Vous lisez : Développements récents en milieu de travail non syndiqué

L’auteure tient à remercier Charles Lupien pour sa précieuse collaboration à la rédaction de cet article.

Tout d’abord, nous étudierons l’affaire Pro-quai inc. c. Tanguay[1] concernant les motifs sérieux de congédiement qui peuvent être invoqués par l’employeur.

M. Robert Tanguay était à l’emploi de Pro-quai inc. en tant que représentant. Selon le contrat de travail signé en 2000, M. Tanguay avait droit à des commissions sur les ventes qu’il effectuait au nom de son employeur, calculées sur les profits des transactions.

En décembre 2001, M. Tanguay perçoit 8600 $ de deux clientes en paiement de certaines factures. Frustré de s’être vu refuser l’accès aux relevés des ventes qui auraient pu lui permettre de calculer ses commissions, il avise son employeur qu’il va retenir ledit montant jusqu’à ce qu’il ait accès aux relevés.

Entre-temps, M. Tanguay est congédié. Il conteste son congédiement, le jugeant injustifié et abusif, alors que l’employeur réclame la somme que Tanguay a retenue.

Le juge de première instance a donné raison à M. Tanguay et a déclaré le congédiement injustifié. Mais la Cour d’appel a cassé ce jugement unanimement. La juge Bich a estimé qu’un employé comme M. Tanguay, en raison de sa grande autonomie et de la confiance que son employeur plaçait en lui, devait faire montre d’une loyauté scrupuleuse à l’endroit de son employeur. Elle a également déclaré que, même si l’employé avait eu raison de se plaindre à propos du non-paiement de ses commissions, cela ne l’autorisait pas à retenir des sommes qui devaient être impérativement versées à l’employeur.

En raison de cette situation et d’autres incidents mineurs, la Cour a décidé que le lien de confiance était brisé et que le congédiement était justifié.

Par ailleurs, en février 2006, la Commission des relations du travail (CRT) a rendu une décision intéressante en matière de harcèlement psychologique dans l’affaire Bourque c. Centre de santé des Etchemins[2].

Mme Ruth Bourque occupait le poste de secrétaire au Centre de santé des Etchemins depuis près de trente ans. En 2003, M. Jacques Villemure a été nommé au poste de directeur des ressources humaines, devenant ainsi le supérieur immédiat de Mme Bourque.

Les relations entre Mme Bourque et M. Villemure ont dès lors commencé à s’envenimer. En effet, M. Villemure a instauré, dès son entrée en fonction, un style de gestion plus strict et différent de celui de son prédécesseur. Par exemple, il a exigé que le code vestimentaire en vigueur dans l’entreprise soit respecté de manière plus rigoureuse. Il a également demandé à Mme Bourque de se présenter dorénavant à 8 h 30 au lieu de 9 h 00 le matin, afin d’assurer un meilleur service interne.

Mme Bourque n’a pas accepté les modifications à ses conditions de travail et a porté plainte à la CRT pour harcèlement psychologique.

La CRT a confirmé qu’il existait un conflit de travail entre M. Villemure et Mme Bourque, mais a conclu qu’il n’y avait pas eu de harcèlement psychologique. Le commissaire a estimé que l’employeur avait le droit d’exiger le respect de l’horaire de travail et du code vestimentaire par ses employés, car cela fait partie des droits de la direction.

Il serait difficile de passer sous silence l’injonction obtenue par Ubisoft dans la cause Ubisoft Divertissements inc. c. Tremblay[3]. Cette décision de la Cour supérieure marque une avancée importante dans le traitement judiciaire des clauses de non-concurrence.

M. Martin Tremblay était, jusqu’au 28 mars 2006, président-directeur général du studio Ubisoft de Montréal. À la suite d’un projet d’ouverture d’un nouveau studio à Montréal, la direction d’Ubisoft Paris décide de scinder l’équipe sous la supervision de M. Tremblay.

Après quelques rencontres infructueuses avec la direction d’Ubisoft Paris, M. Tremblay décide de quitter Ubisoft pour aller travailler chez l’un de ses compétiteurs, Vivendi Games. Il devient donc président de World Wide Studios.

Le 26 avril 2006, Ubisoft demande une injonction interlocutoire provisoire en invoquant la clause de non-concurrence signée par M. Tremblay qui l’empêche de travailler pour la concurrence sur tout le territoire du Canada, des États-Unis et du Mexique pour une période d’un an à compter de la fin de son emploi chez Ubisoft. De son côté, M. Tremblay affirme avoir été victime d’un congédiement déguisé en raison de la diminution importante de ses conditions de travail et de ses responsabilités. Il dénonce également que la clause de non-concurrence est trop restrictive.

Le 1er mai 2006, la Cour supérieure a émis une injonction interlocutoire provisoire empêchant M. Tremblay de travailler pour Vivendi.

Le 17 mai 2006, dans son jugement sur l’ordonnance de sauvegarde, la juge Langlois écrivait que les conditions de travail de M. Tremblay n’avaient pas été modifiées d’une manière à donner ouverture à la théorie du congédiement déguisé. De plus, le tribunal a estimé qu’en raison de la position stratégique qu’occupait M. Tremblay dans la structure d’Ubisoft, un préjudice sérieux et irréparable aurait de fortes probabilités de se réaliser si M. Tremblay était autorisé à travailler chez Vivendi malgré la clause de non-concurrence.

