Vous lisez : Le droit de l’employé à l’essai ou temporaire à la procédure de grief lors d’un congédiement

L’auteur tient à remercier Marie-Ève Desjardins pour son aide lors de la préparation de ce texte.

Il est fréquent de constater, à la lecture des diverses conventions collectives, que des réserves sont émises quant à l’exercice du droit de l’employé à l’essai ou temporaire congédié d’avoir recours à la procédure de grief.

Toutefois, les tribunaux se sont penchés sur la question et ont permis à l’employé à l’essai ou temporaire d’avoir tout de même recours à la procédure de grief et à l’arbitrage dans certaines situations, et ce, malgré les dispositions des conventions collectives. Nous examinerons ces situations dans cet article.

Une distinction doit d’abord être faite dans le cas où la convention collective est muette sur le sujet ou qu’elle contient plutôt une disposition restreignant le droit de grief.

L’exercice du droit de grief dans le cas où la convention collective est silencieuse sur le sujet
Dans un premier temps, lorsque la convention collective ne restreint pas le droit de l’employé à l’essai ou temporaire d’avoir recours à l’arbitrage afin de contester son congédiement, il est alors loisible à celui-ci de déposer un grief, puisqu’il est couvert par la convention collective. Dans Droit de l’arbitrage de grief[1], les auteurs expliquent que tout salarié membre de l’unité d’accréditation et couvert par la convention collective peut avoir recours au grief[2].

L’exercice du droit de grief dans le cas où la convention collective restreint ledit droit à la procédure de grief
Dans un deuxième temps, la convention collective peut, au contraire, écarter la possibilité de l’employé à l’essai ou temporaire d’avoir recours au grief afin de contester son congédiement.

Dans l’arrêt La Reine c. Leeming[3], la Cour suprême, sous la plume du juge Martland, a confirmé le droit de l’employeur de mettre fin à l’emploi de l’employé stagiaire sans cause ainsi que l’exclusion du recours à la procédure de grief en cas de congédiement.

En 1991, le juge Gendreau, dans l’affaire Procureur général du Québec c. Gauthier-Montplaisir[4], reconnaît également la validité de la clause de la convention collective limitant le droit à l’arbitrage dans les cas de congédiement d’un employé en probation. Il ajoute :

« L’employé est alors à l’essai dans sa fonction, ce qui permet à l’employeur de vérifier ses qualités et sa capacité d’intégration et d’adaptation à l’emploi et à l’entreprise. »[5]

Dans la décision Procureur général du Québec c. Cour du Québec[6], où une clause de la convention collective limite la compétence de l’arbitre dans son application, la juge Deschamps, alors à la Cour d’appel, souligne l’importance du fait que les parties avaient volontairement limité sa compétence et qu’ainsi, celui-ci n’a pas le pouvoir d’accorder la réparation demandées[7].

Plusieurs jugements de la Cour supérieure soutiennent aussi que l’arbitre n’a pas juridiction pour entendre un grief en présence d’une disposition de la convention collective n’autorisant pas l’employé à l’essai ou temporaire de contester une mesure disciplinaire[8]ou son congédiement[9]. Ce dernier cas est exemplifié par la cause Brasserie Labatt[10], où le juge Durocher affirme :

« […] les parties peuvent interdire le droit de grief à un employé temporaire, en autant que ces dispositions “ne sont pas contraire à l’ordre public ni prohibées par la loi” (article 62 C.T.). »[11]

À l’effet contraire, on peut considérer l’arrêt Confédération des syndicats nationaux c. Verret[12], dans lequel le juge en chef Bisson a décidé que, malgré la disposition de la convention collective ne permettant pas à l’employé à l’essai d’avoir recours au grief afin de contester son congédiement, seul l’arbitre a la compétence pour se prononcer sur la recevabilité d’un tel redressement réclamé. Toutefois, cet arrêt ne s’est pas prononcé sur la validité de la clause dans la convention collective, mais uniquement sur la compétence de l’arbitre d’interpréter une telle clause.

De plus, selon nous, la portée de cet arrêt doit être nuancée à la lumière des décisions plus récentes de la Cour Suprême qui indiquent clairement que ce ne sont pas toutes les matières en régime collectif du travail qui sont du ressort exclusif de l’arbitre. Il faut que le litige découle explicitement ou implicitement de la convention collective[13].

