Vous lisez : L'après-harcèlement : où en sommes-nous depuis juin 2004?

Plusieurs employeurs ont fortement réagi lors de l’annonce de l’inclusion, en juin 2004, de nouvelles dispositions sur le harcèlement psychologique au travail dans la Loi sur les normes du travail.

Tous y voyaient une lourdeur organisationnelle sans fin où les instances gouvernementales viendraient leur dicter de quelle façon gérer leurs entreprises. Mais ce vent de panique a maintenant laissé place à une réflexion des plus intéressante.

Heureusement, la grande majorité des employeurs québécois a bien réagi. La Commission des normes du travail a effectué deux sondages à ce sujet. Le premier, auquel ont répondu les deux tiers des grandes entreprises et le tiers des petites, révèle que les employeurs ont pris le temps d’informer tout leur personnel. Le deuxième sondage rapporte qu’un salarié sur deux est au courant des nouveaux recours prévus par la loi. Pour un sujet aussi émotif et si peu connu il y a à peine cinq ans, on peut considérer ces résultats comme excellents.

Pour ce qui est des démarches entreprises, les employeurs consciencieux ont profité des circonstances pour être des précurseurs et ont mis en place un plan de prévention et de formation soigneusement réfléchi, afin d’assurer une compréhension adéquate du phénomène et de dissiper les craintes soulevées par le changement culturel qu’implique cette loi.

Le rôle des syndicats : positif
Les relations patronales-syndicales ont aussi été l’objet d’une réflexion attentive. Les associations syndicales doivent-elles être impliquées dans la démarche de prévention? Doivent-elles être questionnées sur le sujet ou risquent-elles de profiter de l’occasion pour faire naître de nouveaux conflits de travail? On a eu tendance à croire que certains syndicats voudraient faire de l’arrivée de ces nouvelles dispositions un nouveau cheval de bataille sur une problématique qui, par ailleurs, ne leur était pas inconnue. Erreur… Au contraire, on constate que leur principale préoccupation est plutôt de faire changer les choses et de faire cesser les actes de harcèlement qui sont pour leurs membres un véritable enfer.

Cet état de fait nous amène à observer de bonnes démarches de collaboration et de partenariat, tant par la mise en place d’une politique organisationnelle adaptée pour faire face au problème que par des plans d’action qui mettent l’accent sur l’aspect préventif, c’est-à-dire l’importance du respect au travail. On a alors mis l’accent sur des activités de prévention au sein de ces entreprises.

Ce qui est certain, c’est que cette nouvelle législation a obligé patrons et employés à faire une mise au point commune sur le climat de travail dans lequel baignait l’ensemble du personnel et à souligner les zones à risque pour l’entreprise.

Un questionnement parfois paralysant
Par ailleurs, la difficulté de définir le phénomène du harcèlement semble encore poser un problème à certains gestionnaires, et même à certains employés. En quoi consiste vraiment une situation de harcèlement psychologique? Certes, une définition légale nous est proposée, mais le phénomène ne serait-il pas plus d’ordre subjectif que rationnel? Cette observation nous amène à nous questionner sur le seuil de tolérance de chaque personne à l’égard de ces situations problématiques et sur l’impact de ce seuil. Où se situe la limite de chacun? Comment être pris au sérieux par mon employeur? Comment les tribunaux vont-ils statuer sur ces éléments?

Trop de questionnements font souvent en sorte que la personne choisisse de continuer à taire la situation, par peur de subir des représailles ou d’être ridiculisée, et ce, même si l’organisation a mis en place une politique et des moyens pour contrer le harcèlement spécifiant que toute personne qui décidera de dénoncer une situation de harcèlement ne subira aucun préjudice.

Ces constats ont permis de conclure que la formation des employés être doit maintenue à cet égard afin de poursuivre la sensibilisation au phénomène. Le dialogue doit faire partie du quotidien pour aider à développer les habiletés à reconnaître les comportements répréhensibles, tout en maintenant la pratique des comportements souhaités. Le soutien et l’accompagnement doivent être présents pour animer le courage de dénoncer ces situations lorsqu’elles surviennent.

Et les gestionnaires dans tout ça?
On constate que les gestionnaires sont encore les acteurs les plus interpellés par cette nouvelle législation. Malheureusement, dans bien des cas, l’information et la formation dispensées à leur égard sont insuffisantes et des questions n’ont pas de réponse. Se sentent-ils laissés à eux-mêmes? De quels outils ou de quelles ressources disposent-ils pour réagir devant un employé difficile, à un employé non performant ou tout simplement devant un conflit entre deux de leurs subalternes? Quel comportement doivent-ils adopter pour exercer correctement leur droit de gérance sans craindre le fameux dépôt de grief? Voilà où la réalité de cette nouvelle législation a le plus grand impact.

Très souvent, des gestionnaires rigoureux ont l’impression que le niveau de performance qu’ils s’imposent et auquel ils s’attendent de la part de leur personnel puisse être interprété comme du harcèlement psychologique. S’ajoute à cette complexité la perception très actuelle de surcharge de travail. Sommes-nous réellement face à une réalité qui peut entraîner une plainte pour harcèlement psychologique contre le gestionnaire? Qui se sent capable de répondre adéquatement à ces questions? Les réponses existent, mais elles requièrent un temps d’observation, d’analyse et de réflexion pour en définir la pertinence.

Il reste du travail à faire…
Il faut comprendre ces peurs, mais il faut également être en mesure d’aller de l’avant. Le maintien d’un travail de sensibilisation et d’éducation est souvent le secret afin de rendre les perceptions de tous plus conformes à la réalité. Sur ce point, nos organisations ont encore du travail à faire, car le changement de culture n’est pas complété. Bien au contraire, dans ce dossier, nos organisations sont en plein bouleversement. Serait-il encourageant de réaliser que, lorsqu’on touche à la prise de conscience et à la modification de certains comportements, l’humain a besoin de temps?

Alors où en sommes-nous après dix-huit mois? On constate que les organisations prennent le temps qu’il faut pour apprivoiser cette nouvelle culture de « tolérance zéro » tout en s’efforçant de créer des zones de confort pour un climat de travail empreint de respect pour tous en tout temps.

De plus en plus de travailleurs, quel que soit le niveau de responsabilité qu’ils assument, réalisent qu’un climat de travail sain et respectueux est l’affaire de tous et que chacun doit faire partie de la solution si on veut réussir sur ce plan.

Muriel Drolet, CRHA, andragogue, présidente de Drolet Douville et associés inc.

Source : Effectif, Volume 8, numéro 5, novembre/décembre 2005
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