Vous lisez : L'arbitrage baseball au Québec : qu'en est-il?

Au Québec, les relations du travail dans les entreprises syndiquées sont gérées selon la convention collective qui a été négociée entre les parties. Lorsque survient un litige sur l'application, l'interprétation ou la négociation de cette convention, l'arbitrage est le mode approprié de résolution des conflits. Il existe deux types d'arbitrage, l'arbitrage de grief et l'arbitrage de différend. Dans le premier cas, l'arbitre doit interpréter et appliquer la loi des parties (la convention collective) alors que dans le second, l'arbitre doit créer le droit qui s'appliquera à celles-ci en tranchant les diverses positions à l'égard d'une partie ou de l'ensemble de la convention collective portée à l'arbitrage. La finalité du type d'arbitrage traité dans le présent article, instauré depuis un certain nombre d'années aux États-Unis, poursuit la même visée que l'arbitrage de différend, mais selon des paramètres différents; on l'appelle « l'arbitrage baseball » ou l’arbitrage sur offres finales.

L'arbitrage baseball, comme son nom l'indique, s'inspire des règlements de différends en matière salariale qui ont cours dans la Ligue de baseball majeur aux États-Unis. Ce type de résolution de conflits est convenu entre les parties afin de maximiser les chances d'une entente entre elles. Il est prévu dans la convention collective ou dans une loi, aux États-Unis. Contrairement à l’arbitrage conventionnel où les parties adoptent des positions diamétralement opposées, voire extrêmes, croyant que le jugement de l'arbitre en sera influencé et sachant qu’il pourra choisir les éléments qui constitueront la convention collective dans l’une ou l’autre des positions, l'arbitrage baseball vise à enrayer ce phénomène que l'on qualifie de chilling effect. L'arbitrage d'offres finales est d'autant plus intéressant puisque, lors de ce processus, chacune des parties doit présenter une offre d'entente ultime et l'arbitre doit décider laquelle, dans sa totalité, aura force de loi entre elles. En effet, l'arbitre doit déterminer laquelle des propositions des parties est la plus raisonnable. De plus, il ne peut ajouter, modifier ou retrancher un quelconque élément. L'arbitre S.M. Ashley dans l'affaire Nova Scotia Government and General Employee's Union v. Nova Scotia, [2001] N.S.L.A.A. no 13. soulignait que ce type d'arbitrage avait été comparé au jeu de la roulette russe, puisqu'il y a, à tout coup, un grand gagnant et un grand perdant. De ce fait, l'approche qu'adoptera chacune des parties dans la recherche d'une entente sera généralement beaucoup plus proactive. C'est la raison qui explique l'avantage de cette méthode, c'est-à-dire forcer les parties à se soumettre des propositions intéressantes. Dans l'affaire Goodyear Canada inc. c. Me Serge Brault et Syndicat des métallurgistes unis d'Amérique, section locale 919, EYB 2005-88609 (C.S.), le juge Laramée écrivait ce qui suit relativement à un arbitrage baseball :

« En vertu de la formule Final Offer Arbitration, l'absence de tout compromis dans l'offre finale d'une partie augmente considérablement son risque de voir retenue l'offre de l'autre. Cela les incite à en venir à un règlement avant que la décision arbitrale soit rendue. » (p. 6)

Un autre avantage non négligeable, selon l'auteure américaine Élissa M. Meth (« Final offer arbitration : a model for dispute resolution in domestic and international disputes » (1999) 10 Am. Rev Int'l Arb), est que ce type d'arbitrage constitue une solution de rechange au droit de grève :

« FOA is a form of interest that developed in the United States as an alternative to the strike. Interest arbitration replaces the strike, which is the cost of disagreement in traditional collective bargaining relationships, with the risk that a third party will implement a settlement. The risk can be avoided only if the parties agree to a settlement prior to the arbitration deadline. » (p. 383)

Les paramètres utilisés par l’arbitre s'inspirent également de l'arbitrage de différend prévu à l'article 79 du Code du travail. En vertu de l’article 79 du Code du travail, l'arbitre peut tenir compte de critères tels que la position socio-économique de chacune des parties :

« 79. L'arbitre est tenu de rendre sa sentence selon l'équité et la bonne conscience. Pour rendre sa sentence, l'arbitre peut tenir compte, entre autres, des conditions de travail qui prévalent dans des entreprises semblables ou dans des circonstances similaires ainsi que des conditions de travail applicables aux autres salariés de l'entreprise. »

En effet, selon Le Petit Robert, l'équité est la notion de la justice naturelle dans l'appréciation de ce qui est dû à chacun et la bonne conscience est cet état moral de la personne qui estime (parfois à tort) avoir bien agi et n'avoir rien à se reprocher. Ces deux notions traduisent le devoir imposé à l'arbitre de concilier raisonnablement les intérêts divergents de chacune des parties. Pour ce faire, la doctrine et la jurisprudence ont scindé la notion d'équité en deux : l'équité interne et l'équité externe. L'équité interne réfère aux conditions de travail des autres salariés de l'entreprise, alors que l'équité externe vise la comparaison des conditions de travail avec des employés travaillant au sein d'entreprises similaires. À cet effet, l'arbitre Jean-Guy Ménard soulignait, dans l'affaire Travailleurs et travailleuses unis de l'alimentation et du commerce, local 503 (F.T.Q.) et Marchands en alimentation Agora Inc. (maintenant Sobey's), 27 novembre 2001, quant à la pertinence des comparaisons effectuées :

