Vous lisez : Diagnostiquer le climat organisationnel en dix étapes

Quand de tels symptômes organisationnels indésirables apparaissent, le gestionnaire sourcille et retient sa respiration. S’agit-il d’un épisode isolé? Il pousse alors un soupir de soulagement. Le symptôme persiste-t-il? Ennuyé et inquiet, il intervient rapidement et le problème est réglé. En principe…

Mais quand le symptôme devient récurrent, le gestionnaire n’a pas d’autre choix que de s’arrêter pour ausculter son équipe, son unité ou son usine en focalisant son attention sur le climat organisationnel. Avant de prendre une décision précipitée, il lui faut comprendre la dynamique qui anime le système humain dont il a la responsabilité pour concevoir l’intervention appropriée.

La notion de climat
Le climat organisationnel est composé des perceptions que les membres d’une organisation ont de leur environnement de travail. Ces perceptions concernent ce que les employés valorisent fondamentalement dans une situation de travail :l’autonomie, la confiance, la reconnaissance, l’équité, le soutien, l’entraide, le leadership, la cohésion, l’efficacité, la valeur de la mission et le sens à l’action, etc.

Leur perception de toutes ces dimensions se traduit par des impressions, des émotions et des attitudes individuelles et collectives. Évidemment, ces impressions fluctuent en fonction des événements et de l’évolution de l’organisation, mais aussi parce que les employés partagent entre eux leurs perceptions sur ces éléments en évolution. Le climat organisationnel constitue donc, à un moment donné, une synthèse des émotions collectives dominantes, provoquées par la perception qu’ont les employés de leur situation de travail et alimentées par les conversations.

Le climat trouve sa première utilité dans les indications hautement révélatrices qu’il donne sur l’état d’un groupe ou d’une organisation, comme un symptôme permet d’inférer les causes d’une maladie. Mais attention : un symptôme n’est pas la maladie. Ainsi, un diagnostic qui révèlerait un climat d’inquiétude peut amener la direction à examiner sa structure ou ses pratiques de gestion ou encore confirmer qu’un changement attendu est en train de se produire. D’où l’importance d’établir un bon diagnostic avant de se lancer dans l’action.

Mais le climat est plus qu’un symptôme ou un moyen de prendre le pouls d’une situation. Comme la températureaffecte l’humeur, les attitudes et les décisions des êtres humains, le climat organisationnel peut agir sur les motivations, les choix et les façons de communiquer et d’agir des employés. Il joue un rôle actif dans la vie de l’organisation. Ainsi, le climat peut avoir un impact positif ou négatif sur le service à la clientèle, sur la productivité, sur la capacité d’innover, sur l’adaptabilité au changement, sur le roulement de personnel, sur l’engagement et la mobilisation, sur la satisfaction au travail et même sur la qualité des produits.

Démarche de diagnostic
L’établissement d’un diagnostic du climat organisationnel se fait à l’aide d’une démarche structurée dont l’efficacité a été largement démontrée auprès de presque tous les types d’entreprise. Cette démarche peut varier selon les particularités de l’organisation et de la situation à analyser, mais elle se fait généralement en dix étapes.

  1. Préciser le but, qui peut consister à :
    • comprendre et résoudre un problème organisationnel émergent;
    • anticiper un problème organisationnel et le désamorcer avant qu’il n’affecte la capacité du système humain à remplir sa mission, et ce, à l’aide d’un mécanisme de veille interne (tableau de bord);
    • déterminer la disposition du système humain à changer ou à implanter un changement.
       
  2. Constituer un comité de pilotage. Idéalement, celui-ci devrait être formé de membres représentatifs du groupe ou de l’organisation à analyser pour faciliter l’appropriation de la démarche et de ses résultats par ceux qui sont concernés. Le mandat de ce comité devrait être bien défini quant aux objectifs, aux résultats attendus et à l’étendue de la collecte de données.
     
  3. Choisir l’échantillon des personnes à sonder. Généralement, un diagnostic de climat se concentre sur les perceptions des employés et des membres de la direction. Exceptionnellement, l’opinion des clients, des partenaires ou des fournisseurs peut s’avérer utile.

    Préférablement, toutes les personnes faisant partie du groupe ou de l’organisation à analyser devraient être interrogées. Un diagnostic de climat peut déjà être considéré comme un début d’intervention parce qu’il constitue un mécanisme d’expression. Mais, tout dépendant de la problématique, de l’objectif recherché, du nombre d’individus dans l’organisation, des budgets et du temps disponible, il convient parfois de limiter l’ampleur de la démarche en n’interrogeant qu’un échantillon de personnes.
     
