Dans le monde actuel, l’information est facilement accessible; le droit à la vie privée et à la protection des renseignements personnels occupe donc une place de plus en plus préoccupante. Dans de telles circonstances, il convient de s’interroger sur l’étendue du droit de l’employeur de vérifier les renseignements fournis par les candidates qui postulent un emploi.
Comment concilier le besoin d’un employeur de se renseigner et de s’assurer de la véracité des déclarations d’un candidat avec le droit de ce dernier à la protection de ses renseignements personnels? Par exemple, un employeur peut-il vérifier les informations sur l’éducation, les emplois antérieurs, les antécédents judiciaires ou encore la solvabilité d’un candidat et, dans l’affirmative, quelles sont les limites?
L’exigence de nécessité
La Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé accorde une protection considérable aux personnes en ce qui a trait à l’information qui permet de les identifier. Le Code civil du Québec ainsi que la Charte des droits et libertés de la personne assurent également une protection, quoique plus générale, dans ce domaine.
En matière d’information, le principe de base veut qu’un employeur ne puisse recueillir que les renseignements nécessaires à l’objet du dossier du candidat. Les données ainsi recueillies et vérifiées avant l’embauche ne pourront être directement versées au dossier de l’employé que si elles répondent également au critère de nécessité au dossier d’emploi. La Loi interdit aussi aux entreprises de rejeter une demande d’emploi en raison du refus d’une personne de fournir un renseignement personnel qui n’est pas nécessaire.
Qu’est-ce que ce critère de nécessité? L’information nécessaire sera déterminée en fonction des circonstances relatives à chaque situation; mais elle devra, à tout le moins, porter sur les qualités et aptitudes requises par l’emploi. Par ailleurs, il semble incontesté que le fardeau de prouver cette nécessité repose sur la personne qui l’invoque, soit l’employeur dans la très grande majorité des cas.
Il est très important de comprendre que la Commission d’accès à l’information du Québec a déjà examiné cette question et a décidé que le critère de nécessité est beaucoup plus fort qu’un renseignement qu’il serait utile ou pertinent de recueillir.
Diplômes et éducation
Il est généralement reconnu que les renseignements portant sur les diplômes et les études d’un candidat sont nécessaires au processus d’embauche, et ce, dans la mesure où ils sont liés au poste convoité et aux exigences de l’emploi. Dans ce cas, un employeur peut s’assurer de la véracité de tels renseignements. La jurisprudence reconnaît d’ailleurs le droit, à un employeur qui s’est rendu compte après vérification que le candidat avait fait de fausses déclarations sur sa scolarité ou l’éducation requises pour le poste, de congédier cet employé. Les tribunaux auront à décider du caractère nécessaire des renseignements demandés afin de déterminer s’ils sont liés au poste et aux exigences établies par l’employeur.
Par exemple, un tribunal d’arbitrage a déjà décidé qu’un employeur pouvait mettre fin à l’emploi d’un ingénieur industriel qui avait affirmé avoir un baccalauréat en génie alors qu’en réalité, il lui manquait trois crédits pour obtenir son diplôme. Il avait transmis une fausse information sur un élément essentiel à la conclusion du contrat de travail puisqu’il était expressément requis de posséder le diplôme en question. Dans une autre décision, il a été décidé qu’un employeur pouvait congédier un professeur d’université qui avait fait de fausses déclarations sur l’avancement de ses études en vue de l’obtention d’un doctorat. Ainsi, non seulement est-il permis de vérifier les informations recueillies en ce qui a trait aux diplômes et à l’éducation lorsqu’elles sont nécessaires, mais il est également permis de congédier tout employé qui trompe délibérément l’employeur à ce sujet.
Emplois antérieurs
Il semblerait que des questions portant sur le nombre et le motif des absences, sur les diverses réclamations (CSST, griefs) déposées par le travailleur, sur l’existence d’un dossier disciplinaire et sur certains autres événements qui se seraient produits dans des emplois antérieurs ne seraient pas autorisées par la Loi. De tels renseignements ne satisferaient pas au critère de nécessité pour l’embauche d’un candidat. Toutefois, il en va autrement en ce qui concerne les renseignements portant sur les emplois occupés, le titre, la durée, la description des tâches, les responsabilités assumées, etc. Il faut se rappeler que l’objectif de la vérification des emplois antérieurs est de confirmer l’exactitude des informations données par le candidat; cela ne doit donc pas se transformer en partie de pêche afin d’obtenir des renseignements qu’un employeur n’a pas osé demander directement au candidat. Bien entendu, il en va autrement si le candidat a donné son plein consentement à toutes sortes de vérifications auprès de ses anciens employeurs.
Il est important de mentionner que les tribunaux sont particulièrement sévères à l’endroit de candidats qui passent un congédiement sous silence. En effet, non seulement les futurs employeurs ont-ils le droit de vérifier les renseignements donnés par un candidat à ce sujet, mais on peut aussi constater une certaine tendance à imposer une obligation positive de renseignements au candidat, et ce, même en l’absence de questions de la part de l’employeur. Cela va donc plus loin que la simple confirmation de renseignements. Ainsi, l’omission de divulguer des expériences de travail passées dans le but d’éviter que l’employeur ne découvre un renvoi pourrait constituer une cause juste et suffisante de congédiement. Les candidats à un emploi doivent donc fournir une information précise et complète au sujet des circonstances qui ont entouré leur départ des emplois précédents et ne pas omettre certains emplois compromettants.