La décision Gravel c. Commission des relations du travail[4] a attiré notre attention en ce qui a trait aux concours d’embauche dans la fonction publique québécoise.

Depuis 1991, Mme Carole Gravel occupait un poste occasionnel d’avocate au sein du ministère de la Justice.

En 2001, le Conseil du trésor a décidé de changer les directives relatives à la procédure de concours au gouvernement. Pour régulariser la situation des employés qui étaient déjà à l’emploi du ministère, mais qui n’avaient pas été engagés par l’entremise d’un concours, le gouvernement du Québec proposa de leur faire passer un concours spécial qui, si les résultats étaient satisfaisants, leur permettrait d’obtenir un poste permanent au sein du Ministère.

Mme Gravel a raisonnablement bien réussi deux des trois tests du concours. Cependant, dans le dernier test écrit, elle n’a pas eu le temps de retranscrire son brouillon dans le cahier de réponses original, ce qui entraîna un résultat très bas. En conséquence, elle n’a pas atteint la note de passage.

À la suite de cet échec, Mme Gravel a demandé qu’on corrige son brouillon au lieu de l’original. Cette demande a été refusée par le Conseil du trésor et, conséquemment, Mme Gravel a perdu son emploi au ministère de la Justice.

Tant la CRT que la Cour supérieure ont refusé de donner suite à la plainte de Mme Gravel, estimant le traitement réservé à son dossier impartial et équitable. De son côté, la Cour d’appel rappelle que le rôle de la CRT, en matière de congédiement administratif, se limite à vérifier que la décision de l’employeur de mettre fin à l’emploi n’est pas arbitraire, discriminatoire ou déraisonnable.

Une autre affaire, Communauté urbaine de Montréal (Service de police) c. Commission des droits de la personne[5], est fort intéressante.

En mai 1995, la plaignante a posé sa candidature au poste de policière à la SPCUM. Quelques mois plus tard, on lui apprend qu’elle a été refusée pour le motif qu’elle n’a pas satisfait aux exigences de bonnes mœurs requises pour pratiquer le métier de policier. La plaignante avait en effet été accusée et avait plaidé coupable à une accusation de vol à l’étalage quelques années auparavant. À la suite de son plaidoyer de culpabilité, elle avait reçu une absolution inconditionnelle.

La plaignante a décidé de porter plainte en vertu de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne puisqu’elle s’est vue refuser l’embauche en raison de son casier judiciaire qui avait été effacé par son absolution. Elle a également demandé 5000 $ en dommages moraux.

La Cour supérieure a donné raison à la plaignante. La Cour d’appel, dans un jugement unanime, a confirmé le jugement de première instance. Le juge en chef Robert en est arrivé à la conclusion que la SPCUM, en ne tenant pas compte de l’absolution dans son processus d’embauche, éliminait systématiquement tous les candidats qui ont déjà fait l’objet de poursuites criminelles, même s’ils ont obtenu une absolution conditionnelle ou inconditionnelle. La plaignante ayant réorienté sa carrière à la suite de ce refus d’embauche, le tribunal lui a octroyé les 5000 $ qu’elle demandait à titre de dommages moraux.

Finalement, la Cour fédérale a rendu un jugement intéressant, au mois d’octobre 2005, dans l’affaire Bastide c. Société canadienne des postes[6] à propos des tests de dextérité manuelle requis pour accéder à certaines catégories d’emploi.

À la suite d’une restructuration, plusieurs postes permanents de triage de courrier ont été créés au Centre de triage de Montréal. Les employés temporaires intéressés par ces postes devaient passer un test de dextérité manuelle. Ce test, consistant principalement à saisir des données à l’aide d’un clavier alpha-numérique, a été analysé par la Commission des droits de la personne (Commission) et par Statistique Canada afin de déterminer l’incidence de l’âge sur les résultats. L’enquête a démontré qu’il y avait une relation directe entre l’âge et le taux d’échec.

Certains candidats plus âgés, qui se sont vu refuser les postes permanents en raison de leur échec au test de dextérité, ont porté plainte à la Commission. Celle-ci, après enquête, en est arrivée à la conclusion que le test de dextérité a mesuré une exigence professionnelle justifiée et qu’il ne portait pas atteinte au droit des plaignants. En conséquence, la plainte a été rejetée. La Cour fédérale, en révision de ce jugement, en est arrivée à la même conclusion que la Commission.

Même si plusieurs autres décisions auraient pu être commentées, nous avons dû nous limiter aux décisions qui, à nos yeux, ont été les plus marquantes.

Karine Fournier, CRIA, avocate chez Fasken Martineau DuMoulin

Source : VigieRT, numéro 10, septembre 2006.


1 2005 QCCA 1217.
2 2006 QCCRT 0104.
3 2006 QCCS 2677.
4 2005 QCCA 747.
5 2006 QCCA 612.
6 2005 CF 1410.
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