Vous lisez : Isidore Garon : l'incompatibilité des régimes individuels et collectifs du travail!

Dans une décision attendue rendue le 27 janvier dernier, la Cour suprême du Canada a introduit une nouvelle notion en droit du travail, soit celle de l’incompatibilité d’une règle dite d’ordre public avec le régime collectif des relations du travail.

La Cour suprême conclut que les articles 2091 et 2092 du Code civil du Québec qui obligent l’employeur à donner un délai-congé raisonnable, lorsqu’il met fin au contrat de travail (préavis de fin de contrat), ne sont pas incorporés implicitement dans la convention collective. En outre, un arbitre de grief ne sera pas compétent pour entendre des litiges portant sur les articles 2091 et 2092 du Code même si ces articles sont d’ordre public. Cette décision a un impact significatif sur tous les employeurs dont la main-d’œuvre est syndiquée.

Les faits
L’incorporation implicite des droits substantifs fondamentaux tels que les règles d’ordre public dans les conventions collectives ne faisait plus de doute depuis les derniers arrêts de la Cour suprême sur le sujet notamment l’arrêt Parry Sound. La conséquence directe de cet état de droit est de rendre compétent un arbitre de griefs sur une matière qui, à l’origine, ne faisait pas explicitement partie de la convention collective.

Le jugement de la Cour suprême dans l’arrêt Isidore Garon accueille l’appel de deux décisions de la Cour d’appel du Québec ayant reconnu que les articles 2091 et 2092 du Code étaient implicitement incorporés dans toute convention collective. Dans les deux cas, les compagnies ont fermé leur entreprise et procédé au licenciement de leurs employés. Elles avaient respecté les avis de cessation d’emploi prévus dans la Loi sur les normes du travail. Cependant, les syndicats représentant les employés syndiqués touchés ont réclamé des délais de préavis raisonnables au sens de l’article 2091 du Code par l’entremise de griefs déposés auprès de leur employeur respectif.

Dans un cas, la convention collective ne comportait aucune disposition portant sur le préavis lors de fermeture d’entreprise. Dans l’autre cas, la convention collective prévoyait qu’en cas de mise à pied pour une durée de plus de six mois, l’avis de cessation d’emploi prévu dans la Loi sur les normes du travail devait être accordé.

Les employeurs ont plaidé que les arbitres de griefs n’avaient pas la juridiction nécessaire pour statuer sur ces griefs puisque, entre autres, les conventions collectives ne traitaient pas du préavis raisonnable prévu spécifiquement au Code.

Décision de la Cour d’appel du Québec
La Cour d’appel du Québec a retenu, dans les deux cas, que l’arbitre avait juridiction pour statuer sur le grief, puisque le préavis raisonnable prévu au Code constituait une règle d’ordre public qui, de facto, était implicitement incorporés dans toutes les conventions collectives. Conséquemment, les arbitres pouvaient déterminer si les préavis consentis étaient raisonnables. À défaut, ils pouvaient ordonner à l’employeur de payer des indemnités additionnelles, et ce, même en l’absence d’obligation spécifique dans la convention collective.

Décision de la Cour suprême du Canada
Finalement, la Cour suprême a accueilli les pourvois des employeurs et a infirmé la décision de la Cour d’appel du Québec. La juge Deschamps, s’exprimant pour la majorité, a statué qu’une règle incompatible avec le régime collectif des relations du travail ne sera pas incorporée à la convention collection et en sera exclue.

Le contrat individuel de travail est subordonné au régime collectif. Selon la Cour suprême, par l’incorporation implicite des normes impératives compatibles dans les conventions collectives, le régime collectif forme un ensemble juridique cohérent.

Quant aux articles du Code civil du Québec portant sur un préavis raisonnable, la Cour suprême conclut qu’ils sont incompatibles avec le régime collectif de travail et que, conséquemment, ils ne sont pas implicitement incorporés dans la convention collective.

La Cour suprême identifie trois raisons pour lesquelles la règle de l’article 2091 n’est pas compatible avec le régime collectif :

  1. les conditions de travail des employés syndiqués sont négociés collectivement par le syndicat et l’employeur, alors que le préavis prévu par le Code est convenu de façon individualisée lors de la cessation d’emploi;

  2. le délai-congé dû à l’employé dans le contexte d’un contrat individuel de travail est lié au droit de l’employeur de congédier un employé alors que ce droit de l’employeur est limité par la convention collective dans le régime collectif;

  3. l’historique de la disposition fait voir que le législateur n’a pas voulu rendre applicable au régime collectif toutes les règles relatives au contrat individuel de travail.
L’impact de cette décision
Nous pouvons retirer quelques principes de cet arrêt. Dans un premier temps, maintenant qu’il est clair que la notion de préavis raisonnable du Code n’est pas incorporée implicitement dans les conventions collectives, l’arbitre de griefs n’est pas compétent pour adjudiquer un litige portant sur cette question.

Dans un deuxième temps, il semble évident que les syndicats voudront négocier les aspects reliés à ce type de préavis dans les prochaines négociations si leur convention collective ne traite pas spécifiquement de cette question.

De plus, la Cour suprême statue dans cet arrêt que les articles 2091 et suivants sont d’ordre public de protection. Conséquemment, un salarié pourra y renoncer lorsqu’il aura acquis le droit au préavis en question. Cette qualification devrait mettre fin au désir d’intervention toujours plus grand des tribunaux pour invalider les règlements hors cour portant sur les indemnités de fin d’emploi. La tendance jurisprudentielle sur ce sujet était de permettre au tribunal de valider le caractère raisonnable, au sens des articles 2091 et 2092 du Code, des ententes de fin d’emploi prévoyant un délai de préavis. L’arrêt Isidore Garon vient donc limiter grandement ce type d’intervention.

L’ampleur de cette décision reste à déterminer, puisque les arbitres et les Cours devront analyser chaque cas afin de déterminer si des obligations d’ordre public sont compatibles ou non avec les rapports collectifs du travail.

Gilles Rancourt, CRIA, avocat pour le cabinet McCarthy Tétrault de Québec.

Source : VigieRT, numéro 5, février 2006.

Ajouté à votre librairie Retiré de votre librairie