Ainsi, on peut affirmer que le droit de l’employeur d’insérer une clause restreignant le droit des employés à l’essai ou temporaires congédiés d’avoir recours à la procédure de grief existe hormis les quelques cas où les tribunaux ne l’ont pas permis.

L’arrêt Parry Sound et la nuance apportée par l’arrêt Isidore Garon
En 2003, la Cour suprême[14], dans une affaire concernant le congédiement d’une employée à l’essai dès son retour d’un congé de maternité, rendit une décision qui élargit considérablement les pouvoirs de l’arbitre en matière de grief. L’arrêt Parry Sound est désormais une référence en droit du travail. Puisant son fondement dans l’arrêt McLeod[15], le juge Iacobucci, au nom de la majorité, édicte :

« […] le droit général de l’employeur de gérer les opérations et de diriger le personnel est subordonné non seulement aux dispositions expresses de la convention collective mais aussi aux droits reconnus à ses employés par la loi. »[16]

Malgré la disposition de la convention qui prévoyait expressément que l’employé à l’essai congédié ne pouvait déposer un grief, la Cour conclut, en s’appuyant sur l’arrêt McLeod[17] que :

« […] les droits et les obligations substantiels prévus par le Code des droits de la personne sont incorporés dans toute convention collective à l’égard de laquelle l’arbitre a compétence. »[18]

Désormais, le contenu des conventions collectives ne se limite pas aux seules dispositions qu’elles comportent, mais inclut également de façon implicite les dispositions des lois en matière de droits de la personne et les autres lois sur l’emploi.[19] De cette façon, le droit discrétionnaire de l’employeur de congédier une employée à l’essai ou temporaire sans que celle-ci ait recours au droit à l’arbitrage est soumis au respect des droits protégés par la Charte et de ceux prévus dans les autres lois sur l’emploi.

Dans un article intitulé Pertinence, cohérence et conséquences de l’arrêt Parry Sound, l’auteur Fernand Morin écrit :

« […] le droit à un contrôle arbitral existerait dès qu’une violation aux dispositions d’ordre public serait valablement soulevée à l’égard de tous salariés assujettis à une convention collective. »[20]

En janvier 2006, la Cour suprême, dans l’arrêt Isidore Garon c. Tremblay[21], a nuancé les propos tenus dans l’arrêt Parry Sound. Dans cette affaire, la Cour devait déterminer si, conformément à l’enseignement de l’arrêt Parry Sound, les articles 2091 et 2092 C.c.Q. devaient être considérés comme incorporés à la convention collective. Le plus haut tribunal jugea que le contenu des lois en matière d’emploi n’est pas inclus entièrement dans les conventions collectives. Ainsi, elle statue que :

« L’arrêt Parry Sound n’a toutefois pas incorporé à toutes les conventions collectives les droits et obligations substantiels prévus à l’ensemble des lois en matière d’emploi. Il y a inséré des lois qui, à la lumière des propos du juge Iacobucci, avaient un caractère d’ordre public. »[22]

La juge Deschamps, s’exprimant pour la majorité, explique que l’incorporation d’une règle ne peut être faite que si celle-ci est compatible avec le régime collectif des relations du travail et qu’il s’agit d’une norme supplétive ou impérative, autrement elle doit être exclue.[23] La disposition du C.C.Q en cause fut ainsi jugée incompatible avec le régime collectif de travail « puisque la détermination du délai de congé est un droit personnel qui doit être déterminé de façon individuelle et non collective »[24].

La notion de bonne foi
Suivant cet enseignement, plusieurs jugements permettent l’incorporation implicite du principe de la bonne foi dans la convention collective, prévu aux articles 6 et 7 C.c.Q.. En 2005, dans l’arrêt Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Ménard[25], concernant un grief déposé contre la décision de la Commission scolaire de ne pas ajouter le nom d’une enseignante sur la liste de priorité d’emploi, le juge Rochette a décidé que « l’exigence de la bonne foi participe de l’ordre public dans le contexte du contrat de travail »[26]et que, de cette façon, « cette obligation découle du contenu obligatoire implicite de la convention collective liant les parties »[27].

Toutefois, selon nous, cet arrêt n’a pas pour effet d’ouvrir la porte à des griefs contestant un congédiement dans toutes les situations où un salarié temporaire ou à l’essai est congédié. Selon nous, il faut étudier la convention collective pour déterminer l’étendue des droits d’un tel salarié. Ceci ressort du commentaire suivant du juge :

« L’arbitre aurait plutôt dû se demander si l’arbitrage d’un grief constitue le forum compétent pour débattre de l’allégation du caractère abusif ou déraisonnable de décisions discrétionnaires de la Commission scolaire. Il le sera si ce débat découle implicitement de la convention collective. Dans le cas contraire, les décisions de la Commission scolaire devront être attaquées devant la Cour supérieure. »[28].

