L’accès à l’information médicale est un sujet qui soulève de nombreuses questions chez les employeurs québécois ainsi que chez leurs employés. Notre société protège, au moyen de divers règlements, lois et chartes, le droit fondamental à la vie privée.
De ce droit découle pour l’employeur l’obligation de préserver l’intégrité des renseignements personnels, et particulièrement de ceux qui sont inscrits dans les dossiers médicaux des employés. Mais jusqu’à quel point cette information doit-elle demeurer confidentielle?
Le principe général veut que seules les personnes qui ont besoin de renseignements personnels de manière indispensable dans l’exercice de leur fonction peuvent y avoir accès; c’est le cas du responsable de la gestion des dossiers de santé et sécurité du travail dans une entreprise. Les renseignements à recueillir doivent être absolument nécessaires et pertinents à une prise de décision. Les renseignements exigés doivent avoir un rapport avec les exigences de l’emploi, les risques reliés au travail, les réclamations basées sur l’état de santé de l’employé. La pertinence et la nécessité des documents recueillis permettront à l’employeur de remplir ses obligations et d’assurer ainsi la santé et la sécurité de ses employés.
La confidentialité peut être levée de façon explicite, c’est-à-dire par une renonciation préférablement écrite de l’individu. Elle peut aussi être levée de façon implicite. À titre d’exemple, on renonce à la confidentialité de l’information médicale ou d’une partie de celle-ci lorsqu’on souscrit une assurance-vie. Le même raisonnement s’applique lorsqu’une personne invoque son état de santé afin de faire reconnaître le droit de s’absenter du travail ou qu’elle veut toucher des prestations d’assurance-salaire. L’ampleur de la renonciation variera notamment en fonction de la lésion professionnelle dont la personne est victime. Il est aussi reconnu par les tribunaux que le fait de déposer une réclamation fondée sur son état de santé entraîne une renonciation implicite à la confidentialité des renseignements médicaux en relation avec les prétentions. Ainsi, le fait de déposer une demande d’indemnisation pour une lésion professionnelle à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) implique qu’un travailleur renonce implicitement à la confidentialité des dossiers médicaux se rattachant à la nature de la maladie, à la durée de l’absence ou à la fréquence de celle-ci. La question de confidentialité a soulevé plusieurs débats dans la mesure où la gestion des réclamations à la CSST implique la nécessité d’obtenir un minimum d’information sur l’état de santé d’un travailleur blessé.
Les articles 38 et 39 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) donnent le droit à l’employeur, à la personne qu’il désigne de même qu’à un employeur à qui des coûts seraient imputés, d’obtenir l’accès au dossier administratif de la CSST du travailleur victime d’une lésion professionnelle. Pour l’aspect médical du dossier, l’article 39 prévoit que le médecin désigné de l’employeur lui fait un rapport sur les éléments médicaux au dossier et sur toute information concernant la réadaptation physique du travailleur. En fait, le médecin fait un résumé du dossier et donne ses recommandations pour permettre à l’employeur d’exercer les droits que lui reconnaît la Loi.
Pour assurer le traitement adéquat de ses dossiers destinés à la CSST, l’employeur a le droit de faire examiner le travailleur par un professionnel de la santé de son choix, c’est-à-dire de le faire voir en expertise afin de valider entre autres le diagnostic, la date de consolidation de la lésion, les limitations fonctionnelles, les possibilités d’atteinte permanente, etc. Ce sont les articles 209 et suivants de la LATMP qui le prévoient. Ce droit inclut, à certaines conditions, l’accès aux dossiers médicaux en relation avec la réclamation, ce qui permet de transmettre le dossier médical à l’expert médical désigné par l’employeur.
Dès qu’une décision de la CSST est dûment contestée, une copie du dossier complet est transmise à la Direction de la révision administrative (DRA) et ou à la Commission des lésions professionnelles (CLP). L’employeur reçoit aussi, à cette étape, une copie du dossier complet, sans devoir passer par l’entremise d’un professionnel de la santé. Il doit avoir accès au dossier afin de bien se préparer pour l’audience. Il ne faut pas oublier les règles de justice naturelle qui reconnaissent à tous le droit à une défense pleine et entière, le droit à une audition juste et équitable et le droit d’être entendu. Dans les cas de contestation, le tribunal pourrait même contraindre l’employé à divulguer les renseignements pertinents. Les tribunaux supérieurs ont d’ailleurs statué sur la question du droit d’accès en permettant à une partie défenderesse d’accéder au dossier médical d’une personne fondant une réclamation en justice sur son état physique. Empêcher ce droit équivaudrait à porter atteinte à l’équité du processus judiciaire. Cela tombe sous le sens. Mais un employeur ne pourrait jamais faire valoir ses prétentions dans le cadre d’une réclamation soumise à la CSST par l’un de ses travailleurs, ce qui pourrait ouvrir la porte aux pires abus.
