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Selon un rapport de l’OIT, près d’un quart de tous les incidents violents au travail se produisent dans le secteur de la santé, pourquoi?

Un établissement de santé est un secteur où le niveau de tolérance à l’égard des événements violents est très bas. Et c’est bien qu’il en soit ainsi. Un établissement de santé vise à assurer un milieu de travail non seulement sécuritaire, mais également sain pour ses employés et évidemment, pour sa clientèle. Ainsi, depuis maintenant plusieurs années, la grande majorité des établissements de santé se sont dotés d’une politique de prévention de la violence, laquelle incite leur personnel à déclarer les événements violents tout en s’obligeant, en tant qu’organisation, à les répertorier et à intervenir pour que de telles situations ne se reproduisent plus. À titre indicatif, notons que le Conseil canadien d’agrément des hôpitaux a intégré dans ses critères d’évaluation l’existence d’une politique pour contrer la violence en milieu de travail. Il est donc normal que nous ayons plus d’événements violents déclarés dans notre milieu par rapport à d’autres milieux.

Le secteur de la santé n’est pas un secteur plus violent qu’un autre. Nous comprenons toutefois qu’une personne assise dans une salle d’attente depuis plusieurs heures, accompagnée de son enfant malade, en attente d’être vu par un médecin, est susceptible de subir un niveau de stress élevé pouvant la mener à faire une scène « violente » à l’infirmière du triage. Il n’est donc pas rare de répertorier des événements qui impliquent une clientèle inquiète qui adopte un comportement qu’elle n’aurait pas dans la vie de tous les jours, en situation de vie plus « normale ». Une telle situation est spectaculaire, mais n’est pas vraiment différente d’une situation similaire qui se passerait dans une salle d’attente d’un garagiste. La violence est un problème généralisé dans notre société; elle n’est pas l’apanage des établissements de santé.

Quel est le type de violence exigeant le plus d’attention dans le domaine de la santé? Quelle en est la source? Comment s’y attaquer?

Il arrive que la violence verbale et symbolique soit présente dans notre milieu. Parmi les déclarations sur lesquelles j’ai eu l’occasion d’enquêter dans deux centres hospitaliers importants de la région de Montréal (totalisant à eux deux près de six mille employés), notons qu’environ 70 % des déclarations d’événements violents impliquaient de la violence verbale et symbolique. Par exemple, lancer un objet, signaler une situation en criant, blasphémer, utiliser des mots injurieux, lancer des phrases acerbes sur un ton méprisant à l’intention d’autrui. De façon générale, lorsque ces événements violents impliquent des employés, ils résultent de situations conflictuelles qui dégénèrent depuis plusieurs mois, voire plusieurs années. L’épisode de violence survient parfois au moment d’une situation « accidentelle », laquelle a l’effet de la goutte d’eau qui fait déborder le vase. Il est donc impératif que le gestionnaire soit à l’écoute de son milieu afin de réduire le plus possible les situations « irritantes ». L’application d’une politique de prévention est donc un élément essentiel de notre programme de prévention de la violence.

En vous appuyant sur des exemples, pouvez-vous exposer les principaux éléments d’un plan de prévention et d’un plan d'intervention en matière de violence physique et de menaces d’agressions physiques, de violence verbale et psychologique et de violence sexuelle?

Toute personne a droit au respect et à la sauvegarde de sa dignité et de son intégrité physique et psychologique. Pour cela, un employeur doit prendre toutes les dispositions pour assurer à chacun le droit à l'intégrité, à l'inviolabilité et à la sécurité de la personne. En conséquence, un employeur doit énoncer clairement sa position par rapport à la violence. L’exemple suivant est tiré d’une politique d’un établissement de santé important à Montréal :

« Tout acte de violence, tel que défini à la présente politique, est strictement interdit et n'est en aucun cas toléré par l’établissement de santé.

« Aucune forme de violence qui implique les employés, les médecins, les patients, les fournisseurs, les visiteurs, les bénévoles ou les stagiaires n'est acceptée. Cet énoncé s'applique autant aux conduites se produisant dans le milieu de travail qu'à celles pouvant survenir en d'autres circonstances et lieux, si elles portent préjudice à la personne dans le cadre de son emploi. »

Le programme de prévention, pouvant prendre la forme d’une politique, vise à assurer un milieu de travail exempt de toute forme de violence, à sensibiliser, informer ou former toutes les personnes visées par la politique, afin de prévenir ou d’éliminer les actes de violence et, plus particulièrement, d’établir des mécanismes de traitement des plaintes à l'intention des personnes victimes d'un acte de violence.

La violence est généralement définie comme un acte ou un comportement abusif qui a pour objectif d’agir sur quelqu’un ou de le faire agir contre sa volonté en employant la force ou l’intimidation.

