Fin 2004. Lors d'un colloque sur les 25 ans des policières au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM), une enseignante du Collège de Maisonneuve secoue l'assistance en remettant en question des poncifs admis sur la jeunesse. « Les policiers nouvellement diplômés sont de meilleurs techniciens que leurs prédécesseurs, mais leurs habiletés émotives sont moins développées », déclare alors Chrystiane Cabana. La solution, d'après ce professeur en techniques policières, consiste à renforcer l'encadrement des recrues. L'auteur de ces audacieux propos a depuis ce temps pris sa retraite. Mais si son constat – et son remède – avaient frappé juste? Et que cela s'appliquait à l'ensemble d'une génération, regroupée sous l'enseigne « Génération Y »?
Tout m'est dû
Les membres de la génération dite Y, nés entre 1978 et 1994, seraient-ils ceux à qui tout est dû? Plusieurs le pensent dans le monde du travail, dont un auteur australien de livres d'affaires, Peter Sheahan, qui décrit cette cohorte comme étant la entitlement generation (HR Monthly, 16 décembre 2005). En fait, on la désigne par la lettre Y pour deux raisons. Elle suit, chronologiquement parlant, la génération X (qui va jusqu'au début de la quarantaine) et la lettre Y se prononce en anglais comme l'adverbe anglais Why, le « pourquoi? » que ses membres sont censés utiliser à tout propos. Car ces jeunes aiment poser beaucoup de questions.
Alain Sirois est directeur des formations initiales à l'École nationale de police du Québec. Il chapeaute l'indispensable formation de quinze semaines qui procure le permis d'exercice aux policiers nouvellement diplômés en techniques policières. « Je ne conteste pas le constat de madame Cabana, dit-il. Nos recrues affichent un fort profil intellectuel. Il faut dire que les onze collèges québécois autorisés à donner la formation en techniques policières reçoivent annuellement de quatre à cinq mille demandes pour huit cents places disponibles. On exerce donc un tri très sévère. Je constate cependant que l'apprentissage social des jeunes est peut-être moins complet que dans les générations précédentes. » Ainsi, ces jeunes auraient de la difficulté à gérer les échecs. « Il faut sans cesse leur dire qu'un échec n'est pas la fin du monde. » Les moins de trente ans sont en outre très perméables à l'influence de leurs pairs. « Les valeurs personnelles et sociales sont moins solidement ancrées », explique Alain Sirois qui œuvre depuis 1976 dans le réseau collégial.
« On a davantage d'enfants rois que par le passé », affirme pour sa part Gilles Derouin, enseignant en techniques policières au Collège de Maisonneuve. Policier de trente et un ans de carrière et ex-conseiller de Michel Sarrazin à la tête du SPCUM, Gilles Derouin enseigne aux futurs policiers depuis plus de vingt ans. Il constate que les jeunes actuels sont des « oui, mais… ».
« On leur a toujours donné droit de parole et droit à la critique. Ils ont été élevés ainsi. Dans un contexte paramilitaire comme celui de la police, ces attitudes ne sont cependant pas toujours les bienvenues. Ce sont là des choses qu'il faut leur apprendre », dit-il.
Une génération égoïste?
L'abondance de ménages à enfants uniques dont sont issus bien des jeunes de la génération Y aurait-elle été jusqu'à produire une génération d'égoïstes, autre qualificatif utilisé par Chrystiane Cabana? Historien de métier spécialisé dans l'étude de la jeunesse, Éric Bédard ne partage pas cet avis. « Parlant d'égoïsme, regardez les contrats des années quatre-vingt-dix », rétorque-t-il, rappelant les déboires des fameuses « clauses orphelins ». Ces clauses de disparité de traitement protégeaient les plus anciens aux dépens des plus jeunes. Après avoir fait l'objet de combats épiques dans les années quatre-vingt-dix, ces clauses sont désormais battues en brèche par la Commission des normes du travail.
Les Y réclament plus facilement que leurs aînés des conditions favorisant leur épanouissement personnel, estime Gilles Derouin. « Ils ne disent pas automatiquement oui lorsqu'on leur demande de faire des doubles quarts de travail. Mais est-ce une mauvaise chose? Ils n'ont pas nécessairement tort de penser à eux. Ils ont nombreux à vivre les conséquences de divorces, de parents qui ont trop misé sur leur carrière et qui se sont séparés. C'est peut-être un retour du balancier. »
Un retour que favorise un marché du travail qui leur est extrêmement favorable. Au SPVM, où les portes étaient fermées de la fin des années soixante-dix jusqu'au milieu des années quatre-vingt, pas moins de deux cent vingt-quatre policiers ont été embauchés en 2004, soit un pourcentage équivalant à 5 % des effectifs totaux des quatre mille deux cents policiers permanents. Depuis 2003, les départs à la retraite ont affecté pas moins de 8 % des effectifs de l'organisation.
Ces conditions du marché du travail, meilleures que jamais, favorisent évidemment la satisfaction des demandes de réaménagement en milieu de travail. « Avec un taux de chômage moins élevé que dans les années quatre-vingt, les demandes ont plus de chances d'être satisfaites », affirme Diane-Gabrielle Tremblay, CRHA, professeur à la Télé-Université et spécialiste de la conciliation travail-famille. Ainsi, observe-t-elle, « les Suédois vivent une meilleure organisation du travail, car le taux de chômage est très faible chez eux ».
Coaching en vue
Les conditions sont bonnes pour des changements significatifs. « La génération Y désire une approche de leadership d'influence. Cela exige d'écouter, de croire en l'autre et de voir les aspects positifs même dans des situations difficiles. Le modèle qui s'adapte mieux à la génération Y est celui du coaching », estime Jean-Philippe Naud, CRHA, psychologue organisationnel au Groupe Aon. C'est d'ailleurs la solution qu'ont adoptée des organisations policières ou de formation des futurs policiers.
« Dans les postes de police du SPVM, on trouve dorénavant un homme d'expérience, qui a pour tâche d'accompagner les plus jeunes. C'est un rôle informel, mais qui procure à celui qui l'occupe une rémunération additionnelle, signale Gilles Derouin. On ne peut d'ailleurs plus faire comme à mes débuts dans la police où les jeunes travaillaient toujours avec un plus vieux. Aujourd'hui, nos policiers sont très jeunes, plus de 60 % ont moins de dix ans d'ancienneté! » Cette approche est qualifiée de prometteuse par Alain Sirois de l'École nationale de police. « C'est peut-être une bonne façon d'assurer la transmission des valeurs et d'améliorer les qualités de savoir-être », dit-il.
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Jean-François Barbe, journaliste indépendant
Source : VigieRT, numéro 5, février 2006.