Vous lisez : Pour une gestion proactive

Les entreprises performantes demeurent sensibles aux facteurs susceptibles d’affecter négativement la productivité de leur personnel.

L’expérience nous démontre qu’en étant proactives et en implantant de bonnes pratiques, elles peuvent non seulement limiter ces facteurs, mais également rehausser la productivité durable de leurs employés.

Nos interventions et nombre d’études ont déjà démontré que le phénomène du harcèlement psychologique est très sérieux et qu’il se traduit par des coûts importants pour les entreprises. Selon le Comité interministériel sur la prévention du harcèlement psychologique et le soutien aux victimes (2003), l’impact du harcèlement psychologique se traduirait par la hausse des absences pour maladie (environ 650 000 annuellement) et des départs (au moins trente-cinq millions de dollars de frais d’embauche) ainsi que par une diminution de 7 % de la productivité des victimes.

Lorsqu’un employeur néglige de prévenir le harcèlement psychologique dans son entreprise ou de prendre les moyens nécessaires pour mettre fin à une situation de harcèlement, il s’expose au dépôt d’une plainte, notamment à la Commission des normes du travail ou à la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, à des poursuites légales devant les tribunaux civils ou administratifs ou à un grief. Outre les coûts importants résultant de ces poursuites, la réputation des sociétés fautives risque également d’être ternie de façon durable.

Une approche de gestion proactive
Le concept de « gestion proactive du harcèlement » implique une série d’interventions et de mesures visant non seulement à soutenir la réintégration des salariés en milieu de travail qui ont vécu une situation de harcèlement, mais aussi le repérage précoce des facteurs de risque organisationnels en matière de harcèlement; il inclut également l’établissement a priori d’un cadre de prévention et d’intervention approprié.

Ainsi, l’entreprise performante devrait préconiser une approche visant le plus possible à intervenir en amont (c’est-à-dire sur les causes) plutôt qu’en aval (soit sur les conséquences). Pour ce faire, celle-ci doit nécessairement identifier les sources de harcèlement et/ou les facteurs de risque susceptibles d’engendrer des situations de harcèlement en milieu de travail. En ce sens, Angelo Soares souligne, dans son ouvrage intitulé Quand le travail devient indécent : le harcèlement psychologique au travail, que « …le harcèlement psychologique est un processus constitué de différents types d’agissements qui se développent dans le temps… il est important de comprendre comment et quand il s’institue, simplement pour qu’on puisse le prévenir ou intervenir le plus tôt possible… car c’est exactement au tout début du processus que les mesures de prévention peuvent être efficaces ».

Cette approche nécessite que l’employeur privilégie, dans une situation de harcèlement, des interventions qui limiteront le plus possible les conséquences négatives sur les salariés eux-mêmes, sur l’organisation, sur son climat et sa réputation, ceci en priorisant notamment des interventions de résolution informelle avant les actions judiciaires lourdes.

La nécessité d’une intervention diligente
L’employeur doit, lorsque cela est possible et approprié, tenter une résolution non conflictuelle via la médiation ou la conciliation. Les deux parties doivent alors librement consentir à cette intervention. Une telle intervention vise à limiter le plus possible la dégradation des relations entre les parties ainsi que du climat de travail. L’employeur doit également offrir au salarié qui a déposé une plainte le recours à des services de soutien psychologique, par le programme d’aide aux employés notamment, si un tel programme est disponible.

Si cette intervention ne fonctionne pas ou qu’une des parties n’y donne pas son consentement, l’employeur doit alors amorcer une enquête interne. Il doit agir le plus rapidement possible tout en faisant une enquête complète, entre autres pour éviter la dégradation du climat et du milieu de travail qui seront inévitablement affectés. Le respect de la confidentialité est de première importance, car il ne faut jamais qu’une plainte pour harcèlement soit automatiquement assimilée à une plainte fondée ou de culpabilité pour le harceleur présumé. L’employeur doit s’assurer à cette étape que le plaignant ne soit pas l’objet de représailles dans son milieu de travail. Il doit donc évaluer les risques à cet effet et proposer des mesures de rechange, si ce risque s’avère réel (retrait du milieu de travail durant l’enquête, replacement temporaire, etc.). Si le salarié veut malgré tout demeurer à son poste, l’employeur doit faire un suivi approprié pour s’assurer que tout se déroule correctement et que le ou les gestionnaires responsables surveillent la situation.