En s’appuyant entre autres sur l’arrêt Ménard, le tribunal d’arbitrage[29], sous la présidence de Me Pierre Saint-Arnaud, a également conclu que les articles 6 et 7 du CcQ sont compatibles avec la convention collective et y sont donc inclus implicitement.

Dans cette décision, un grief est déposé afin de contester la fin d’emploi de plusieurs employés temporaires. Le syndicat prétend que l’employeur fait preuve de mauvaise foi et abuse de son droit de gérance en congédiant les employés temporaires qui approchent de deux ans de service.

Indépendamment des dispositions de la convention collective qui privent les employés temporaires du droit au grief en cas de mise à pied, l’arbitre estime qu’il a compétence pour trancher ce grief. S’inspirant de décisions de la Cour suprême ainsi que de la Cour d’appel, il affirme que la notion d’abus de droit, en matière d’application de la convention collective, relève de la juridiction de l’arbitre.[30]

L’exigence de la bonne foi semble donc s’ajouter aux limites imposées à l’employeur dans son droit de gérance.

En bref, le droit de l’employeur de congédier un employé à l’essai ou temporaire sans qu’il ait recours à la procédure de grief existe. Il est par contre tempéré par les droits protégés par la Charte ou par certaines dispositions d’ordre public. De plus, la notion de bonne foi en matière d’application de la convention collective semble prendre de plus en plus d’ampleur devant les tribunaux.

Thomas M. Davis, CRIA, avocat associé du cabinet Borden Ladner Gervais

Source : VigieRT, numéro 11, octobre 2006.


1 BLOUIN Rodrigue et Fernand MORIN. Droit de l’arbitrage de grief, 5e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2000.
2 Id., p. 150.
3 La Reine (N.-B.) c. Leeming, [1981] 1 R.C.S. 129.
4 Procureur général du Québec c. Gauthier-Montplaisir, D.T.E. 91T-882, (C.A.).
5 Id., par. 9.
6 Procureur général du Québec c. Cour du Québec, [2001] R.J.D.T. 601, (C.A.).
7 Id., 603.
8 Syndicat canadien de la fonction publique c. Morency, D.T.E. 93T-998 (C.S.).
9 Brasserie Labatt c. Bergeron, [1989] R.J.Q. 2537, (C.S.).
10 Précité, note 8.
11 Brasserie Labatt c. Bergeron, précité, note 8, 2541 (j. Durocher).
12 Confédération des syndicats nationaux c. Verret, [1992] R.J.Q. 975, (C.A.).
13 Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929.
14 Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, [2003] 2 R.C.S. 157.
15 McLeod c. Egan, [1975] 1 R.C.S. 517.
16 Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, précité note 15, 185 (j. Iacobucci).
17 McLeod c. Egan, précité, note 16.
18 Parry Sound (district), Conseil d’administration des services sociaux c. S.E.E.F.P.O., section locale 324, précité, note 15, 173 (j. Iacobucci).
19 Id., 173.
20 Fernand MORIN. « Pertinence, cohérence et conséquences de l’arrêt Parry Sound », dans Service de la formation permanente, Barreau du Québec, vol. 205, Développement récents en droit du travail, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2004, p. 29, p. 34.
21 Isidore Garon ltée c. Tremblay; Fillion et Frères (1976) inc. c. Syndicat national des employés de garage du Québec inc., [2006] 1 R.C.S. 27.
22 Id., 86.
23 Id., 43.
24 Commission scolaire des Sommets c. Rondeau, D.T.E. 2006T-345, par 97, décision rendue par le juge Jacques, retenue pour publication dans le recueil [2006] R.J.D.T.
25 Syndicat de l’enseignement de la région de Québec c. Ménard, [2005] R.J.D.T. 672, (C.A.).
26 Id., 680.
27 Id.
28 Id.
29 Laval (Ville) c. Syndicat des cols bleus de la ville de Laval inc., SCFP, section locale 4545, décision du Tribunal d’arbitrage, rendue le 29 juin 2006 par Me Pierre St-Arnaud.
30 Id., parag. 15.
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