Vous lisez : Gestion « humaine » chez CMP Produits Métalliques : une restructuration exemplaire

Imaginez-vous responsable des ressources humaines d’une PME qui perd brusquement un client représentant 70 % de son chiffre d’affaires. C’est la lutte pour la survie… L’entreprise doit remonter la pente en quelques mois seulement. Dans un tel contexte, vous avez le réflexe de procéder à des licenciements massifs. Or, le patron vous demande de tout tenter pour éviter les mises à pied permanentes. Et vous avez carte blanche!

Voilà, en résumé, le défi relevé en 2001 par Michel Labrecque, CRHA, directeur corporatif des ressources humaines chez CMP Produits Métalliques Ltée, une importante entreprise manufacturière de Châteauguay, fondée en 1969. Michel Labrecque occupait son poste chez CMP depuis un an, après avoir rempli des fonctions similaires dans d’autres entreprises.

Pour son redressement à visage humain, CMP a récolté un prix IRIS Contribution au changement organisationnel décerné par l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec, lors d’un gala tenu le 24 septembre dernier à Montréal.

Michel Labrecque a confié à Effectif les leçons qu’il tire de cette restructuration. Pour apprécier son cheminement et celui de CMP, un petit retour en arrière s’impose.

Les années folles des télécoms

En l’an 2000, CMP est une entreprise familiale parmi les mieux équipées en Amérique du Nord, avec une chaîne de production automatisée depuis 1989. Sa spécialité: les boîtiers de métal pour les télécommunications, hautes technologies, équipements médicaux. Surtout les télécommunications, car Nortel (incluant son sous-traitant C-Mac) représente 70% de son chiffre d’affaires.

« Nortel connaissait une croissance exceptionnelle, rappelle Michel Labrecque. En 1999 et 2000, CMP avait une croissance du chiffre d’affaires de 50% et plus. »

Après l’inauguration d’une seconde usine à Ottawa en 1998, CMP agrandit son usine principale et construit une troisième usine à Châteauguay uniquement pour exécuter les commandes de Nortel.

CMP accorde déjà priorité au bien-être de ses salariés (environ cinq cents personnes en l’an 2000) et prend soin d’eux le mieux possible: cafétéria rénovée, gymnase... Pour les dirigeants de l’entreprise, Steve et John Zimmermann, il s’agit non seulement d’un avantage concurrentiel, mais aussi d’une philosophie, d’un engagement moral.

Recruter la crème de la crème

La gestion des ressources humaines a été purement administrative jusqu’en septembre 1999. À cette date, le président Steve Zimmermann introduit le recrutement Topgrading. En vogue chez de grandes entreprises américaines (notamment chez General Electric, Microsoft, Proctor & Gamble), Topgrading signifie recruter à tout prix parmi les 10% supérieurs des candidats disponibles.

Ces « joueurs » dits de catégorie « A » sont des professionnels très compétents, rapides d’exécution, autonomes, en perpétuelle formation continue, bons communicateurs et flexibles, qui font évoluer l’entreprise (ils constituent environ 40% de la main-d’œuvre actuelle chez CMP). Des salariés d’élite sélectionnés grâce à une entrevue chronologique, structurée et détaillée.

« Pour les cadres, cette entrevue peut durer de six à neuf heures en continu, explique Michel Labrecque. On le fait également pour les employés d’usine, ça dure de deux heures et demie à trois heures et demie, après les entrevues préliminaires. La sélection est axée sur les attitudes et les comportements, pas uniquement sur l’aspect technique. »

En l’an 2000, un plan stratégique à long terme du Comité de direction de CMP insiste sur la main-d’œuvre: 65% des programmes et structures prévus concernent les salariés.

« Je n’ai pas de budget, révèle Michel Labrecque. Pour recruter un employé cadre, le processus complet dure de quinze à vingt heures, on peut s’imaginer les coûts que ça représente. Avant la crise, j’ai pu dépenser à peu près 350 000 $ en recrutement pour cent vingt-cinq postes et je n’avais pas à me justifier. »

Un an pour sauver l’entreprise

Avant la crise... En janvier 2001, Nortel subit une rapide descente aux enfers boursiers qui interrompt sa production. CMP constate une baisse instantanée du volume de ses ventes. Or, la PME de Châteauguay demeure peu connue et il lui faut de six à douze mois pour s’assurer un nouveau client.

Steve Zimmermann n’hésite pas à déclarer publiquement qu’il risquera tout avant de procéder à des mises à pied permanentes. « J’ai fait beaucoup de « traditionnel », des réductions d’effectifs, mais j’étais content d’entendre ça », avoue aujourd’hui Michel Labrecque.

Le service des ressources humaines instaure alors un plan en huit phases, étalé sur une année, axé sur la formation des employés.

