Il n’est pas fréquent que le décès d’un employé survienne au travail. C’est pourquoi, lorsqu’une telle situation se présente, les gestionnaires sont souvent pris au dépourvu et la plupart d’entre eux ne connaissent pas exactement procédure à suivre.
De plus, un décès qui se produit au travail génère immanquablement une situation de crise. Cette crise sera plus ou moins grave selon les circonstances du décès.
Habituellement, tout événement qui se passe au travail nécessite une enquête, qui doit se faire dans les vingt-quatre heures suivant l’événement, afin de permettre une collecte de données efficace tant auprès des témoins que dans l’environnement où s’est produit l’accident.
C’est aussi le cas lorsque survient un décès. Comme il s’agit d’une situation grave, le gestionnaire doit communiquer immédiatement avec la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Il doit maintenir la scène intacte et ne rien bouger ou nettoyer. Il lui faut également communiquer avec les services de la police en composant le 911. Le fait de ne pas aviser la CSST pourrait avoir des conséquences et occasionner une amende.
Lors d’une mort naturelle, le premier réflexe serait de penser qu’il n’y a rien à faire, puisque le décès n’est pas consécutif au travail. Est-ce vraiment le cas? Un décès qui ne semble pas consécutif au travail peut engendrer des demandes d’indemnisation ultérieures de la part de la famille et il est important de colliger l’information le plus rapidement possible, dans les heures qui suivent l’événement.
Exemple d’un décès non lié au travail
Un employé occupant un poste de journalier dans une entreprise manufacturière décède sur les lieux du travail. L’employeur procède immédiatement aux procédures d’enquête, et ce, même si les circonstances laissent croire à une mort de cause naturelle.
L’enquête a permis de recueillir les faits suivants.
Le travailleur avait quarante ans. Il s’était rendu dîner chez lui comme il le faisait tous les midis. À son retour, il a repris son poste sans mentionner quoi que ce soit. Il a croisé des confrères de travail et discuté avec certains d’entre eux à son arrivée. Au début de l’après-midi, un de ses confrères qui travaillaient à proximité a trouvé le travailleur étendu sur le plancher et inconscient. Il a demandé de l’aide et les manœuvres de réanimation ont été entreprises, mais sans résultat. Le travailleur est décédé.
À la suite du décès, un enquêteur indépendant a été demandé sur les lieux et tous les travailleurs de même que le superviseur ont été rencontrés individuellement. Tous les témoignages ont été colligés par l’enquêteur. La machine sur laquelle le travailleur œuvrait a été inspectée méticuleusement. Un rapport écrit a été produit.
Plusieurs mois plus tard, le coroner a produit un rapport dans lequel il est fait mention du lourd bagage génétique du travailleur et de la maladie coronarienne dont il était porteur. Malgré cela, la conclusion du coroner a été « Mort par accident de travail ». La famille a alors déposé une réclamation à la CSST. Un litige devant les tribunaux administratifs s’en est suivi. Le rapport a alors été déposé et il a constitué l’élément de preuve qui a permis de démontrer l’absence de relation avec le travail.
Peu importe que le décès semble dû à une cause naturelle ou qu’il survienne suite à un accident du travail, la procédure demeure la même. Il est essentiel de procéder à une enquête exhaustive et de recueillir tous les faits entourant l’événement dans les heures qui suivent. Tous les employés qui ont été impliqués directement ou indirectement doivent être rencontrés séparément. Les témoignages doivent être colligés et les témoins doivent signer le document.
Conséquences sur les autres travailleurs
Un décès qui survient au travail provoque une situation éprouvante. Conséquemment, il y a toujours un risque important de réclamation de la part des autres travailleurs. Qu’il soit témoin direct ou indirect de l’événement, un travailleur peut vivre la situation de façon telle qu’un état de détresse psychologique s’installe.
L’événement peut provoquer un stress post-traumatique. Selon l’American Psychiatric Association (DSM-IV), le trouble de stress post-traumatique est un événement qui provoque chez un individu de la peur, de la détresse ou de l’horreur. Ce trouble se manifeste par un rappel persistant de l’événement traumatique, une diminution de la réactivité générale et un état d’hyperactivité neurologique.
