Il serait certes présomptueux d’affirmer qu’il y a une différence très nette entre les deux, bien que les plaintes du côté non syndiqué semblent présentement plus nombreuses. De fait, nous connaissons le nombre important de plaintes déposées auprès de la Commission des normes du travail (plus de deux mille), celle-ci nous fournissant l’information, mais nous ne pouvons nous baser que sur la lecture des décisions rapportées et des cas défendus par notre cabinet ainsi que de ceux qui sont discutés lors d’activités de formation et de conférences pour évaluer la situation du côté syndical.
Ce qui, selon nous, pourrait expliquer que nous retrouvons de façon générale moins de plaintes en milieu syndiqué est bien évidemment le fait que tout syndicat a intérêt, comme l’employeur, à assurer de saines relations de travail et à éviter la multiplicité des griefs. En ce sens, les syndicats ont fait dans l’ensemble un travail fort louable de formation et d’information auprès de leurs membres avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions en matière de harcèlement psychologique. Ces efforts et ceux des employeurs, qui ont ainsi tenté d’agir de façon préventive, comme le recommande la Commission des normes du travail, ont limité, encore une fois de façon générale, le nombre de plaintes déposées du côté syndiqué. De plus et à l’exception de harcèlement entre collègues ou par des tiers, le milieu syndiqué avait depuis longtemps été sensibilisé à la nécessité d’éviter les situations de harcèlement. Il y a bien eu quelques dérapages, mais l’arrivée de ce recours n’a pas eu le même effet que dans les milieux non syndiqués. Le fait qu’il y a déjà une jurisprudence arbitrale bien établie en cette matière n’y est pas non plus étranger.
Du côté non syndiqué, la situation est différente et la jurisprudence reste à faire. Dans le cas des petites et moyennes entreprises plus particulièrement, le rapport de force s’est trouvé changé de façon draconienne en faveur des salariés. En effet, les larges pouvoirs d’ordonnance, la possibilité dès le premier jour de l’usage d’un recours avec enquête chez l’employeur par une tierce partie et la présence d’un avocat de la Commission des normes du travail, fourni gratuitement au plaignant, se sont avérés des outils de taille dans ce changement du rapport de force et pourraient expliquer en partie le nombre impressionnant de plaintes déposées.
Toujours du côté non syndiqué, ce recours fait maintenant double emploi dans certains cas avec les recours déjà prévus, dont la plainte en vertu de l’article 124 de la Loi sur les normes du travail pour congédiement sans cause juste et suffisante. En effet, nous avons remarqué que les individus qui déposent une plainte pour congédiement en vertu de cet article cochent fréquemment la case « Plainte de harcèlement » sur le formulaire de la Commission. Ce faisant, par l’entremise de l’enquête en matière de harcèlement, la Commission des normes du travail, ses avocats et le salarié ont accès à l’ensemble de la preuve de l’employeur avant l’audition, ce à quoi nous nous faisons un devoir de nous objecter. Ainsi, la Commission crée notamment, au bénéfice de la partie plaignante, un droit à l’enquête et, de ce fait, à la divulgation de la preuve que la loi n’a pas prévue.
À ce sujet, il serait intéressant de voir quelle sera la position des commissaires de la Commission des relations du travail relativement à ces plaintes. En toute logique, on peut penser que, parmi toutes les plaintes actuellement déposées, certaines ne sont pas justifiées et que leur nombre peut s’expliquer dans certains cas par des motifs moins nobles, tels celui de faire passer un message, de rétablir un rapport de force ou de mettre un employeur dans une position désavantageuse, alors qu’il ne faisait que gérer les cas d’incompétence, d’improductivité, d’absentéisme ou d’attitude négative, pour ne nommer que ceux-là.
Notre intention n’est pas de suggérer qu’il n’y a pas lieu d’améliorer la courtoisie en milieu de travail et qu’il n’y a pas de situations de harcèlement inacceptables qui méritent d’être prises en compte dans certaines entreprises au Québec. Nous croyons cependant que, jusqu’à ce que certains jugements viennent définir les paramètres clairs qui seront reconnus par la Commission des relations du travail en cette matière, certains salariés utiliseront malheureusement à outrance ce recours qui peut constituer une arme fort efficace.
Tout cela explique quant à nous que, pour un certain temps à tout le moins, nous aurons fort probablement plus de cas du côté non syndiqué, justifiant à plus forte raison les employeurs à agir en matière de prévention et dans le respect des règles de la gestion disciplinaire et des nouvelles règles en matière de harcèlement psychologique.
Jacques Provencher, CRIA, avocat chez Les avocats Le Corre et Associés
Il est co-auteur de l’ouvrage Le harcèlement psychologique : tout ce que l'employeur doit savoir
Source : VigieRT, numéro 1, septembre 2005.