« Dans l'esprit de l'arbitre, c'est à ce niveau que doivent s'établir les comparaisons, c'est-à-dire quant au fait qu'on est en présence d'entreprises qui agissent dans le même créneau, qui ont le même genre d'activités commerciales et qui sont d'une envergure à peu près comparable, les modes d'opération et les particularités liées à la clientèle desservie n'étant pas réellement significatifs à cet égard. » (p. 30)

Ces facteurs peuvent mener l'arbitre à choisir la proposition la plus raisonnable. Ce critère de « raisonnabilité » est d'ailleurs utilisé par l'arbitre André Bergeron dans la décision Métro-Richelieu (Division bœuf Mérite) et Union Internationale des Travailleurs et Travailleuses Unis de l'Alimentation et de Commerce, section locale 1991-P, 10 avril 1996, où l'arbitrage baseball a été utilisé dans le cadre d'un renouvellement de convention collective :

« En l'espèce, il ne s'agit pas d'offres finales pour chaque clause litigieuse, mais d'offres finales globales. Je ne peux donc choisir que l'une ou l'autre des offres en fournissant les motifs, mais sans dire ce qui m'aurait semblé le plus juste et le plus équitable, si j'avais eu le pouvoir d'imposer ma propre vision des choses.

[…]

Dans un premier temps, je dois m'assurer que toutes et chacune des composantes des offres respectent les critères établis par les parties […]

Dans un second temps, une fois cette vérification faite, je pourrai m'attarder, s'il y a lieu, au contenu des offres et décider laquelle est la plus raisonnable et pour ce faire, j'aurai préalablement à choisir la méthode à adopter pour les fins de mon évaluation. Lorsque tous les points d'une offre sont d'égale importance, il est possible d'en faire une évaluation globale, sans porter une attention particulière à l'un ou l'autre point. Il en va cependant autrement lorsque l'un des points se démarque substantiellement des autres; dans un tel cas, il est possible que l'arbitre ne s'attarde qu'à ce point, l'accessoire suivant le principal. » (p. 21)

La jurisprudence canadienne a établi à cet effet, dans l'affaire Nova Scotia Government and General Employees'Union v. Nova Scotia précitée, que lorsque les deux positions sont considérées raisonnables, l'arbitre doit alors retenir la proposition qui offre le meilleur mariage des intérêts légitimes de chacune des parties. Plus précisément, comme il est souligné dans l'affaire The Gazette (Division de Southam Inc.) c. Syndicat des Communications, de l'Énergie et du Papier, section locale 145, 18 août 1994, le rôle de l'arbitre ne consiste pas à choisir quelles sont les meilleures offres finales pour chacune des parties, mais plutôt à déterminer laquelle des deux propositions soumises peut globalement satisfaire les « intérêts supérieurs de l'entreprise », c'est-à-dire une proposition qui puisse permettre à l'entreprise de ne pas fonctionner à perte et de demeurer concurrentielle dans son milieu. Ce principe a d'ailleurs été repris dans le cadre d'un arbitrage de dernière offre, dans l'affaire Delipak enr. et TUAC, local 502, où l’arbitre Paul Imbeau écrit ce qui suit (20 décembre 1999) :

« S'il est bien légitime pour les salariés visés de vouloir améliorer leur sort, il demeure que la concurrence souvent très serrée qui sévit dans le secteur alimentaire doit leur rappeler que leurs attentes doivent en tout temps demeurer au niveau de ce qui se paie couramment dans leur industrie. » (p. 8)

Enfin, il existe deux types d'arbitrage baseball : le issue - by - issue final offer arbitration et le package final offer arbitration. La première technique a été utilisée récemment dans l'affaire Syndicat des cols bleus regroupés de Montréal, section locale 301 (S.C.F.P.) et Montréal (Ville de), D.T.E. 2004T-1028*, où l'arbitre, en vue d'harmoniser les différentes conventions collectives, a dû jongler avec la restriction du « coût nul » prévue à la Loi sur l'organisation territoriale municipale, imposant donc aux parties l'obligation de faire la preuve des coûts de leurs propositions pour chaque question abordée. Soulignons toutefois que, selon l'auteure Elissa M. Meth, cette technique ressemble davantage à l'arbitrage conventionnel puisque l'arbitre, décidant sur chaque thème la proposition la plus raisonnable, par exemple sur l'augmentation salariale, peut être tenté d’équilibrer le nombre de points en litige accordé à chacune des parties. Ainsi, c'est le package final offer arbitration qui reflèterait davantage le but visé par la formule de l'arbitrage baseball.

L'arbitrage baseball a donc l'avantage de forcer la négociation, mais demeure risqué, surtout lorsque les parties ont des positions diamétralement opposées. L'arbitre ne profite d'aucune marge de manœuvre. Indépendamment du caractère raisonnable des offres déposées, l'arbitre ne peut en rien les modifier et doit se résoudre à en choisir une. Cette formule peut s'avérer plus avantageuse que l'arbitrage conventionnel puisque la possibilité pour chacune des parties de sortir les mains vides les incite à négocier jusqu'au dernier moment afin d'arriver à un règlement à l'amiable.

* Requête pour permission d'appeler accueillie

Marie-Claude Perreault, CRIA, avocate associée, Eve Beaudet, avocate et Lyneviève Bouclin, stagiaire du cabinet Lavery, de Billy

Publié avec l'autorisation de Lavery, de Billy [www.lavery.qc.ca]

Source : VigieRT, numéro 4, janvier 2006.

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