Vous lisez : Les antécédents criminels : doit-on garder le silence?

La vérification des antécédents criminels des candidats à un emploi et de ceux des employés déjà en place est une tâche délicate à laquelle doivent faire face les gestionnaires en ressources humaines de tous les niveaux. Bien que ces antécédents soient publics, il subsiste un malaise à propos de cette vérification. J’ai constaté également qu’il persiste des fausses idées à ce sujet. Le présent texte se veut un survol de la matière.

Dès à présent, je vous mets en garde : si vous œuvrez pour une entreprise de juridiction fédérale (radio, télévision, banque, etc.), sachez que le droit diffère en cette matière et que les propos suivants peuvent ne pas s’appliquer à votre situation.

Le droit
En matière d’emploi, la principale disposition qu’il faut connaître avant d’effectuer la vérification des antécédents criminels est celle de la Charte des droits et libertés de la personne :

18.2.    « Nul ne peut congédier, refuser d'embaucher ou autrement pénaliser dans le cadre de son emploi une personne du seul fait qu'elle a été déclarée coupable d'une infraction pénale ou criminelle, si cette infraction n'a aucun lien avec l'emploi ou si cette personne en a obtenu le pardon.  »

Les conditions de cette protection sont :

  • cette protection vise le congédiement, le refus d’embauche ou une pénalité subi dans le cadre de l’emploi. Selon la Commission des droits de la personne et de la jeunesse[1], cette dernière expression comprend l’apprentissage, la durée de la période de probation, la formation, la promotion, l’embauche, la mutation, le déplacement, la suspension et toute autre condition de travail incluant le salaire;
  • la Commission nous enseigne que cela inclut les infractions criminelles et pénales aux lois fédérale et provinciales;
  • elle vise les personnes reconnues coupables ou qui se sont avouées coupables d’une infraction pénale ou criminelle;
  • l’infraction NE doit PAS être reliée à l’emploi de la personne OU la personne concernée a été réhabilitée, c’est-à-dire qu’elle a reçu le pardon.

Lorsque ces quatre conditions sont réunies, votre employé ou le candidat à un emploi jouit d’une protection complète qui a pour objectif d’éviter que cette personne ne supporte « les stigmates sociaux injustifiés qui ont pour effet d’exclure la personne condamnée du marché du travail »[2].

Mais alors, peut-on quand même procéder à la vérification des antécédents criminels?

La vérification des antécédents lors de l’embauche
Ce qu’il faut savoir, c’est que la protection offerte par l’article 18.2 de la Charte n’empêche pas la collecte de l’information sur les antécédents criminels. La protection est contre l’utilisation discriminatoire de cette information[3]. Ainsi, vous pouvez poser la question directement dans un formulaire d’embauche. Toutefois, soyez prudent. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse énonce dans un document intitulé Les formulaires de demande d’emploi et les entrevues relatives à un emploi[4]que :

« Une question portant sur des accusations ou des condamnations pénales ou criminelles antérieures, sans autre précision, peut laisser présumer que l’employeur n’a pas l’intention de respecter l’article 18.2, et constituer une présomption de fait en cas de plainte à la Commission des droits de la personne pour refus d’embauche.

« Il vaut donc mieux, si nécessaire, demander s’il y a eu condamnation pour une infraction pénale ou criminelle "ayant un lien avec l’emploi et pour laquelle vous n’avez pas obtenu une réhabilitation" (autrefois appelée un pardon), ou encore énumérer les types d’infraction jugées incompatibles avec un emploi donné. »

La question du lien des infractions avec l’emploi est parfois complexe. Il y a des cas évidents comme celui d’un candidat à un poste de caissier condamné pour un vol d’argent ou encore d’un aspirant professeur au niveau primaire condamné pour des actes liés à la pédophilie. Mais d’autres situations sont dans une zone grise et méritent une attention particulière. La Commission des droits de la personne et de la jeunesse précise que « les types d’emploi et d’infraction étant tous deux nombreux et variés, chaque cas devra faire l’objet d’une appréciation objective particulière »[5].

Je ne peux m’étendre sur ce point dans le présent texte, mais sachez que la jurisprudence présente de nombreuses illustrations qui pourraient vous guider dans la détermination du lien entre l’emploi et l’infraction.

