Vous lisez : La détermination d’un budget annuel d’augmentation salariale : un défi récurrent

La détermination d’un budget annuel d’augmentation salariale constitue un défi récurrent majeur pour toute organisation.

Équilibrer des enjeux aussi diversifiés que le contrôle de l’évolution des coûts d’exploitation, la reconnaissance du rendement ou du service passé des employés, les défis de recrutement, les mouvements d’effectif et le maintien d’une position compétitive sur le marché de l’emploi n’est pas une tâche facile.

Budget global
Les enjeux relatifs à la détermination du budget global pour une année particulière couvrent un éventail assez large de facteurs internes et externes parfois difficilement conciliables.

En 2006, selon nos enquêtes, l’inflation salariale prévisible moyenne atteint quelque 3,2 % au Canada. Sur le marché de l’emploi, cette moyenne générale masque des différences sectorielles importantes et les organisations visent souvent un alignement sur les tendances qui prévalent dans leur secteur d’activité. Des provisions additionnelles pour ajustements spéciaux sont souvent prévues pour donner plus de flexibilité aux décisions relatives aux augmentations de salaire. Ces provisions permettent de s’adapter à des conditions de marché parfois imprévues pour certaines fonctions et à accélérer la progression salariale d’employés clés de façon particulière. En 2006, environ la moitié des organisations canadiennes témoignent d’une telle stratégie, la provision atteignant 1 % de la masse salariale à la médiane du marché. Des différences marquées prévalent aussi sur ce point selon les indicateurs de volumes de produits d’exploitation. Les provisions discrétionnaires sont significativement moins importantes pour les plus grandes organisations, toujours en proportion de leur masse salariale.

Au Canada, les enquêtes prévisionnelles témoignent d’anticipations d’augmentation de salaire plus élevées que l’inflation depuis plusieurs années; mais les organisations canadiennes privilégient toujours l’encadrement de leurs coûts d’exploitation internes, leur rentabilité et les tendances prévisibles du marché comme critères déterminants pour statuer sur un budget d’augmentation annuelle. Lorsque les tendances sectorielles s’éloignent significativement des tendances générales ou que le contrôle des coûts internes est un défi majeur, assurer l’attraction ou la conservation de ressources humaines adaptées aux besoins organisationnels comporte alors un risque accru. Une rentabilité croissante, une augmentation significative récente des produits d’exploitation ou la réalisation de gains de productivité permettront alors des budgets d’augmentation de salaire supérieurs à l’inflation, minimisant ainsi ce risque.

Selon nos enquêtes, quelque 80 % des organisations canadiennes favorisent l’implantation d’une structure salariale formelle comme outil privilégié pour la gestion des salaires. En même temps, les répondants anticipent des augmentations de structure salariale moindre que les augmentations de salaire, généralement rapprochées, sinon directement alignées sur les indicateurs d’inflation de prix à la consommation.

Contrairement à certaines perceptions toutefois, l’inflation des prix à la consommation, la conjoncture économique ou les politiques gouvernementales sont des facteurs décisionnels relativement marginaux pour la gestion de budgets d’augmentation de salaire. En effet, une organisation particulière peut être contrainte à s’éloigner de sa tendance de marché sectorielle, généralement à cause d’un défi d’articulation avec l’enjeu plus important du contrôle de l’évolution des coûts d’exploitation. Les politiques salariales dépassant le seuil d’énoncés de principes généraux doivent donc nécessairement s’appuyer sur des structures salariales formelles pour assurer leur mise en oeuvre, y compris dans le cas de catégories d’emplois non syndiquées.

Une structure salariale se définit par un ensemble de points de contrôles salariaux; ceux-ci sont déterminés par fonctions distinctes et parfois sur une base aléatoire ou, à la limite, discriminatoire et irrationnelle, d’équité interne ou encore par classes d’évaluation de fonctions au contraire conditionnées à l’application d’un principe d’équité interne sur une base rationnelle par l’application d’une méthode d’évaluation de fonctions de qualité.

Les points de contrôle d’une classe d’évaluation de fonctions réunissent un minimum salarial de principe, des maximums normaux et un nombre indéterminé d’échelons fixes de salaire dans le cas de structures organisées en échelons de salaire, ou encore des points milieux de fourchette salariale dans le cas de structures flexibles ou même de taux de salaire fixe; ce dernier type de structure vise généralement des catégories d’emplois syndiquées et se rencontre plus rarement qu’il y a trente ans.

Comme la communication de principes de politique salariale est incontournable, ne serait-ce qu’individuellement à l’embauche, il importe d’en assurer la cohérence avec la structure en vigueur, ce qui n’est pas toujours le cas. Pour des catégories d’emplois non syndiquées par exemple, les gestionnaires estiment parfois que le principe fondateur de la politique salariale de l’organisation relève de considérations strictement liées au marché de l’emploi; mais, au-delà du discours et dans les faits, la structure en place prévoit des points de contrôle par classes d’évaluation internes. Or, une telle structure permet d’équilibrer des principes d’équité interne et de compétitivité pour une collection donnée de fonctions repères et ne répond pas seulement aux conditions de marché. Ce paradoxe est relativement fréquent dans les organisations canadiennes.

D’un point de vue organisationnel, l’intérêt d’une structure salariale réside davantage dans sa capacité à favoriser un contrôle optimal de l’évolution des coûts de salaire que dans sa qualité instrumentale d’adaptation à des conditions de marché. L’influence des anticipations de marché en matière d’augmentation de salaire exerce d’ailleurs plus d’influence sur les décisions d’augmentation des budgets salariaux que les anticipations d’ajustement de structures salariales sur le marché.

