Vous lisez : L’entrepreneur avec lequel vous avez fait affaire a-t-il payé ses cotisations à la CSST? Vous pourriez, à titre d’employeur qui retient ses services, en être tenu responsable…

L’article 316 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles[1] (LATMP) rend l’employeur responsable des cotisations impayées par un entrepreneur (ou sous-traitant) à la CSST à l’égard de ses employés :

« 316. La Commission peut exiger de l'employeur qui retient les services d'un entrepreneur le paiement de la cotisation due par cet entrepreneur.

« Dans ce cas, la Commission peut établir le montant de cette cotisation d'après la proportion du prix convenu pour les travaux qui correspond au coût de la main-d'oeuvre, plutôt que d'après les salaires indiqués dans la déclaration faite suivant l'art. 292.

« L'employeur qui a payé le montant de cette cotisation a droit d'être remboursé par l'entrepreneur concerné et il peut retenir le montant dû sur les sommes qu'il lui doit ».

Interprétation des termes « employeur » et « entrepreneur »
Suivant les définitions d’employeur et d’établissement énoncées respectivement à l’article 2 de la LATMP et à l’article 2 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail[2], le statut d’employeur comprend donc deux éléments distincts :

  1. l’existence d’un contrat de travail;
  2. l’utilisation des services d’un travailleur aux fins de son établissement.

La LATMP ne définit pas ce qu'est un entrepreneur; on doit donc s’en remettre au sens commun de ce terme. Selon l’article 2098 du Code civil du Québec[3] (C.c.Q.), un entrepreneur est une personne qui s'engage envers une autre personne, le client, à fournir un service moyennant un prix que le client s’oblige à lui payer.

À titre d’illustration, la Commission des lésions professionnelles (CLP) a, dans le passé, conclu que le fait pour une entreprise de s'engager à vendre et à distribuer des produits d’un employeur sur un territoire donné ne lui permet pas de conclure qu'il s'agit d'un contrat d'entreprise. Il s’agit davantage d'un contrat de vente de produits entre un fournisseur et un commerçant que d'un contrat de service[4].

Interprétation jurisprudentielle de l’article 316 de la LATMP
Le but que vise l'article 316 de la LATMP est d’inciter l’employeur à s'assurer que son entrepreneur paie les cotisations dues à la CSST. Ainsi, en application de cet article, la CSST peut exiger que l’employeur règle les cotisations impayées de l’entrepreneur envers qui il a contracté des obligationss[5].

Par voie de conséquence, il revient à l’employeur de s'assurer que son entrepreneur s'est acquitté de ses obligations envers la CSST, faute de quoi il s’expose à devoir payer la facture le jour où la CSST constatera le défaut. Le cas échéant ou à titre préventif, l’employeur peut vérifier si une telle somme est due en exigeant que l’entrepreneur lui fournisse un certificat (ou attestation) de conformité de la CSST[6].

a) Les moyens de défense refusés par la CLP visant à éviter le paiement par l’employeur de la cotisation de son entrepreneur

  • L’entrepreneur n’a pas d’employés salariés
    Le fait de faire affaire avec un entrepreneur qui ne compte aucun employé salarié mais qui sous-traite lui-même le travail n’a pas d’incidence sur l’obligation de l’employeur d’acquitter la cotisation impayée. En effet, l’article 316 de la LATMP vise tous les travailleurs exécutant un travail quelconque pour une industries[7].
     
  • L’absence de connexité entre les travaux effectués par l’entrepreneur et l’activité économique principale de l’employeur
    Le fait que les travaux effectués par l'entrepreneur ne soient pas de la nature de l'activité économique principale de l'employeur n’a pas d’incidence sur l’obligation de l’employeur d’acquitter la cotisation impayée. Cela ne le dégage pas de l’obligation prévue à l’article 316 de la LATMP[8].
     
  • Le défaut par la CSST d’obtenir, de façon préalable, un certificat de défaut contre l’entrepreneur (article 320 de la LATMP)
    La LATMP n'exige nullement que la CSST obtienne de façon préalable un certificat de défaut contre l'entrepreneur, mauvais payeur, avant de rendre une décision en application de l'article 316 de la LATMP. La Loi prévoit plutôt que l’employeur, qui a acquitté les cotisations impayées (ce qui comprend les intérêts et les pénalités applicables[9]), peut les réclamer de l'entrepreneur ou retenir le montant dû sur les sommes à verser à l'entrepreneur.
     
  • L’insolvabilité de l’entrepreneur
    L’employeur ne peut être relevé du remboursement de la cotisation impayée d’un entrepreneur en raison de l’insolvabilité ou de la disparition de ce dernier, puisque, selon la jurisprudence de la CLP, cela aurait pour effet de rendre inopérant l’article 316 de la LATMP[10].

    Ainsi, bien qu’il lui soit impossible d’exiger de l’entrepreneur le remboursement des cotisations, l’employeur demeure ultimement responsable du règlement de celles-ci auprès de la CSST[11].

  • En agissant tardivement, la CSST a privé l’employeur de la rétention de paiement prévue à l’alinéa 2 de l’article 316 de la LATMP
    Ce moyen de défense a été soulevé par un employeur qui alléguait ne plus avoir de lien d’affaires avec l’entrepreneur au moment où la CSST l’a avisé de son obligation d’acquitter les cotisations dues par l’entrepreneur.

    La CLP, dans une décision très récente, a rejeté cet argument et rappelé que le principe établit plutôt que l’obligation imposée à un employeur d’acquitter les cotisations dues par un entrepreneur en vertu de l’article 316 de la LATMP existe malgré le fait que l’employeur soit dans l’impossibilité d’exiger le remboursement desdites cotisations à l’entrepreneur[12].