Ainsi, la violence peut prendre plusieurs formes.

  • Violence physique
    Acte de violence qui atteint ou tente d’atteindre l’individu dans son intégrité physique par l’utilisation de la force physique, exercée directement ou indirectement.

  • Violence psychologique
    Toute action, parole ou attitude qui porte ou qui tente de porter atteinte à l’intégrité psychique ou mentale d’un individu.

  • Violence sexuelle
    Acte de violence comportant des propos, avances ou agressions sexuelles, non consentis.

  • Violence symbolique
    Acte de violence d’une personne exercé contre un objet inanimé.

  • Violence verbale
    Acte de violence caractérisé par le ton de la voix, le débit ou les propos utilisés.

Comme tout programme de prévention, celui qui cible la violence ne déroge pas aux règles traditionnelles. Il doit comprendre l’établissement de différents niveaux de responsabilité et des procédures strictes à suivre en cas d’actes violents.

La particularité d’une bonne politique de prévention de la violence est qu’elle doit prévoir la gestion des cas problématiques susceptibles de générer des événements violents. Il ne s’agit pas ici de prévoir des mécanismes primaires pour gérer des agressions sexuelles, des batailles, ou des coups de couteau. Notre équipe de gestion des ressources humaines est traditionnellement bien équipée pour gérer ce type de situations exceptionnelles lorsqu’elles surviennent. La politique visera à lui permettre de démêler des nœuds gordiens qui se forment souvent dans des équipes de travail et qui font émerger des situations de violence. C’est ici que le gestionnaire des ressources humaines trouvera un défi intéressant et valorisant à l’égard duquel la politique de prévention de la violence peut nous donner un niveau d’intervention efficace sur le climat de travail. Le gestionnaire ne devra pas simplement s’arrêter à la gestion primaire de l’acte de violence. Il devra s’attarder, à l’aide du mécanisme d’enquête, au contexte qui a fait émerger l’élément de violence. S’attarder aux causes. Compétence? Culture? Aventure amoureuse entre collègues? Vol? Drogue? Problème de santé mentale? Problème de gestion? Jalousie? Voilà autant de problématiques qui peuvent dégénérer en violence.

Selon la brochure Contrer la violence au travail, publiée par la FIIQ, « Toute personne extérieure au milieu sera très étonnée de voir l'incidence des membres du personnel de l'établissement, mais encore plus celle des médecins, comme sources d'agressions envers les infirmières. C'est surtout au chapitre de la violence psychologique que les rapports entre les médecins et les infirmières semblent le plus détériorés. » Comment expliquez-vous une telle situation?

Rien ne porte à penser que les médecins sont à la source de nombreuses manifestations de violence ou de harcèlement à l’égard du personnel infirmier dans les milieux de travail où j’ai été appelé à œuvrer. Au contraire. Les médecins et notre personnel professionnel tentent de maintenir un haut niveau de professionnalisme dans l’exercice de leur travail. Ainsi, malheureusement, pour différentes raisons, un contexte difficile peut favoriser l’émergence de comportements liés à l’exaspération, lesquels, ultimement, pourraient dégénérer en comportement violent ou se traduire par un geste déplacé.

L’expression de la violence n’est liée ni à la profession ni au niveau d’éducation. Elle est, à mon sens, liée au savoir-être, au savoir-vivre, à l’application des règles de société ainsi qu’au contexte dans lequel nous œuvrons. En conséquence, un médecin ou un autre professionnel est une personne susceptible au même titre que tout autre membre de notre société d’exprimer une certaine forme de violence, sans plus.

L'objectif d’une politique sur la non-violence ne consiste pas à éliminer la passion, l'émotion et la couleur des propos, des gestes et des échanges dans un établissement de santé. Elle vise à s'assurer que ces échanges demeurent courtois et appropriés en contexte de travail.

Prenons l’exemple d’un médecin qui œuvre dans un bloc opératoire. Dans une salle d'opération, la qualité des échanges a une influence importante sur la qualité de l'intervention. En situation tendue, la qualité de ces échanges est susceptible de varier selon la gravité de la situation. Par conséquent, il est normal que, dans un tel contexte, ces échanges se formalisent et, tout comme en situation d’incendie, ils deviennent des « ordres » suivant une ligne de commandement de laquelle on ne peut pas déroger. La marge est ici très mince entre la politesse, l’impolitesse et des propos qui pourraient être interprétés comme violents.