Structures salariales flexibles et notion de « ratio comparatif »
L’existence d’une structure salariale formelle est une condition nécessaire à une gestion éclairée des salaires et, en conséquence, à une distribution annuelle équitable d’un budget d’augmentation des salaires dans une catégorie d’emploi donnée. Rappelons qu’environ 20 % des organisations canadiennes sont dépourvues de structure salariale formelle, quelle que soit leur taille.

L’éventail des principes généralement reconnus pour l’établissement d’une politique salariale est relativement limité : équité interne, compétitivité, capacité d’adaptation aux tendances du marché salarial, reconnaissance du service passé ou du rendement; toutes les combinaisons possibles de ces principes conditionnent toute politique salariale.

Pour optimiser l’équilibre entre le contrôle de l’évolution des coûts et la satisfaction des employés dans le cadre de structures salariales flexibles, la reconnaissance du rendement doit être tangible. Nul besoin d’évaluation du rendement si ce processus n’a aucune conséquence sur la progression salariale, comme le répètent depuis vingt ans de nombreux experts. La reconnaissance du rendement se rajoute alors, sans la remplacer, à la reconnaissance du service passé comme critère d’octroi d’augmentations salaire; et elle le fait pour assurer une croissance salariale annuelle raisonnable du salaire individuel dans une fourchette préétablie, présentant environ 50 % d’écart entre le minimum et le maximum.

La gamme des approches ou processus utilisés pour la mise en oeuvre de politiques flexibles est relativement étendue, mais toutes les approches prévoient que les superviseurs y contribuent, ne serait-ce que pour l’évaluation du rendement de leurs employés subalternes. Le rôle des superviseurs ira parfois jusqu’à l’exercice d’une responsabilité de recommandation d’ajustement individuel, ce qui est beaucoup. Une telle décentralisation de la gestion des budgets annuels d’augmentation accentue significativement le risque d’une distribution inéquitable du budget disponible pour une catégorie d’emplois donnée.

L’approche décentralisée répond à une critique classique à l’égard des systèmes de matrices utilisées pour la gestion de progressions salariales, à savoir leur incapacité à bien gérer les progressions de fourchette sur une période raisonnable, en fonction de distributions du rendement et du « ratio comparatif » individuels dans l’effectif. On pourrait y ajouter sa contrepartie rationnelle, soit l’incapacité de certaines matrices de gestion à faire reculer rapidement ce ratio dans le temps.

Une matrice de taux individuels d’augmentation salariale de qualité dans une structure « flexible » repose plus sur la reconnaissance du service passé que sur le rendement. Mais le service passé doit alors être mesuré de façon médiatisée, par le rapport du salaire courant sur le point milieu de fourchette courant (« ratio comparatif ») et non pas directement en années de service passé.

Le suivi intégral des tendances du marché requiert deux variables aléatoires seulement dans une telle matrice et, si le contrôle des coûts n’est pas un enjeu, il est possible d’assurer une progression significative du salaire à partir du minimum jusqu’à l’atteinte du point milieu de fourchette indépendamment des conditions de marché, par exemple en six ans. En posant l’indicateur du rendement individuel et le ratio comparatif comme contraintes de système, l’atteinte par processus itératif du budget disponible repose sur une infinité de scénarios. Les exemples de matrices de gestion d’augmentation de salaire assurant une distribution équitable du budget disponible étant fort nombreux, en illustrer un seul dans le cadre de cet article pourrait risquer de produire des résultats inattendus en cas d’utilisation malavisée. Tous les enjeux pertinents à l’atteinte d’une cible budgétaire doivent être analysés avant de structurer une matrice de gestion de qualité : positionnement général de marché, étendue des fourchettes, approche d’évaluation des rendements individuels et distribution des ratios comparatifs dans l’effectif.

Les paramètres suivants sont généralement considérés pour l’atteinte d’un scénario d’impact optimal dans un cas d’alignement de marché : on peut fixer à tout moment du processus le taux d’augmentation de structure salariale à 0 %, assurant ainsi à la reconnaissance du rendement une pondération maximale, mais jamais absolue, dans la matrice. À l’inverse, dans le cas de contraintes liées au contrôle impératif de la progression des coûts internes doublée d’une inflation importante du marché salarial, on peut fixer un taux d’augmentation dit « de rendement » à 0 %, selon le budget disponible. L’effort d’adaptation aux conditions du marché salarial sera alors à son poids maximum, mais le ratio comparatif individuel pourra alors régresser de façon inversement proportionnelle à l’indicateur de rendement individuel, et ce, de façon relativement rapide dans le temps.

Échelles salariales et notion de « coûts de système »
Cet article visait à présenter les facteurs de gestion à considérer dans un contexte de structure flexible, plutôt que dans un contexte de structure par échelons.

Quoique possible, ce type de structure se prête très mal à la reconnaissance tangible du rendement et crée des contraintes importantes pour le contrôle des coûts, même en cas de reconnaissance du rendement comme unique déclencheur d’une progression d’échelon jusqu’à l’atteinte du maximum normal prévu selon les années de service individuel.

L’explication de la rigidité relative des systèmes par échelons pour maximiser la capacité organisationnelle d’adaptation au marché salarial vient de ce que le point d’équilibre entre l’adoption d’une position compétitive et équitable se situe au maximum normal, alors qu’il correspond à un point milieu de fourchette beaucoup plus large dans un contexte de structure flexible. La notion de « coûts de systèmes », qui témoigne simplement de la somme des coûts de progression d’échelon pour les employés n’ayant pas encore atteint un maximum dit « normal » dans un contexte d’échelles salariales, restreint alors le corridor disponible pour l’adaptation de l’organisation aux conditions du marché.

Michel Dubé, Ph. D., CRIA, directeur, services conseils en rémunération, Morneau Sobeco

Source : Effectif, Volume 9, numéro 1, janvier/février/mars 2006

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