Vous lisez : La rémunération dans le secteur du commerce de détail, un sujet complexe, mais captivant

Près de 40 % des frais d'exploitation des sociétés canadiennes sont liés aux ressources humaines. Dans la plupart des entreprises, les coûts liés à la rémunération, aux avantages sociaux et à la formation des ressources humaines constituent la catégorie principale des dépenses de fonctionnement.

Le problème est amplifié dans le secteur du commerce de détail en raison du fait que la rémunération y joue un rôle différent. Elle représente, pour plusieurs entreprises, un puissant levier de motivation des employés à l'atteinte et au dépassement des objectifs d'affaires de l'entreprise.

Plus que d'autres secteurs d'activité, le commerce de détail, se distingue par :

  • une relation privilégiée entre les clients et les employés; dans le cas d'une relation positive, celle-ci pourra générer une vente; dans le cas contraire, on parlera davantage d'un « rendez-vous » manqué;
  • un taux de roulement de main-d’œuvre élevé;
  • une concurrence de plus en plus féroce; non seulement les compétiteurs convoitent les mêmes clients, mais ils tentent aussi de ravir les employés clés;
  • une élévation des exigences des consommateurs que les concurrents s'empresseraient de satisfaire, si l'entreprise n'assumait pas sa position de leadership dans son créneau de marché;
  • une pénurie de main-d’œuvre qualifiée dans les postes clés de l'organisation, comme cela se vit dans les autres secteurs d'activité;
  • la nécessité de contrôler leurs coûts de main-d’œuvre en vue de ne pas trop éroder leur marge bénéficiaire[1].

Dans un tel contexte, les programmes de rémunération doivent favoriser le recrutement de nouveaux employés, fidéliser ceux qui sont déjà à l'emploi de l'entreprise et les motiver à atteindre les objectifs de l'organisation. Mais ils doivent également permettre de contenir le coût total de la main-d’œuvre. Il s’agit donc de maximiser le rendement de l’investissement en rémunération.

Comment définir le niveau et la combinaison de rémunération appropriée
Afin de concilier l’objectif de contrôler les coûts d’exploitation tout en offrant un potentiel de rémunération intéressant, l’entreprise doit connaître le niveau de rémunération payé dans le marché de référence et établir le degré de compétitivité de sa politique de rémunération et, si requis, mettre à niveau ses programmes de rémunération.

D’emblée, la direction de l’entreprise voudra établir le positionnement de sa rémunération en espèces (c’est-à-dire salaire + rémunération incitative à court terme) dans son segment de marché, mais elle devra aussi avoir une vision plus large afin de connaître le niveau de rémunération généralement offert dans l’ensemble du marché du commerce de détail et possiblement dans sa région en général. Les écarts de rémunération peuvent être appréciables entre les différents créneaux du commerce de détail, tel qu’illustré dans le tableau ci-dessous.

  Salaire de base ($) RICT (%) Rémunération en espèces ($)
  25e 50e 75e 50e 25e 50e 75e
Tableau 1 : Rémunération de quelques
emplois repères au Québec[2]
             
Associé aux ventes              
Magasins de grande surface 20,8 25,6 31,3 n. a. 21,3 25,6 31,3
Commerce de détail en général* 16,2 16,8 18,7 4,0 16,3 17,0 18,7
Commerce de détail dans le vêtement** 17,4 17,7 19,1  n. a. 17,6 18,2 20,3
Gérant de magasin              
Magasins de grande surface
(Ch. D’aff. >10 M$)***
52,4 56,7 61,1 10,0 53,2 61,4 72,3
Commerce de détail en général*
(Ch. d’aff. >5 M$)
25,6 47,0 59,3 8,0 28,0 48,6 61,2
Commerce de détail dans le vêtement** 37,4 38,6 41,2 6,0 38,3 38,6 42,6
Chef de district              
Magasins de grande surface 74,2 83,1 94,7 20,0 77,0 92,6 108,1
Commerce de détail en général* 51,0 66,1 78,4 20,0 54,0 66,1 80,4
Commerce de détail dans le vêtement** 59,2 60,2 65,0 12,0 60,4 64,0 74,3
Note : Il est important de noter que les valeurs statistiques ont été établies séparément pour chaque volet de rémunération présenté dans le tableau ci-dessus. Par conséquent, il faut se garder de d’additionner directement les valeurs statistiques propres aux salaires et à la rémunération incitative à court terme pour obtenir celle de la rémunération en espèces. De plus, la RICT médiane est établie en pourcentage du salaire de base des titulaires admissibles et ayant reçu une telle forme de rémunération.
n. a. : Généralement non admissible à une forme de rémunération incitative.
* Excluant les grandes surfaces
** Données d’une enquête spécifique réalisée par le Groupe-conseil Aon
*** Données générales