  1. Janvier 2001
    • Réduction du personnel temporaire (43 salariés).
    • Réduction des heures supplémentaires.
  2. Février 2001
    • Formation multidisciplinaire, technique et de gestion.
    • Campagne de sensibilisation et de réduction des fournitures.
    • Rupture de contrats de service en sous-traitance.
    • Rapatriement de la sous-traitance des produits.
  3. Mars 2001
    • Réalignement de la stratégie des ventes et marketing.
    • Programme de réduction des coûts des matières premières.

À ce stade, « on s’est aperçu que garder la moitié des salariés en emploi sans produire, ça détruit un climat de travail. On avait tellement investi dans le Topgrading, il ne fallait pas laisser partir les meilleurs joueurs », dit Michel Labrecque. Le service des ressources humaines crée le Programme Solution CMP: des mises à pied temporaires avec l’équivalent de 90% du salaire, 55% provenant de l’assurance-emploi et 35% de l’employeur.

Le service des ressources humaines soigne le volet communication: les chefs d’équipe et les salariés sont informés avant, pendant et après l’implantation des phases, jusqu’à organiser des rencontres individuelles avec les employés qui le souhaitent. Il est à souligner que les propriétaires consacrent jusqu’à 80% de leur temps aux activités de communication et de formation.

  1. Mai 2001
    • Début du Programme Solution CMP: 130 personnes mises à pied temporairement.
    • Formation intensive de l’équipe des ventes.
    • Introduction de nouveaux produits.
  2. Juillet 2001
    • En vertu du Programme Solution CMP, 50 employés supplémentaires mis à pied.
    • Quelques rappels à l’usine pour pourvoir des postes clés à la production.
    • Formation intensive aux nouveaux produits.
  3. Septembre 2001
    • Premières mises à pied permanentes, 50 salariés (soit 11% des employés des usines concernées).
    • Le Programme Solution CMP remplace désormais 70% du salaire.
  4. Novembre 2001
    • Mises à pied permanentes de 70 salariés (15% des employés des usines concernées).
    • Réduction des salaires sur une base volontaire.
    • Réduction des avantages sociaux.
    • Fin du Programme Solution CMP.
  5. Janvier 2002
    • Relance des activités, réembauche et embauche rapide pour livrer la marchandise aux nouveaux clients.

En décembre 2002, CMP compte cinquante-deux clients, notamment dans les secteurs médical, de distribution, du transport, du commerce de détail, des télécommunications. « Il a fallu douze mois pour revenir au même chiffre d’affaires qu’à l’époque de Nortel, mais sans Nortel », précise Michel Labrecque.

La formation en interne, la réingénierie des processus et la recherche de nouveaux clients ont métamorphosé CMP. L’entreprise n’est plus un fournisseur de produits de base, mais un spécialiste de solutions électromécaniques pour les bâtis métalliques sur mesure. Elle offre de nouveaux produits et des solutions complètes, de la conception jusqu’à l’intégration mécanique totale (fabrication, assemblage, peinture, sérigraphie...).

Les ressources humaines doivent « prendre leur place »

Ainsi, le Programme Solution CMP a retardé de neuf mois les mises à pied permanentes et a retenu en poste une bonne partie de la main-d’œuvre qualifiée. Le 1er mai 2002 (fête des travailleurs!), CMP met fin au gel des salaires et des avantages sociaux, même si elle n’a pas encore engrangé de profits.

Après avoir diminué ses effectifs à deux cent cinquante salariés en 2001, CMP recommence à embaucher en 2002 pour dénombrer, en décembre dernier, environ trois cent soixante-quinze employés. « J’ai toujours une moyenne de trente à quarante postes à pourvoir, indique Michel Labrecque. On a tellement de nouveaux clients qu’on ralentit le rythme des ventes, la production n’est pas capable de suivre! C’est un problème qui n’est pas agréable à vivre, mais c’est plus agréable qu’en 2001. »

Depuis deux ans, Michel Labrecque n’est plus le même gestionnaire. Et il voit sa profession d’un autre œil. « Les « RH » n’osent pas prendre de risques. Partout où j’ai travaillé avant CMP, le département des ressources humaines était souvent perçu comme une contrainte organisationnelle. Pourtant, la main-d’œuvre n’est pas un coût, mais un investissement. Il faut prendre notre place, devenir des partenaires stratégiques. »

Le moral a toujours été bon pendant la crise chez CMP. À preuve:

  • Taux de roulement très bas (8%, dont seulement 1% attribué aux employés de catégorie « A »), taux d’absentéisme de 2,5 %, aucun acte de vandalisme, ni de sabotage.
  • Selon un sondage interne, le Programme Solution CMP a obtenu un taux de satisfaction de 98%.

Jean-Sébastien Marsan est journaliste indépendant.

Source : Effectif, volume 6, numéro 1, janvier / février / mars 2003

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