La réintégration en emploi
Après la résolution de la plainte ou de l’enquête, si la personne plaignante a été retirée du milieu de travail pendant l’enquête ou qu’elle a été l’objet d’un replacement ou d’une affectation temporaire, l’employeur doit vérifier si cet employé désire réintégrer son poste de travail et s’il est souhaitable et réaliste de le faire. Le suivi de l’employeur à cette étape est crucial, comme nous l’avons souligné précédemment, pour s’assurer notamment que la personne ne soit pas l’objet de représailles et, le cas échéant, pour préparer le milieu de travail.

De plus, le fait qu’une plainte pour harcèlement soit jugée non fondée ne signifie pas qu’il n’y a pas dans le milieu de travail d’autres types de problèmes qui méritent une attention de l’employeur (conflits interpersonnels non réglés ou persistants, climat organisationnel tendu, mauvaises relations entre employés et employeur, etc.). Le principe de gestion proactive nécessite que l’employeur intervienne pour corriger ces situations. S’il ne le fait pas, ces éléments constituent des facteurs de risque pouvant éventuellement dégénérer en harcèlement en milieu de travail.

L’adoption d’une politique sur le harcèlement
Le dirigeant d’entreprise doit s’assurer d’adopter une politique interne sur le harcèlement, dont le contenu sera diffusé aux employés et aux gestionnaires; notons que, de temps à autre, cette politique doit être rappelée au moyen de sessions de formation ou de sensibilisation, d’affichage sur les lieux de travail, etc. Il s’agit en fait du premier geste fondamental à poser pour l’employeur. Notons que, selon la Commission des normes du travail, le tiers des petites entreprises québécoises et les deux tiers des grandes entreprises avaient mis en place une telle procédure, un an après l’entrée en vigueur des dispositions de la Loi sur les normes du travail relatives au harcèlement psychologique.

L’importance de la mise en place d’un programme de prévention
La littérature indique que les conséquences du harcèlement psychologique se situent à la fois sur les plans individuel et organisationnel. Parmi les principales conséquences individuelles, il y a la détresse psychologique, la dépression et le stress post-traumatique. En comparant avec des patients qui ont développé un syndrome de stress post-traumatique à la suite d’accidents, les victimes du harcèlement psychologique montrent une détresse plus élevée, comparable seulement aux victimes de viol (Leymann, 1996 et Leymann & Gustafsson, 1996).

Les conséquences organisationnelles du harcèlement psychologique se traduisent par un taux d’absentéisme élevé, une dégradation et une désintégration du climat organisationnel, impliquant une réduction de la qualité et de la quantité du travail, des difficultés pour le travail en équipe, une détérioration de l’image de l’organisation, des primes d’assurance élevées et une augmentation des coûts reliés aux services juridiques (Soares, 2002).

Pour éviter ces conséquences néfastes, la gestion proactive du harcèlement en milieu de travail nécessite la mise en place d’un processus visant à identifier les facteurs de risque susceptibles de générer le harcèlement et à intervenir pour faire en sorte qu’ils ne deviennent pas des causes génératrices de harcèlement. Pour ce faire, les salariés doivent être mobilisés; il est donc important de bien identifier les sources potentielles de harcèlement et d’établir un plan d’action en conséquence. À ce chapitre, Dejours (2001) confirme l’importance d’une telle approche quand il affirme que le harcèlement psychologique n’est que rarement un cas individuel.