Deux éléments permettent habituellement de déterminer qu’un travailleur a été exposé à un événement traumatique :
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le travailleur a assisté, a été exposé ou confronté à un événement qui implique la mort, une menace de mort, une blessure grave, une menace à son intégrité physique ou à celle des autres travailleurs; -
la réaction du travailleur implique une peur intense, de la détresse ou de l’horreur.
Une procédure d’intervention doit donc inclure un support psychologique pour tous les employés qui ont été témoins ou parties prenantes de l’événement. Le programme d’aide aux employés (PAE) doit être mis à contribution et les interventions organisées afin que les gens soient rapidement pris en charge, et ce, dès le jour de l’événement. Ce soutien dès les premières heures est primordial et déterminant pour le succès de l’opération.
Même si les circonstances entourant le décès ne sont pas spectaculaires, certaines personnes éprouvent plus de difficultés que d’autres à gérer le stress engendré par une telle situation. Évidemment, si le décès est consécutif à un accident impressionnant, les conséquences peuvent être plus sérieuses pour cette catégorie de personnes et le nombre de travailleurs affectés beaucoup plus important.
L’état de stress post-traumatique est difficile à cerner. Les gens ont tous un seuil de tolérance différent. Des facteurs peuvent contribuer à augmenter le risque de développer un état de stress post-traumatique, notamment :
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la sévérité du traumatisme; -
la durée du traumatisme; -
la proximité de la personne par rapport à l’événement; -
le caractère dangereux du phénomène accidentel; -
l’exposition possible au phénomène dangereux; -
les réactions des pairs (lorsque directement impliqués dans le fait accidentel).
Par ailleurs, un état de stress post-traumatique peut également s’établir chez certains travailleurs, même s’ils n’ont pas été directement impliqués dans l’événement. Par exemple, le seul fait d’occuper des fonctions similaires peut avoir une connotation de dangerosité pour le travailleur. Il peut appréhender une situation similaire dans le futur et développer de ce fait un stress plus grand devant l’éventualité de faire un travail qui a causé le décès d’un confrère.
Les témoins qui sont proches du travailleur décédé peuvent subir un stress dû à la proximité de la personne. Si un employé est témoin du décès d’un ami, les risques de développer un état de stress post-traumatique sont nettement plus élevés.
Il est donc important de donner un soutien psychologique adéquat aux témoins afin de contrôler le plus possible les conséquences du fait accidentel et d’éviter une, voire plusieurs réclamations à la CSST. Cette prise en charge permet également de minimiser les conséquences de l’événement et de rétablir le climat de travail.
Ajoutons que la psychothérapie peut être suffisante, mais qu’il arrive qu’une médication doive accompagner le suivi en psychothérapie.
L’important dans le cas d’un décès sur les lieux du travail est de s’assurer qu’on a bien identifié tous les témoins, mais aussi les travailleurs à risque et de prendre rapidement les témoins en charge. Les travailleurs qui subissent ce genre de traumatisme n’auront pas nécessairement le réflexe de chercher de l’aide. Il faut donc aller au-devant des besoins avant que la personne ne décompense après quelque temps.
Comme pour toutes les situations de crise, une procédure doit être rédigée ; elle doit déterminer les rôles et responsabilités de chaque personne qui sera appelée à intervenir. Il s’agit d’une procédure d’urgence et, de ce fait, elle doit identifier les responsables qui doivent être avisés immédiatement.
Une situation de crise consécutive à un accident ayant entraîné un décès doit être gérée efficacement et les mesures prises rapidement. Une procédure de gestion de crise permet de mettre en branle les mesures préconisées, et ce, dans un court délai. On peut souhaiter n’avoir jamais à vivre une telle expérience mais, advenant la survenance d’un décès, la procédure permettra non seulement de connaître les causes réelles du décès, mais aussi de limiter au minimum les conséquences humaines et les impacts sur la production.
Lyse Dumas, inf., Bc. Sc., CRIA, directrice, Service de santé et sécurité du travail, Morneau Sobeco
Source : Effectif, volume 9, numéro 4, septembre/octobre 2006