  4. Choisir le ou les moyens de collecte de données. Des informations qualitatives peuvent être recueillies grâce à l’observation directe (du service à la clientèle pendant une après-midi, du style de gestion ou de communication d’un superviseur, etc.), mais surtout grâce à des entrevues individuelles ou de groupe. Il s’agit alors d’explorer et d’approfondir la compréhension du climat, d’identifier ses causes, de dégager des hypothèses ou des dimensions qui le caractérisent et de recueillir des exemples pour illustrer la problématique dans un rapport ou lors d’une intervention. Les entrevues de groupe sont particulièrement utiles pour favoriser l’expression d’un grand nombre d’individus, alors que les entrevues individuelles facilitent l’expression de personnes qui seraient peu enclines à le faire en groupe.

    L’approche quantitative est également possible grâce aux sondages scientifiques utilisant des questionnaires avec questions fermées. Ce type d’approche permet de valider une première évaluation «intuitive» du climat ou les hypothèses formulées à son sujet, et ce, sur un large échantillon de personnes. Mais surtout, ils permettent de mesurer avec précision l’importance que peut avoir chacune des dimensions du climat dans une situation particulière, voire de mesurer les variations de climat entre différentes unités de l’organisation. Ainsi, il est possible d’évaluer avec plus de justesse la pertinence d’intervenir et d’établir avec précision les cibles d’intervention.

    Une des stratégies qui a fait ses preuves à plusieurs reprises consiste à établir le diagnostic à l’aide d’une combinaison d’instruments. Par exemple, dans une grande entreprise manufacturière québécoise, les dimensions du climat à analyser ont d’abord été dégagées grâce à une dizaine d’entrevues individuelles. Puis, une trentaine d’entrevues de groupe ont été menées auprès de 20 % de la population de l’entreprise. Pendant ces entrevues, les participants devaient répondre à un questionnaire, puis commenter entre eux leurs réponses. Les résultats obtenus grâce à cette approche combinée ont été très riches qualitativement et quantitativement et ont servi à établir un plan d’intervention qui est encore aujourd’hui en voie d’implantation. Par ailleurs, le fait qu’une grande quantité d’individus ait participé à la démarche a contribué à minimiser les résistances face aux changements envisagés dans ce plan.
     
  5. Déterminer les dimensions du climat à mesurer. Il s’agit d’établir, à l’aide de quelques entrevues exploratoires auprès d’individus clés, les aspects sensibles de l’organisation qui, a priori, semblent influencer le climat (voir figure 1).
     
    DIMENSIONS DU CLIMAT (figure 1)
    • La confiance
    • L’autonomie
    • Le sentiment d’appartenance
    • Le degré de participation aux décisions
    • Le respect
    • La reconnaissance
    • L’équité
    • La résolution de conflits
    • La collaboration, l’entraide, l’émulation
    • La transparence
    • La cohérence entre le discours et les décisions
    • Les défis ou le degré de difficulté des tâches ou des objectifs
    • La valeur et le sens de la mission
    • L’image de l’entreprise auprès de la population, sa réputation comme employeur
    • La puissance du positionnement stratégique, la valeur de la marque

  6. Construire, à partir des dimensions à explorer ou à mesurer, les instruments de diagnostic : grille d’observation, canevas d’entrevue ou questionnaire. Une bonne façon de s’assurer que les questions choisies sont les bonnes est de se demander si les réponses qu’elles provoqueront seront utiles. Ainsi, si le résultat à telle ou telle question est défavorable, est-ce que quelqu’un peut faire quelque chose? Est-ce que quelqu’un est prêt à faire quelque chose? Dans la négative, cette question ne mérite pas d’être posée. Par ailleurs, dans l’éventualité où le questionnaire est l’instrument retenu, il est hautement recommandé de requérir les services d’une firme spécialisée pour le mettre au point, le valider et traiter les données (voir figure 2).
     