Nous proposons à cet effet que l’employeur se dote d’un tableau de bord à partir d’un certain nombre d’indicateurs susceptibles de fournir de l’information sur la qualité du climat organisationnel et sur les irritants ou situations problématiques susceptibles de générer du harcèlement. Leymann a identifié trois sources du harcèlement psychologique au travail : l’organisation du travail, la conception des tâches (pour fuir la monotonie ou la répétitivité) et le style de gestion.

Pour Soares, trois aspects semblent être déclencheurs du harcèlement psychologique : les changements organisationnels, les conflits interpersonnels et l’exercice d’un droit.

Ces éléments ainsi que les facteurs de risque présentés ci-dessous peuvent servir de base pour établir les indicateurs du tableau de bord. Voici les principaux facteurs de risque.

La surcharge de travail et l’autonomie décisionnelle réduite des salariés.
La littérature identifie la surcharge de travail et l’autonomie décisionnelle réduite comme étant deux importants facteurs de risque susceptibles de permettre l’apparition du harcèlement en milieu de travail. Une étude intitulée La santé mentale des travailleurs québécois : la perception des psychologues œuvrant dans des programmes d’aide aux employés, qui a été réalisée en 2002 par Poirier et Lafrenière auprès de psychologues québécois travaillant dans le cadre de programmes d’aide aux employés, révèle que la surcharge de travail représente le principal problème vécu par leurs clients (18 % des cas).

Les styles de gestion dépassés ou inappropriés
D’après Leymann, le harcèlement psychologique peut se développer verticalement dans la hiérarchie de l’organisation ou horizontalement (entre collègues d’un même niveau hiérarchique). En ce qui concerne le harcèlement psychologique vertical, Cru (2001) raffine cette catégorisation en faisant la distinction entre le harcèlement psychologique où la gestion est ouvertement impliquée dans la désorganisation du lien social et celui où la gestion condamne le harcèlement psychologique mais le favorise par ses choix de gestion. Soares (1992) ajoute un troisième type de harcèlement dont la gestion est responsable par incompétence managériale ou par absence d’un style de leadership. « Les problèmes avec les patrons » constituent le troisième problème le plus souvent mentionné par ceux qui consultent les psychologues québécois dans le cadre des PAE (12,6 % des cas). Autant les contrôles exagérés que le laxisme du supérieur immédiat sont les comportements souvent rapportés pour expliquer l’origine de ces problèmes. Les cadres perdent ainsi leur légitimité auprès de leurs employés. Leurs décisions sont fréquemment remises en cause. Les frustrations s’accumulent de part et d’autre et les situations de harcèlement apparaissent.

Les facteurs de risque sur lesquels il faut intervenir à ce chapitre sont notamment :

  • le manque d’équité dans la gestion et la mise en œuvre des politiques au chapitre des ressources humaines;
  • les conditions de travail mal adaptées;
  • les styles de supervision autoritaires ou de type laisser-faire;
  • des conflits non gérés ou mal gérés;
  • des communications déficientes;
  • du favoritisme ou du népotisme.

Des valeurs organisationnelles malsaines
Les valeurs que véhicule une organisation façonnent les comportements des personnes qui la composent. Elles fixent des balises aux conduites de ses membres. Elles sont également là pour guider les gestionnaires sur les conduites à encourager ou à interdire. Une culture organisationnelle qui tolère le manque de respect des personnes, les incivilités et les grossières impolitesses se dirige tout droit vers des situations de harcèlement psychologique.

Les facteurs de risque sur lesquels il faut intervenir en cette matière sont, entre autres :

  • une culture organisationnelle non respectueuse des personnes;
  • un climat de compétition excessive;
  • une réticence à investir à long terme dans le capital humain;
  • une banalisation des conduites vexatoires.

En conclusion, la gestion proactive est une approche permettant à l’entreprise de se doter d’outils et de moyens (tableau de bord sur le harcèlement) pour agir à la source du harcèlement, en favorisant la prévention et en limitant le plus possible les conséquences néfastes du harcèlement en milieu de travail.

Pierre Majeau, CRHA, associé, Alter HR

Source : Effectif, Volume 8, numéro 5, novembre/décembre 2005
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