Cependant, le futur employeur devra dans la plupart des cas s’assurer d’avoir obtenu le consentement du candidat avant de recueillir des informations auprès de tiers (sauf si la collecte de renseignements auprès du tiers est la seule façon de confirmer leur exactitude). C’est là le seul moyen de s’assurer de la véracité et de l’exactitude des informations fournies volontairement par le candidat. Par souci de prudence, nous sommes d’avis qu’un formulaire de demande d’emploi devrait contenir un consentement du candidat autorisant l’employeur à s’adresser à ses anciens employeurs pour obtenir des références.
Antécédents judiciaires
La Charte joue un rôle essentiel lorsque vient le temps de demander à un candidat s’il a des antécédents judiciaires. L’article 18.2 stipule que :
« Nul ne peut congédier, refuser d’embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu’elle a été déclarée coupable d’une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n’a aucun lien avec l’emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon. »
Cela signifie qu’un employeur peut sanctionner ou refuser d’embaucher un candidat à cause de ses antécédents judiciaires seulement lorsqu’il existe un lien entre ces antécédents et le poste convoité. À titre d’exemple, la jurisprudence a reconnu un lien entre le fait qu’un employé occupe un poste comportant la perception de paiements par chèque et en argent ainsi que l’accès à un coffre-fort et le fait d’avoir été condamné pour recel par le passé. Les tribunaux ont également admis la corrélation entre un employé qui exercerait les fonctions d’« enquêteur-régleur » en matière de sinistres d’automobiles et d’habitations et un plaidoyer de culpabilité pour voies de fait et vol à l’étalage.
Dans le même ordre d’idées, il est vraisemblable de croire qu’un lien entre un emploi d’agent de sécurité et une inculpation pour vol sera reconnu par les tribunaux. Par contre, il en irait probablement autrement pour un poste de cuisinier ou de mécanicien et une condamnation pour fraude, par exemple.
Quant à la collecte et à la vérification de renseignements portant sur les antécédents judiciaires, un employeur ne peut poser de questions à ce sujet à des candidats que lorsque ces informations sont nécessaires à l’objet de leur dossier. Il ne peut non plus refuser de les engager ou les pénaliser autrement en raison de ces antécédents s’ils n’ont pas de lien avec les exigences reliées au poste. La Cour suprême du Canada a déterminé en 2003 le fardeau de preuve pour établir la violation de cette disposition comme suit : le candidat ou l’employé doit prouver qu’il a été pénalisé dans le cadre de son emploi et que ses antécédents judiciaires ont été la cause réelle de ce refus d’embauche ou de ce congédiement. Une fois ces éléments prouvés, l’employeur devra démontrer l’existence d’un lien entre l’infraction et l’emploi s’il veut éviter un jugement contre lui.
Pour résumer notre pensée, nous sommes d’avis qu’un employeur devrait, dans son formulaire de demande d’emploi, poser de la façon suivante la question relative aux antécédents judiciaires : « Avez-vous des antécédents judiciaires qui pourraient être en lien avec l’emploi que vous postulez? Si oui, lesquels? »
Dossier de crédit
À notre avis, et seulement pour certains types d’emplois, un bon dossier de crédit pourrait être considéré comme une aptitude ou une qualité requise à la création et au maintien du lien d’emploi. Ainsi, lors de l’embauche d’un directeur de crédit dans une institution financière, l’existence d’un bon dossier de crédit pourrait constituer un critère licite. Par contre, la Commission d’accès à l’information a jugé que, pour un emploi de préposé aux bénéficiaires dans un centre de personnes âgées, le dossier de crédit ne pouvait être un critère de sélection valide. Par conséquent, le candidat n’avait pas à révéler des renseignements à ce sujet, car cela relevait de sa vie privée et n’était pas justifié en vertu des exigences de l’emploi.
Nombreuses sont les dispositions qui accroissent désormais la protection accordée à la vie privée des candidats à l’emploi. La jurisprudence va même jusqu’à reconnaître aux postulants le « droit au silence », voire à la non-divulgation de certains renseignements lorsque les employeurs franchissent certaines limites dans la formulation de leurs questions. Néanmoins, en dehors de cette zone protégée, les candidats ont l’obligation de répondre avec honnêteté et franchise aux questions nécessaires à l’objet de leur embauche et, éventuellement, au dossier d’emploi. Par conséquent, le critère à retenir est celui de la nécessité aux fins de l’embauche. Ce critère déterminera l’essentiel des questions qui pourront être posées et des vérifications qui pourront être faites.
La Loi prévoit diverses sanctions pénales en cas de non-respect des dispositions protégeant les renseignements personnels qui pourront être appliquées par la Commission d’accès à l’information dans des situations reliées au processus de recrutement. Ces sanctions incluent des amendes allant de 1000 $ à 10 000 $ pour une première infraction et, tout comme en matière environnementale, il est utile de rappeler que les administrateurs et dirigeants peuvent être condamnés conjointement et solidairement avec leur entreprise.
Toutefois, outre le côté financier, ce sont les dommages qui seront inévitablement causés à la réputation des entreprises qui enfreindront la Loi qui risquent d’être les plus importants. En effet, il n’est jamais agréable de faire la manchette des journaux comme étant une organisation qui ne respecte pas la législation sur les renseignements personnels de ses employés. Les employeurs doivent également se rappeler que la protection des renseignements personnels est depuis quelques années un sujet chaud et, en conséquence, il leur est fortement recommandé d’y apporter une très grande vigilance.
Karine Fournier, CRIA, avocate, Fasken Martineau Dumoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Source : Effectif, volume 9, numéro 5, novembre/décembre 2006