Vous lisez : La réintégration conditionnelle

L’auteur remercie Me Pierre-Étienne Morand, avocat exerçant au sein du cabinet McCarthy Tétrault, S.E.N.C.R.L., s.r.l., à Québec, pour sa collaboration à la préparation de ce texte.


Lorsqu’un salarié fait l’objet d’un congédiement de nature disciplinaire ou administrative et que le syndicat dépose un grief pour contester l’imposition d’une telle mesure, une entente de réintégration conditionnelle pourrait intervenir. En effet, une telle entente constitue un contrat assimilable à une transaction, visant le retrait du grief du syndicat et la réintégration du salarié, assortie de conditions particulières. Dans certains cas, le tribunal saisi d’un grief pourrait ordonner la réintégration et suggérer aux parties de conclure une entente, réservant sa compétence pour intervenir à défaut d’entente. Ce type d’ententes s’inscrit dans un cadre juridique particulier.

Une entente de « dernière chance » prévoit généralement le congédiement automatique pour sanctionner toute violation d’une condition de l’entente. Or, l’entente ne fait pas partie intégrante de la convention collective et produit ses effets uniquement sur le salarié visé et sur l’employeur. Le syndicat doit intervenir à la conclusion de cette entente entre l’employeur et le salarié et approuver son contenu afin de s’assurer qu’elle puisse lier le tribunal d’arbitrage. À ce titre, la Cour d’appel du Québec a confirmé à quelques reprises la validité d’une telle entente, en dépit du fait qu’elle n’a aucun impact sur les autres salariés et qu’elle n’est pas déposée au ministère du Travail[1]. En outre, l’entente ne saurait être d’une durée illimitée; elle survit pendant une période raisonnable.

Les tribunaux refuseront d’intervenir lorsqu’il est démontré que le salarié partie à une telle entente a été réintégré et a fait défaut de respecter les conditions consignées dans l’entente. Le tribunal procédera à l’analyse de la preuve prépondérante pour déterminer s’il y a eu violation de l’entente. Selon la jurisprudence majoritaire, s’il est établi à la satisfaction du tribunal qu’il y a eu effectivement contravention à l’entente, l’arbitre devra maintenir le congédiement. En effet, le tribunal n’a pas compétence pour apprécier le comportement fautif du salarié afin de déterminer si la sanction imposée est proportionnelle, juste et raisonnable[2]. En somme, le tribunal ne fait que donner effet aux termes de l’entente de réintégration conditionnelle et ne saurait s’arroger le pouvoir de modifier la sanction imposée, à moins qu’une telle entente ne contrevienne à l’ordre public.

L’application automatique du congédiement en raison du non-respect des conditions de l’entente constitue un élément important. Or, dans l’affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 143 et Goodyear Canada inc.[3], l’arbitre Gilles Lavoie a rejeté l’objection de l’employeur quant à l’arbitrabilité du grief, vu l’entente intervenue. L’arbitre a indiqué que la décision de la Cour suprême dans l’affaire Parry Sound[4] – à l’effet que les lois sur les droits de la personne et les lois prescrivant les normes minimales de travail font partie intégrante des conventions collectives – devait trouver application dans l’appréciation d’une entente de dernière chance. Cela dit, le tribunal a conclu que le congédiement automatique en cas de tout nouveau manquement constitue une mesure discriminatoire, ne visant que le salarié aux prises avec des problèmes d’alcool et non tous les salariés dans leur ensemble. Le tribunal, sans statuer sur le fond, a donc conclu qu’une telle entente était inopposable au salarié. Il sera intéressant de voir si une telle approche sera suivie.

Les conditions de la réintégration pourront comprendre, notamment, le respect d’une certaine norme d’assiduité au travail, l’inscription à une thérapie, une cure de désintoxication et des tests de dépistage occasionnels[5]. Certes, le Code civil du Québec et la Charte des droits et libertés de la personne garantissent à toute personne plusieurs droits fondamentaux, dont ceux de l’intégrité, de la liberté de sa personne et du respect de sa vie privée. A priori, les tests de dépistage de drogues et d’alcool pourront être attentatoires et porter atteinte aux droits fondamentaux de la personne. Voilà pourquoi la jurisprudence refuse de cautionner une politique de dépistage s’appliquant à tous les salariés de l’entreprise de façon systématique. Or, la jurisprudence arbitrale reconnaît à l’employeur le droit de procéder raisonnablement à de tels tests de dépistage effectués au hasard, particulièrement dans le cas d’un salarié bénéficiant d’une réintégration conditionnelle[6].