Dans la mesure où on ne désirera pas introduire une rémunération incitative, l’entreprise pourra facilement établir ses propres paramètres d’une échelle salariale correspondant au positionnement désiré sur le marché. Mais comment établir son positionnement dans un contexte où :

  • la rémunération en espèces payée dans le marché reflète des combinaisons de rémunération fort variées, soit :
    • salaire seulement (soit le revenu assuré)
    • salaire et rémunération incitative à court terme (soit le revenu variant selon l’atteinte des objectifs)
      • Salaires plus commissions
      • Salaire plus boni
      • Salaire plus boni et commissions
  • la rémunération incitative est un volet important de la stratégie de rémunération de l’entreprise pour motiver les employés à l’égard de l'atteinte de ses objectifs. C’est un moyen de communication fort efficace et une façon de jouer au grand jeu des affaires.[3]

Dans un tel contexte, l’entreprise devrait établir la valeur des éléments suivants :

  • la rémunération en espèces payée dans le marché (RE);
  • la combinaison de rémunération souhaitée;
  • l’effet de levier de la rémunération incitative à court terme (RICT).

Et suivre les étapes suivantes :

Les éléments à considérer Paramètres de base
La rémunération en espèces payée sur le marché (RE)    25e
centile
50e
centile
75e
centile
  Marché 54,0 66,1 80,4
La combinaison de rémunération souhaitée (salaire vs RICT) Salaire : 85 %
Boni : 15 % du salaire
L’effet de levier de la RICT (boni maximum) 15 % x 1,5 = 22,5 %
Les opportunités de rémunération
Échelle salariale
Maximum normal :57 400 $ (66 000 $ ÷ 1,15)
Minimum : 45 900 $ (57 400 $ x 80 %)
Maximum mérite : 63 100 $ (57 400 $ x 110 %)
Rémunération globale en espèces
Rémunération de base : 57 400 $(66 000 $ ÷ 1,15)
RICT cible : 8 600 $ (57 400 $ x 15 %)
RICT maximale : 12 900 $ (57 400 $ x 22,5 %)
Rémunération en espèces maximale : 70 300 $
                                           (57 400 $ + 12 900 $)
Niveau de rémunération selon le niveau d’atteinte des résultats

Et relier le tout par rapport aux objectifs de ventes que l’on désire atteindre.

Une fois l’enveloppe de rémunération déterminée, les décisions subséquentes porteront sur :

  • le type de programme de rémunération incitative à court terme à privilégier (commissions ou un boni);
  • les indices de mesures permettant d’aligner les résultats des employés sur ceux escomptés;
  • le type de formule.

Le type de programme de rémunération incitative à privilégier
Différentes approches de rémunération peuvent être considérées pour atteindre les objectifs de ventes et d’affaires de l’entreprise. Chacune d’elles présente des avantages et des risques différents. Le choix a des répercussions sur les comportements, la mobilisation, le climat, l'atteinte des objectifs, l'image de l’entreprise, etc.

Pour le niveau d’associé aux ventes on pourra privilégier aussi bien les formules de boni que les formules de commissions. Pour les autres niveaux d’emplois, nos enquêtes nationales dans le secteur du commerce du détail[4] démontrent que les entreprises optent davantage pour un programme de boni.

Les montants en jeu peuvent être significatifs selon la contribution de l’emploi à l’atteinte des objectifs de l’entreprise, tel qu’illustré dans le premier tableau.

Dans le cas des programmes de commissions et de bonis, l’élaboration du programme de rémunération débutera par la détermination de la RICT cible. Une fois celle-ci déterminée, la formule de commissions ou de bonis pourra être établie en vue d’aligner les résultats sur ceux qui sont escomptés.

À titre d’illustration, dans le cadre d’un programme de boni, une matrice pourra être élaborée afin d’établir une relation entre le niveau de boni alloué et l’atteinte des résultats escomptés.