    EXEMPLES DE QUESTIONS DE SONDAGE EN FONCTION
    DE QUATRE DIMENSIONS DU CLIMAT (figure 2)
    Dimensions du climat Énoncés Accord avec l’énoncé
    La confiance ressentie « J’ai le sentiment que mon supérieur
    immédiat me fait confiance. »
    SO 1 2 3 4 5
    L’autonomie et la latitude «J’ai suffisamment de marge de manœuvre pour
    faire ce qu’il faut afin de satisfaire les clients.»
    SO 1 2 3 4 5
    L’équité perçue «Je sens que je suis traité avec équité par
    mon supérieur immédiat.»
    SO 1 2 3 4 5

  7. Collecter et analyser des données. Le véritable défi d’un tel diagnostic consiste à susciter la participation constructive des employés, surtout lorsque ceux-ci sont affectés défavorablement par ce climat. Il est alors souhaitable que la collecte des informations se fasse durant leur temps rémunéré de travail. Le comité de pilotage doit également choisir avec soin le moment de cette collecte. Par exemple, il doit éviter de la planifier au moment où débute le processus de renouvellement des conventions collectives, lors d’un changement majeur, comme l’implantation d’un nouveau système d’exploitation, ou lorsque que le statut de l’entreprise est menacé ou profondément affecté par une nouvelle réglementation, une acquisition, des résultats financiers désastreux, etc.

    Afin de favoriser l’expression libre des employés, l’intervieweur ne devrait pas être la personne qui est en position d’autorité. Celui-ci doit assurer à tous les participants que les informations resteront anonymes et prendre soin d’expliquer l’envergure réelle du diagnostic pour éviter que celui-ci ne suscite des attentes trop élevées.
     
  8. Présenter les résultats. Si la crédibilité de l’intervieweur constitue un gage de réussite, il en va de même de la façon dont les résultats seront présentés et utilisés. Par souci de transparence, il est impératif que tous ceux qui ont participé au diagnostic reçoivent un résumé du rapport.

    Cependant, cette transparence doit respecter les personnes. Les informations doivent absolument rester anonymes et le rapport doit être rédigé dans un esprit constructif de recherche de solution. Il faut éviter les règlements de comptes, surtout lorsque le climat est conflictuel.

    Il convient généralement de présenter les résultats d’abord à celui ou ceux qui ont demandé le diagnostic. Dans certains cas cependant, la nécessité de respecter les personnes suggère de présenter ces résultats en premier lieu aux cadres qui pourraient se retrouver dans une position délicate par des informations sensibles. Ils auront ainsi l’occasion de valider ces informations et de se préparer à réagir. Ce n’est que lorsque toutes les personnes en position d’autorité auront pris connaissance du diagnostic qu’un résumé pourra être diffusé à l’ensemble des membres de l’organisation.
     
  9. Établir et réaliser un plan d’action. Lorsque les constats justifient une intervention, un plan d’action peut être élaboré, idéalement avec la contribution de tous ceux qui auront à l’implanter. L’équipe de pilotage peut définir les grandes lignes des interventions, déterminer les actions qui seront non négociables, puis demander aux employés et aux cadres de valider les autres actions proposées ou de suggérer d’autres solutions.
     
  10. Suivre l’évolution du climat. La boucle est bouclée lorsqu’un second diagnostic est effectué après une certaine période (dix-huit mois environ) pour évaluer les progrès ou les changements accomplis.

Quelques exemples
Une entreprise de haute technologie a revu en profondeur ses stratégies et ses moyens de communication lorsqu’une étude de climat a révélé que les efforts de communication portant sur la performance de l’entreprise, sur des nouvelles de l’industrie et des concurrents suscitaient peu d’intérêt, les employés désirant plus de partage de bonnes idées, d’échanges inter-secteurs et de rencontres de petits groupes pour échanger sur des nouveaux développements dans leurs champs de spécialité.

Une entreprise de services a utilisé les résultats d’un sondage sur le climat de travail pour élaborer des contenus de formation pour les cadres, le sondage ayant révélé des carences importantes sur le plan des pratiques de gestion des personnes et des équipes.

Une entreprise de services syndiquée a mieux ciblé ses efforts de développement d’un intranet, les résultats d’un sondage démontrant des perceptions négatives par rapport à des programmes de gestion des ressources humaines et des perceptions d’iniquité dans les pratiques de gestion de ressources humaines entre différentes catégories d’employés.

Jean-Pierre Charest, CRHA, M.B.A., consultant en gestion des ressources humaines, Jean-Pierre Charest, Services-Conseil et Jacques Charuest, CRHA, psychologue consultant, gestion et développement organisationnel, Jacques L. Charuest inc.

Source : Effectif, volume 6, numéro 3, juin/juillet/août 2003

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