  • L’employeur ne peut avoir plus de droits que l’entrepreneur
    L’employeur est tenu d’acquitter la cotisation de l’entrepreneur même si celui-ci pouvait invoquer qu’il n’était pas tenu de payer une cotisation à la CSST (par exemple, si l’entrepreneur est une entreprise fédérale). La CLP a jugé que, comme l’entrepreneur n’a pas invoqué de son propre chef cette exonération, l'employeur doit acquitter les cotisations de celui-ci[13]. En effet, l’entrepreneur aurait pu contester les cotisations émises à son égard, mais il ne l’a pas fait… Il a donc été cotisé comme une entreprise provinciale et l’employeur doit acquitter la cotisation impayée d’un entrepreneur provincial.

b) Les moyens de défense reconnus par la CLP visant à éviter le paiement par l’employeur de la cotisation de son entrepreneur

  • L’employeur a obtenu un certificat de conformité de l’entrepreneur
    La façon la plus sûre pour un employeur d’éviter l’application de l'article 316 de la LATMP est de demander l’original du certificat (ou de l’attestation) de conformité à son entrepreneur pour les contrats et les périodes visés par le transfert des cotisations dues.

    Un tel certificat confirme que l'entrepreneur a acquitté toutes les sommes dues à la CSST relativement à un contrat précis au regard d'un employeur spécifique sur une période donnée.

    Il est important que l’employeur obtienne l’original du certificat de conformité. En effet, dans la décision 9074-5399 Québec inc. (CBM) et Commission de la santé et de la sécurité du travail, la CLP a souligné le manque de diligence de l’employeur dans la gestion de son dossier en vue de prévenir l’application de l’article 316 de la LATMP. La CLP a reproché à l'employeur de s'être fié à une copie de l'attestation de conformité (qui s’est révélée fausse par la suite), de ne pas avoir requis qu'on lui fournisse l'original et de ne pas avoir pris contact avec la CSST afin de vérifier l’exactitude des renseignements fournis par l'entrepreneur[14].

    Pour la CLP, l'exigence d'un original et la vérification de l’information auprès de la CSST paraissent des exigences élémentaires qui n'ajoutent pas un délai supplémentaire susceptible de causer un quelconque préjudice à l'employeur[15].

    À défaut d’obtenir un tel certificat, un employeur ne pourra adresser aucun reproche à la CSST.
     
  • L’employeur peut retenir un montant de l’entrepreneur
    L’employeur peut également retenir un certain montant du contrat avec son entrepreneur afin de bénéficier de la retenue à la source prévue à l'article 316 alinéa 2 de la LATMP[16].
     
  • L'employeur n'est pas responsable de toutes les dettes de l'entrepreneur
    En effet, la CLP a reconnu qu'un employeur ne peut être tenu responsable de toutes les dettes de l'entrepreneur envers la CSST, mais seulement de celles qui découlent du contrat intervenu entre eux[17].

Conclusion
En résumé, l’employeur qui reçoit un avis de cotisation ou une demande de renseignements de la CSST relativement à un entrepreneur dont il a retenu les services devrait toujours tenter d’obtenir auprès de cet organisme des précisions qui l’aideront à préparer sa réponse et à évaluer s’il lui est possible de contester la réclamation. En effet, un avis de cotisation de la CSST peut représenter une lourde ponction financière dans son budget d’exploitation.

Bien que la CSST, en vertu de l'article 174 de la LSST, ait le devoir de s'assurer du caractère confidentiel des renseignements qu'elle détient, elle doit, tout en préservant la confidentialité de tout autre élément contenu au dossier de l’entrepreneur, fournir et divulguer l'information pertinente à sa prise de décision en vertu de l'article 316 de la LATMP[18].

La prudence est donc de rigueur!

Marie-Claude Perreault, CRIA, avocate associée et Isabelle Marcoux, avocate du cabinet Lavery, De Billy

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 12, novembre 2006.


1 L.R.Q., c. A-3.001.
2 L.R.Q., c. S-2.1.
3 L.Q., 1991, c. 64.
4 Les breuvages Cott ltée, Commission des lésions professionnelles (C.L.P.), Montréal, 187744-71-0207, 29-01-2003.
5 Fenclo ltée et CSST, [1992] C.A.L.P. 795; Morin Heights Express cie ltée et CSST, CALP 78026-62-9603, 1997-02-21.
6 Voir le point b) du présent bulletin pour plus d’information concernant le certificat de conformité.
7 Fenclo ltée et CSST, op. cit., note 5.
8 Aliments F.B.I. inc. et CSST, [1989] B.R.P. 406.
9 Intersan inc. et Transport Samano inc., Commission des lésions professionnelles (C.L.P.), Longueuil, 162966-62-0106 et 171292-62-0110.
10 Fenclo ltée et CSST, op. cit., note 5.
11 Ibid.
12 Acier Ouellette inc. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, [2006] C.L.P. 1.
13 Transport Bitumar inc. et CSST, [1992] C.A.L.P. 1089.
14 9074-5399 Québec inc. (CBM) et Commission de la santé et de la sécurité du travail, Commission des lésions professionnelles (C.L.P.), Lanaudière, 249279-63-0411, 2005-07-25.
15  Ibid.
16 Intersan inc. et Transport Samano inc., Commission des lésions professionnelles (C.L.P.), Longueuil, 162966-62-0106 et 171292-62-0110, op. cit., note 11.
17 Consortium G.A.S. et Commission de la santé et de la sécurité du travail, Commission des lésions professionnelles (C.L.P.), Laval, 259311-61-0504, 2006-03-31.
18 Intersan inc. et Transport Samano inc., op. cit., note 11.
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