Vous lisez : Une faute grave, ça se discute

Bon nombre de conseillers en relations industrielles vous le diront, il est toujours douloureux de traiter de dossiers où l’employeur indique un manquement disciplinaire assimilable à une faute grave. La perte du lien de confiance attribuable à ce type de manquement cause, non seulement un choc à l’employeur, mais elle signifie aussi pour le salarié un châtiment qui équivaut à la peine de mort quant à son emploi.

Le législateur ne définit nullement, dans la Loi sur les normes du travail[1], le concept de la faute grave. Clairement, la jurisprudence, abondante en la matière, relie généralement la faute grave au vol, à la fraude ou à la malversation. Conséquemment, le salarié coupable d’un tel acte est congédié sur-le-champ et perd automatiquement son droit à un préavis de fin de contrat, prévu à l’article 82.1 3e alinéa de la Loi sur les normes du travail[2] et établi selon le nombre d’années de service continu chez l’employeur.

Outre les concepts rattachés à la perpétration d’une faute grave, soit le vol, la fraude ou la malversation, les différentes cours et commissions ont défini, avec le temps, ce qu’on entend par faute grave. Ainsi au début des années 1980, dans la décision CnT c. Berlington Canada inc.[3], la notion de faute grave était interprétée comme étant celle qui requiert un congédiement immédiat. Interprétation quelque peu restreinte du terme qui, fort heureusement, s’élargit avec la décision CnT c. Beverini inc.[4] Celle-ci développe le concept de faute grave en lui donnant le sens d’un manquement majeur qui rend indispensable une rupture immédiate pour inconduite d’une sérieuse gravité. Il pourra s’agir d’un incident si impardonnable qu’il suppose le renvoi du salarié sur-le-champ ou d’une série de faits de moindre importance ou d’un comportement que répétera le salarié malgré un ou plusieurs avertissements sérieux.

Ainsi, la jurisprudence nous enseigne que, non seulement les concepts déjà énoncés, soit le vol, la fraude et la malversation, font partie intégrante de la notion de faute grave, mais également le comportement qui se perpétue malgré des avertissements sérieux de l’employeur afin que le salarié amende son comportement. À titre d’exemple, un salarié qui, par son attitude, influence négativement l’atmosphère entre collègues sur les lieux de travail, peut être congédié à la suite de nombreuses interventions en étant informé que l’employeur soulèvera le motif de faute grave.

Cela dit, l’employeur se voit imposer certaines responsabilités dans le processus de congédiement pour faute grave. Le droit et la jurisprudence nous rappellent qu’avant de procéder au congédiement, l’employeur doit, afin d’éviter que sa décision fasse l’objet de contestations et de demandes d’indemnisation de la part du salarié, faire preuve de prudence et de clarté dans les moyens utilisés afin de prouver la perpétration d’une faute grave.

Ainsi, le juge Iacobucci, dans l’arrêt McKinley[5] indique que :

« Tout acte de malhonnêteté commis par un employé ne doit pas automatiquement être assimilé à un motif valable de congédiement. »

Il poursuit en indiquant que :

« Il est important d’apprécier le contexte dans lequel l’inconduite a été commise et de déterminer si la malhonnêteté a eu pour effet de rompre la relation employeur-employé. Toutefois, en ce qui concerne les cas de vol, malversation ou fraude, la Cour n’exclut pas que ces actes puissent entraîner un congédiement immédiat. Cela étant, je suis d’avis qu’il ressort de la jurisprudence pertinente qu’il faut recourir à une approche contextuelle pour déterminer si la malhonnêteté d’un employé constitue un motif valable de congédiement. Dans certains cas, le recours à cette approche peut entraîner d’âpres résultats. »