Nous remarquons que de telles ententes sont généralement interprétées de façon restrictive. En effet, elles viennent limiter de façon significative les droits et les recours du salarié en vertu de la convention collective, tout comme les pouvoirs de l’arbitre. Ainsi, dans l’affaire Centre hospitalier de l’Université de Montréal (CHUM) (pavillon Hôtel-Dieu) et Syndicat national des employés de l’Hôtel-Dieu de Montréal (CSN)[7], l’arbitre Serge Brault a annulé le congédiement d’un préposé aux bénéficiaires parce que l’employeur n’avait pas fait la démonstration que le salarié avait effectivement violé l’entente de réintégration conditionnelle. Après avoir été congédié, le salarié avait pris l’engagement de ne plus travailler « sous l’influence de l’alcool ou de drogues ». Avant de subir un test d’urine, le salarié a avoué avoir fumé de la marijuana la veille et six heures avant le début de son quart de travail. L’arbitre a annulé le congédiement puisque rien ne lui laissait croire que les facultés du salarié étaient altérées alors qu’il se trouvait au travail.

Dans l’affaire Emballage Mitchell-Lincoln ltée, division Drummondville et Syndicat des salariés d’Emballage Mitchell-Lincoln ltée, division Drummondville[8], l’arbitre Richard Marcheterre a annulé le congédiement du salarié dont le test de dépistage s’est révélé positif, en raison de l’illégalité d’un tel test. En effet, l’employeur a fait subir un test de dépistage au salarié à son retour de vacances, après qu’il ait appris qu’il faisant le trafic de drogues dans son établissement. En l’espèce, l’employeur n’a pas satisfait à son fardeau de prouver que le salarié avait travaillé sous l’influence de l’alcool. Par ailleurs, l’arbitre Marcheterre a remis en question la légalité du test de dépistage, car l’entente n’empêchait pas la vente ni la consommation de drogues, mais seulement de travailler sous l’influence de ces dernières. En ce sens, le tribunal a remarqué que le salarié n’avait pas, en vertu de cette entente, renoncé à tous les droits qui lui sont garantis en vertu de la Charte. Il avait seulement consenti à subir un test de dépistage lorsque l’employeur aurait des motifs raisonnables ou probables de croire que le salarié travaillait sous l’influence de drogues.

Enfin, pour éviter un arbitrage de grief, l’employeur pourra conclure une entente de réintégration conditionnelle avec le salarié qui a fait l’objet d’un congédiement. Une telle entente a force obligatoire et lie le tribunal d’arbitrage. Bien que l’employeur dispose d’une marge de manœuvre importante dans la conclusion d’une telle entente, celle-ci devrait prévoir des conditions claires et précises et sanctionner tout manquement par le congédiement automatique. Par ailleurs, avant de sévir, l’employeur devrait vérifier que le salarié a véritablement enfreint les conditions de l’entente, vu l’interprétation restrictive des tribunaux d’arbitrage.
 

Gilles Rancourt, CRIA, avocat du cabinet McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Source : VigieRT, numéro 16, mars 2007.


1 Aliments Delisle ltée c. Descôteaux, D.T.E. 99T-401 (C.A.); Association de l’enseignement du Nouveau-Québec (C.E.Q.) c. Commission scolaire crie, (1995) R.D.J. 28 (C.A.).
2 Voir Syndicat des travailleurs du groupe Olymel (C.S.N.) et Olymel, société en commandite, établissement de Vallée-Jonction, D.T.E. 2004T-1013 (Me Carol Jobin, arbitre); Syndicat des employés de A. de la Chevrotière et A. de la Chevrotière, SA 04-03051 (Jean Sexton, arbitre); Lab s.e.c. – Opérations Black Lake et Métallurgistes unis d’Amérique, section locale 7649, D.T.E. 2005T-930 (Me François Hamelin, arbitre).
3 D.T.E. 2006T-538 (Me Gilles Lavoie, arbitre).
4 Parry Sound (District), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, (2003) 2 R.C.S. 157.
5 Voir Minéraux Noranda inc., division Horne et Syndicat des travailleurs de la mine Noranda (C.S.N.), D.T.E. 92T-431 (Me Carol Jobin, arbitre).
6 Rolls-Royce (Canada) ltée et Association internationale des machinistes et des travailleurs de l’aérospatiale, section locale 869, D.T.E. 96T-876 (Me André Sylvestre, arbitre). Voir aussi une sentence arbitrale récente rendue en Ontario : Communications, Energy and Paperworkers Union of Canada, Local 900 et Imperial Oil Canada, 11 décembre 2006 (Michel G. Picher, président du conseil d’arbitrage).
7 D.T.E. 2005T-932 (Me Serge Brault, arbitre).
8 D.T.E. 2005T-933 (Me Richard Marcheterre, arbitre).
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