La vérification des antécédents en cours d’emploi
Ce problème est relativement nouveau. Il s’est posé récemment lorsqu’un de nos clients, voulant exporter vers les États-Unis, a dû s’astreindre à vérifier les antécédents criminels de ses employés en raison d’un programme américain de certification de sécurité nommé C-TPAT. Comme certains employés étaient à l’emploi de l’entreprise depuis quelques années, il nous semblait que cette vérification était donc plus délicate…

Pourtant, le principe est le même : comme les dossiers criminels sont publics, l’employeur peut faire cette vérification en tout temps. Seule l’utilisation de cette information en contravention de l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne est prohibée.

Les mesures appliquées en cours d’emploi en raison de l’incarcération
Il s’agit ici du cas d’un employé qui est incarcéré en cours d’emploi pour une infraction qui a ou non un lien avec son emploi. Cet employé est absent du travail et ne fournit plus sa prestation de travail. C’est une situation différente de celles qui sont étudiées plus haut.

Évidemment, si cet employé est déclaré coupable d’une infraction qui a un lien avec son emploi, la protection prévue à l’article 18.2 de la Charte ne s’applique pas. S’il est incarcéré pour cette condamnation et que vous décidez de le congédier, il ne pourra se prévaloir de cette disposition. Il pourrait avoir d’autres recours, mais là n’est pas la question.

Si l’employé est emprisonné pour une infraction qui n’a pas de lien avec son emploi, est-ce que cela revient à dire qu’il jouit d’une protection absolue contre la fin de son emploi? La réponse est NON.

La Cour suprême du Canada a été très claire à ce sujet en 2003 dans l’affaire Maksteel :

« Il importe de noter que la protection ne vaut que pour les cas où la mesure prise par l’employeur est liée au seul fait que la personne a des antécédents judiciaires. Ainsi, la protection n’est d’aucune utilité si l’employé subit une mesure de représailles en raison d’une indiscipline ou s’il est mis à pied pour des raisons administratives. »

La Cour précise également que l’employé véritablement congédié pour cause d’indisponibilité n’est pas injustement stigmatisé. Le congédiement découle de son indisponibilité qui est une conséquence civile de la peine d’emprisonnement légitimement imposée à l’employé qui a contrevenu à la loi. L’article 18.2 ne protège pas contre cette conséquence et il n’est pas une garantie d’emploi.

Par contre, l’indisponibilité invoquée ne devra pas être un prétexte. Par exemple, il serait difficile d’invoquer l’indisponibilité comme cause de congédiement pour un employé dont la peine d’emprisonnement coïncide avec ses vacances ou dont celle-ci est purgée de façon discontinue en dehors de ses heures de travail (les fins de semaine par exemple). Méfiez-vous également des absences de courte durée.

Conclusion
En résumé, un employé qui a été condamné pour une infraction criminelle qui n’a pas de lien avec son emploi ou un employé qui a été condamné à une infraction mais qui a obtenu le pardon bénéficient de la protection offerte par l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne contre un congédiement, un refus d'embauche ou une autre pénalité quelconque dans le cadre de leur emploi.

Toutefois, cela ne vous empêche pas de procéder à la vérification en tout temps des antécédents criminels des employés et des postulants. C’est avec l’utilisation de ces renseignements qu’il faut être prudent.

Se pose alors la question des fausses déclarations à l’embauche… Que faire avec un employé qui a menti lors de son embauche sur ses antécédents criminels dont on découvre ultérieurement la fausseté? Cela est une question intéressante, qui mériterait qu’on y réponde mais, longueur oblige, je vous laisse en suspens. Évitez donc ce problème en faisant une bonne vérification préalable. Les palais de justice sont tous équipés d’un accès gratuit au plumitif criminel et pénal qui vous permettent de faire les vérifications nécessaires gratuitement. Un peu de temps bien investi!


Fannie Nepton, CRIA
, avocate chez Cain Lamarre Casgrain Wells S.E.N.C.

Source : VigieRT, numéro 4, janvier 2006.


1 COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE, Lignes directrices pour l’application de l’article 18.2, document adopté le 12 mai 1988 par résolution COM-306-9.1.2
2 Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Maksteel Québec inc., [2003] 3 R.C.S. 228
3 Therrien (Re), [2001] 2 R.C.S. 3
4 COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE. Les formulaires de demande d’emploi et les entrevues relatives à un emploi, document adopté en décembre 1992.
5 COMMISSION DES DROITS DE LA PERSONNE ET DES DROITS DE LA JEUNESSE. Lignes directrices pour l’application de l’article 18.2, document adopté le 12 mai 1988 par résolution COM-306-9.1.2.
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