Dans le même ordre d’idées, la Loi permet à l’employeur de demander un partage des coûts qui lui sont imputés pour les raisons d’un handicap antérieur. C’est l’article 329 de la LATMP qui le prévoit. Cette demande doit évidemment reposer sur une preuve médicale. L’employeur devra démontrer que le handicap dont est atteint le travailleur a joué un rôle dans le mécanisme de production de la lésion professionnelle et qu’il a contribué à augmenter les coûts de cette lésion en prolongeant la période de consolidation. L’expertise médicale donne habituellement les renseignements nécessaires afin d’appuyer la demande et celle-ci est jointe à la demande soumise par l’employeur. L’employé peut aussi être contraint de soumettre des renseignements médicaux sur son passé, si ce passé a un rapport direct avec la lésion professionnelle en litige.
La règle s’applique d’ailleurs aux litiges strictement médicaux fondés sur un ou des éléments de l’article 212 de la LATMP, c’est-à-dire les litiges soumis au Bureau d’évaluation médicale (BEM). Lorsque l’employeur désire contester un rapport médical dont le contenu infirme les conclusions du médecin à charge du travailleur sur l’un ou l’autre des cinq points de l’article 212, c’est-à-dire le diagnostic, la date de consolidation, les traitements, les limitations fonctionnelles et l’atteinte permanente, il est évident que des informations seront révélées à la personne en charge de la gestion des dossiers CSST. Pour soumettre une demande au BEM, le gestionnaire doit être en mesure d’obtenir ces renseignements. D’ailleurs, l’employeur ou la personne qu’il désigne ont un droit d’accès au rapport rédigé par le BEM.
De plus, l’article 199 de la LATMP oblige le médecin à indiquer le diagnostic sur les rapports médicaux de la CSST. Et, à l’article 267, la LATMP prévoit que le travailleur doit fournir une attestation médicale à son employeur s’il est victime d’une lésion professionnelle qui le rend incapable d’exercer son emploi au-delà de la journée au cours de laquelle s'est manifestée sa lésion. À compter de ce moment, on reconnaît à l’employeur le droit d’obtenir le diagnostic du travailleur blessé au travail.
Bien que seules les personnes désignées puissent avoir accès au dossier confidentiel d’un employé, il se peut que certains renseignements puissent être divulgués dans l’intérêt de cet employé. Un contremaître pourrait avoir connaissance des limitations fonctionnelles d’un travailleur, afin d’assurer sa sécurité et de lui trouver un emploi qui respecte ses limitations. Par contre, il faut souligner qu’un directeur général ou un délégué syndical par exemple ne peuvent se servir de leur titre pour avoir un accès illimité aux renseignements personnels d’un travailleur.
Pour assurer la confidentialité des dossiers médicaux dans l’entreprise, certaines mesures peuvent être prises telles que l’élaboration d’une politique d’accès et de protection des renseignements, un système de gestion des renseignements qui inclurait par exemple la liste des personnes ayant accès à l’information confidentielle, les mesures de sécurité, la façon de constituer un dossier, etc., un programme de sensibilisation du personnel qui a accès aux dossiers confidentiels et l’endroit désigné pour la tenue des dossiers. De telles mesures minimiseraient les risques potentiels de voir trop d’individus manipuler des dossiers confidentiels.
Enfin, pour éviter toute erreur potentielle, on peut retenir qu’il est important de bien évaluer chaque situation afin de s’assurer de ne transmettre aux bonnes personnes que l’information nécessaire et pertinente. Il est important d’assurer à tout individu le respect maximal de ses droits, incluant le droit à la protection de son dossier médical, tout en respectant le droit de l’employeur d’avoir tous les renseignements utiles pour vaquer à ses occupations en tant que gestionnaire.
Chantal Boutin, CRIA, conseillère, Raymond Chabot SST inc.
Source : Effectif, volume 9, numéro 5, novembre/décembre 2006