Les critères de rémunération incitative
La rémunération incitative est une forme de communication. Pour générer les résultats escomptés, la rémunération incitative doit traduire ce qui est important et ignorer ce qui ne l’est pas. L’employé doit bien comprendre le plan de rémunération, soutenir les objectifs poursuivis et travailler de façon à les réaliser et même à les dépasser.

Exemple d’indicateurs de rendement utilisés dans le secteur du commerce de détail
Volet de la rémunération offert Gérant de magasin Gérant adjoint, magasin Associé aux ventes
• Volume de ventes, c.-à-d. les paiements reçus des clients
• Garanties prolongées
• Ventes, c.-à-d. les commandes moins les annulations et les retours
• Contrôle de la marge bénéficiaire[5]
• Rentabilité vs budget
• Résultats de ventes vs budget
• Objectifs individuels ou d’équipe
 
 
 
x
x
x
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x
 
 
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x
x
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Le nombre d’indicateurs de performance doit être limité à deux ou trois pour un ciblage (« focus ») optimal. L’employé pourra, dès lors, mieux mesurer l’incidence de ses décisions sur la rémunération incitative qu’il percevra. Dans le cas contraire, le programme n’aura guère d’incidence sur l’alignement des comportements sur les résultats souhaités.

Certaines approches de rémunération seront opportunes dans un contexte donné, alors qu'elles seront inappropriées, voire nuisibles, dans un autre. Certaines pourront même générer des comportements non souhaités, d’où la nécessité de bien analyser les incidences du programme sur le comportement des employés[6]. Ainsi, dans l’éventualité où les éléments du programme de rémunération sont mal articulés, l’employé préférera peut-être perdre la commission sur les garanties prolongées.

Notant ce type de comportement, la direction voudra probablement corriger le tir et modifier le programme.

Un dernier mot
Il n'existe pas de méthode universelle qui réponde aux besoins particuliers d'une entreprise tout au long de son cycle de vie. La stratégie idéale est celle qui correspond le mieux aux besoins particuliers de l’entreprise à un moment donné de son évolution. Aussi, il peut s'avérer nécessaire de restructurer les programmes de rémunération de temps à autre pour atteindre ses divers objectifs; une entreprise peut être aussi obligée de recourir à plus d’un programme de rémunération à la fois pour atteindre ses objectifs. D’autres entreprises auront possiblement recours à des programmes de rémunération différents afin d’attirer des employés clés lors de l’ouverture de nouveaux magasins ou pour reprendre les guides d’un magasin dont les ventes sont en décroissance.

Considérant que la rémunération incitative est un élément important de la rémunération totale en espèces des employés et qu’un changement de programme peut, à la limite, créer une insécurité chez certains d’entre eux, il sera important d’établir une bonne stratégie de communication lors de l’introduction ou de la modification en profondeur du plan de rémunération du personnel de ventes. La rémunération n'est pas qu'une histoire de chiffres.

Claude Leroux, CRHA, conseiller principal au sein de l'unité Rémunération de l'équipe Capital humain, au bureau de Montréal du Groupe-conseil Aon

Source : VigieRT, numéro 5, février 2006.


1 De fait, les entreprises de commerce de détail se caractérisent en général par une mince marge bénéficiaire et, dans un tel contexte, le volume de ventes doit être au rendez-vous pour atteindre le niveau de profitabilité escompté.
2 Données extraites des deux enquêtes nationales réalisées par le Groupe-conseil Aon dans le secteur du commerce de détail.
3 STACK, Jack. The Great Game of Business, Currency Publication, 1994.
4 Le Groupe-conseil Aon réalise annuellement les deux enquêtes suivantes dans le commerce de détail :
  • Enquête sur la rémunération d'employés œuvrant dans le secteur du commerce de détail en général au Canada couvrant 14 694 employés au Québec
  • Enquête sur la rémunération d'employés œuvrant auprès d’entreprises de commerce de détail de grandes surfaces couvrant 9 353 employés au Québec
5 Pour les employés ayant une certaine marge de manœuvre sur le prix de vente des produits et services de l’entreprise.
6 À titre d’illustration, un programme de commissions peut amener les employés admissibles à solliciter le client dès son entrée dans le magasin, alors qu’un programme de boni, selon les critères retenus, pourra générer des comportements différents tout en mesurant la contribution de l’employé à l’atteinte des objectifs du magasin.
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