à l’extérieur. Les compétences acquises permettent d’acquérir un avantage concurrentiel.
Conclusion
Toutes ces initiatives sont des pistes de travail. L’entreprise devra faire preuve de patience, mais il est urgent d’agir. Beaucoup d’organisations ont lancé une démarche et travaillent en réseau pour faire évoluer les pratiques. Par exemple, la Global e-Sustainability Initiative est un groupement international de l’industrie des télécoms visant à améliorer la performance de l’industrie en matière de développement durable.
Les grandes entreprises vont influencer leurs fournisseurs, par leurs codes de conduite, des audits sur les conditions de travail, des exigences commerciales (moins de pesticides dans les aliments, exigences en terme de recyclage des produits en fin de vie…). Des indices boursiers évaluent la performance des entreprises sur le plan de la responsabilité sociale.
N’oublions jamais que ce sont les personnes de talent qui mènent une entreprise à la réussite. Avec le soutien du chef de la direction, le gestionnaire des ressources humaines peut devenir un des leaders de la démarche. En privilégiant les initiatives à long terme qui apportent une contribution à la société en même temps qu’à l’entreprise, il contribuera à l’attraction, à la fidélisation et à l’engagement des employés.
Références
- Stern Review, 2006
- McKinsey Quarterly: “One business’s commitment to society : an interview with the President of the Novartis Foundation for Sustainable Development” 2006, n° 3
- McKinsey Quarterly: “Ten trends to watch in 2006”, Web exclusive January 2006
- McKinsey Quarterly: “When social issues become strategic”. 2006, n° 2
- Harvard Business Review, Décembre 2006: “Strategy & Society: The Link Between Competitive Advantage and Corporate Social Responsibility” by Michael E. Porter and Mark R. Kramer
- HR Reporter: “Recognizing good deeds provides its own rewards”. 10 april 2006
- GolinHarris: “The state of Corporate Citizenship 2005, Doing Well by doing good”
- Knowledge@Wharton: “Why some companies retain workers and other lay them off”. Jan 29, 2003.
- "The Carbon Disclosure Project 2006. Canada 280". Conference Board of Canada, Innovest et Deloitte
- Harris Interactive, Kronos Incorporated: “Listen Up Employers; Employees Know What They Want”, 11 septembre 2006
Esther Dormagen, CRHA, consultante en développement durable, Optim-Ressources
Source : Effectif, volume 10, numéro 1, janvier/février/mars 2007