Il est normal que le niveau de tolérance au « ton » ou à la « brusquerie » varie également chez les acteurs en contact avec le niveau de stress qu’engendre la situation. Les « mercis » et les « s’il vous plaît » peuvent, de toute évidence, être abandonnés. En ce sens, à un moment où tous les acteurs œuvrant dans une salle d'opération s'attendent à un niveau élevé de professionnalisme, un commentaire ou un geste répété laissant suspecter un niveau de compétence inférieur à l'attente, peut générer un climat d'exaspération susceptible d’entraîner l’adoption d’attitudes négatives. C'est normal et humain. Par conséquent, un « Hey! Réveille! » pourrait être parfaitement acceptable dans un contexte particulier où l’un des acteurs dans la salle est dans la lune. Si ce geste est accompagné d’une tape sur l’épaule, nous avons tous les ingrédients pour faire émerger une plainte de violence verbale et physique. Et la plainte serait justifiée. Si, en plus, une incertitude règne à l’égard de la compétence de l'un des acteurs importants dans la salle à ce moment, l'objet de l'altercation pourrait être justifié. Dans un tel contexte, le « Hey! Réveille! » émis de façon brusque et violente ne constitue pas un propos frivole formulé par l'une ou l'autre des parties. Ces propos et commentaires peuvent concerner un acte médical effectué dans une situation critique et tendue en salle d'opération. D'ailleurs, dans un cas particulier pour lequel j’ai mené une enquête, ce geste a pu faire la différence entre la vie et la mort d’un patient.

Cet exemple pourrait très bien s’appliquer à des activités quotidiennes ou dans le cadre de la pratique d’un sport où nous frôlons souvent la limite de l’acceptable, du tolérable et de l’inacceptable. Une mise en échec réglementaire au hockey ne relève pas de la violence. Pourtant, cette même mise en échec avec le coude à la hauteur de la figure constitue de la violence. Et la bataille qui pourrait s’ensuivre, encore plus. Que les joueurs soient médecins, préposés, commis ou infirmiers ne changerait rien.

L’intervention des professionnels de la gestion des ressources humaines dans un tel contexte est très importante et doit tenir compte des critères, et ce, tant en matière de formation, d’actualisation des compétences que de respect des règles de vie d’une unité de soins ou d’un service.

La sécurité des lieux constitue un élément de premier plan pour la prévention de la violence au travail dans le domaine hospitalier. Pour protéger le personnel, quelles sont les dispositions pouvant être prises en ce qui a trait à l’aménagement physique des lieux?

Encore une fois ici, comme dans tous les aspects de la gestion de la santé et de la sécurité du travail, il faut inclure à toutes les étapes d’élaboration d’un projet ces éléments de santé et de sécurité du travail. Choisirons-nous de poster des agents de sécurité dans un endroit visible de la salle d’attente de la nouvelle urgence? Pourrions-nous inclure des indications claires qui ne portent pas à confusion? Pourrait-on prévoir des équipements visant à alerter des équipes d’intervention lorsque des situations violentes surviennent? Avons-nous des moyens de contention adéquats? En voulons-nous? Est-ce conforme à notre philosophie de soins? Voulons-nous nous équiper d’une forme de salle de retrait? Avons-nous éliminé tous les angles aigus de façon à prévenir les blessures? Les chaises sont-elles fixées? L’éclairage est-il adéquat? Le personnel soignant a-t-il reçu la formation adéquate pour réagir en situation de violence? L’infirmière au triage est-elle laissée à elle-même? Au cours de soirées particulièrement chargées, pouvons-nous assurer par différents moyens un niveau de confort acceptable pour les personnes qui attendent (ex : ne serait-ce que de vider les corbeilles plus souvent ou de prévoir des chaises supplémentaires à l’intention des personnes qui attendent ou encore d’ouvrir une unité de débordement).

Quelles seraient les particularités d’une politique contre la violence en milieu hospitalier par rapport aux politiques en vigueur dans d’autres milieux de travail?

L’une des particularités importantes d’une politique de prévention de la violence dans un milieu hospitalier est l’inclusion de mécanismes d’enquête différents selon les acteurs impliqués. Par exemple, un événement impliquant deux employés sera géré par le gestionnaire et l’équipe des ressources humaines. Toutefois, si l’événement implique un médecin, la direction des services professionnels de même que la direction des ressources humaines devront être impliquées, car le médecin n’est généralement pas un employé de l’établissement de santé. Les mesures qui pourraient être prises à l’égard d’un médecin sont complètement différentes de celles qui pourraient être prises contre un employé. À titre indicatif, nous ne pourrions pas congédier un médecin. D’autres mesures coercitives sont toutefois mises à notre disposition, le cas échéant. Au même titre, si l’événement impliquait un bénévole ou un patient, ou même un visiteur, on ferait appel à différentes directions et surtout à différents niveaux d’intervention.

Robert Gauvin, CRHA

Source : VigieRT, numéro 3, décembre 2005.

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