Afin d’en arriver à cette analyse contextuelle de l’acte invoqué, telle qu’elle est proposée par la Cour suprême, il est généralement reconnu que l’employeur doit faire une enquête sérieuse et complète sur les événements avant de blâmer l’employé. Et qu’à moins de cas particuliers, l’employé devrait toujours avoir l’occasion de relater sa version des faits et d’être confronté aux manquements qu’on lui reproche[6]. Ainsi, une enquête complète inclura la possibilité, pour l’employé, de donner sa version des faits. Nous ne reviendrons pas sur le processus d’enquête en soi puisque nous l’avons déjà abordé dans un précédent article (La suspension pour fins d’enquête : une médecine à deux vitesses). Cependant, il est bon de souligner que l’employeur, dans le cadre de l’enquête, est soumis à une obligation de bonne foi qui est généralement reliée à une obligation de franchise, de raisonnabilité et d’honnêteté envers les employés ainsi que d’abstention de se comporter de façon inéquitable ou de faire preuve de mauvaise foi. La jurisprudence abondante établit, notamment dans la décision Aspirot c. Ascenseurs Thyssen inc.[7], que l’employeur commet un abus de droit de congédier, notamment quand il procède à une enquête bâclée avant de congédier, quand il omet de donner au salarié la chance de s’expliquer et qu’il allègue divers motifs de congédiement pour lesquels il n’a aucune preuve lors du procès.

La transgression de ce principe de bonne foi et de clarté dans le processus menant au congédiement a pour conséquence l’exposition à des responsabilités additionnelles telles que l’augmentation des sommes versées à titre d’indemnité de départ, des dommages moraux, etc.

À titre d’exemple, dans l’affaire Audet c. Cimatec Environmental Engineering inc.[8], le juge accorda une somme de 5000 $ en dommages moraux compte tenu de la façon dont le salarié avait été congédié et des allégations en défense de malversation et déloyauté invoquées neuf mois seulement après la rupture du lien d’emploi. En révision par la Cour d’appel, on a alors énoncé que la valeur probante et le caractère sérieux des motifs allégués par l’employeur étaient affectés par la tardiveté de celui-ci à les invoquer et que cela constituait un abus de droit de congédier.

Dans la décision Yvon Couture c. Les services Investors ltée[9], le commissaire Cloutier conclut que l’enquête menée par Investors est superficielle, non suffisamment poussée. L’impression qui se dégage de cette enquête est qu’il s’agit d’un règlement de compte. Un employeur qui s’appuie sur un tel rapport pour congédier un employé n’agit pas prudemment. Il fait preuve de négligence ou de maladresse, voire d’insouciance ou de malveillance qui, lorsqu’elles causent des dommages, doivent être compensées.

Ainsi, l’employeur a tout intérêt, dans les cas de faute grave, à prendre le temps nécessaire afin d’analyser la situation devant laquelle il se trouve :

  1. en s’appuyant sur un dossier disciplinaire antérieur s’il y a lieu;
  2. en informant le salarié fautif des manquements qui lui sont attribués;
  3. en interrogeant les collègues de travail s’il y a lieu ou en amassant les documents pertinents;
  4. en permettant au salarié de communiquer sa version des faits. Ainsi, la personne mandatée afin de tenir l’enquête pourra appliquer les principes de la preuve soit la vraisemblance, la corroboration, l’absence de contradiction, etc., afin de prendre une décision basée sur l’ensemble des faits. C’est ainsi qu’on évitera le paiement de sommes supplémentaires découlant d’une enquête superficielle ou bâclée.

Disons en conclusion que la faute grave, par définition, est un motif sérieux ayant des conséquences autant pour l’employeur que pour l’employé. L’employé, par son obligation de loyauté, doit sérieusement réfléchir avant de commettre un tel acte et, de son côté, l’employeur doit user de moyens inattaquables afin de faire la preuve d’une faute qui s’avère fort sérieuse.

Alain Gérard, CRIA, président d’Albion Conseil

Source : VigieRT, numéro 10, septembre 2006.


1 Loi sur les normes du travail L.R.Q., c. N-1.1
2 Id.
3 Commission des normes du travail c. Berlington Canada inc., C.P Bedford, No 460-02-000614-810, 22 avril 1982
4 Commission des normes du travail c. Beverini inc., C.P Montréal , 500-02-039690-818, 16 septembre 1982
5 McKinley c. BC tel [2001] 2 RCS 161
6 Brossard c. Embouteillage Coca-Cola, C.S Beauce, 350-17-000036-015, 31 octobre 2003
7 Aspirot c. Ascenseurs Thyssen inc., C.A Montréal, No 500-09-015621-055, 16 mai 2005
8 Audet c. Comatec Environmental Engineering inc., C.S Montréal  DTE  2000T-828
9 YvonCouture c. Les services Investors ltée, CRT, Montréal, CM-1011-1423, 20 décembre 2002
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