Vous lisez : ÉTUDE DE CAS – La violence dans le secteur de la santé

Régulièrement, des employés du secteur de la santé (infirmières, préposées aux bénéficiaires, ambulanciers, psychologues…) sont victimes de lésions professionnelles causées lors d’agressions par des bénéficiaires. S’ensuivent pour les employeurs des absences – et les conséquences que cela comporte pour eux – ainsi qu’une augmentation des cotisations à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST).

Une demande de partage des coûts, en vertu de l’article 326 alinéa 2 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), peut être adressée à la CSST. Mais ce n’est souvent qu’une fois devant la Commission des lésions professionnelles (CLP) que la demande est accueillie. Les coûts sont alors imputés à l’ensemble des employeurs.

Selon la jurisprudence majoritaire de la CLP, le test à appliquer pour déterminer s’il est injuste que l’employeur supporte le coût des prestations versées au travailleur en raison de l’accident du travail dont il a été victime est de déterminer si le genre d’« accident » survenu est un risque inhérent à l’activité de ce dernier. On fait alors une distinction entre les types d’établissements – CHSLD ou hôpital psychiatrique par exemple – et on regarde si le type d’agression a un caractère exceptionnel ou non.

Mais au-delà du partage des coûts, est-il possible d’assurer, à la source, la sécurité de ces travailleurs victimes de violence physique? L’examen des faits prévalant dans les dossiers des réclamations faites à la CSST peut être un début de solution…

Les exemples qui suivent présentent, à l’étape du partage des coûts, des situations vécues dans différentes fonctions.

Les exemples qui suivent présentent, à l’étape du partage des coûts, des situations vécues dans différentes fonctions. Pour un accès rapide aux situations, veuillez utiliser le menu ci-contre.
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Ambulancier
Un appel demandant d’effectuer le transfert d'un bénéficiaire se trouvant dans un centre de traitement qui fait le suivi psychiatrique et prodigue des soins ponctuels aux bénéficiaires faisant déjà l'objet d'un suivi par un médecin psychiatre est reçu par les ambulanciers. À leur arrivée au centre, une psychiatre les informe que des policiers, déjà sur place en raison des antécédents de violence du bénéficiaire, ne doivent pas entrer dans l'établissement, car ce dernier risque de faire une crise de violence importante. La psychiatre ajoute qu'elle s'occupe de la sécurité des ambulanciers, puisque le patient est maîtrisé, à l'intérieur de l'établissement, par des agents d'intervention. Le travailleur, un ambulancier, est alors frappé avec violence par le bénéficiaire.

DÉCISION : L'employeur soumet que la psychiatre du centre de traitement est également un tiers qui peut être en partie responsable de cet accident en raison des représentations faites auprès du travailleur sur la sécurité qu'elle devait lui apporter lors de cette intervention. Il n’a cependant pas nié que les interventions auprès d'une clientèle agressive ou violente font intégralement partie des tâches d'un ambulancier. Or, la cause directe de l'accident est l'agression par un bénéficiaire à l'occasion d'une intervention dans le cadre de ses fonctions et alors qu’il avait été préalablement averti qu'il s'agissait d'un patient violent. Malgré ce que lui a dit la psychiatre relativement à sa sécurité, il aurait pu refuser de pénétrer à l'intérieur de l'établissement si les policiers, qui étaient déjà sur place, ne l'escortaient pas à l'intérieur. Il a plutôt accepté de procéder de la façon suggérée par la psychiatre et celle-ci n'est pas responsable des circonstances dans lesquelles est survenue cette agression. En effet, le travailleur avait lui-même la responsabilité d'évaluer cette situation et il a pris un risque plus élevé en ne se faisant pas escorter par les policiers qui étaient sur place. Il s'agit d'un risque de son travail d’ambulancier. Le transfert d’imputation est refusé.

C.T.A.Q.M., SOQUIJ AZ-50340310

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Infirmière auxiliaire dans un CHSLD
La travailleuse a subi une lésion professionnelle, soit une entorse au poignet droit, lorsqu'un bénéficiaire à qui elle donnait un verre d'eau pour prendre un médicament a saisi son poignet, l'a tourné et l'a serré. L'employeur a demandé un transfert d'imputation au motif que l'accident du travail était attribuable à un tiers. La CSST a refusé. L'instance de révision a confirmé cette décision.

DÉCISION : Les conditions requises pour donner ouverture à un transfert de coûts lorsqu'un accident est attribuable à un tiers sont les suivantes : l'imputation a pour effet de faire supporter injustement à l'employeur le coût des prestations versées et l'accident du travail est attribuable à un tiers. Selon la jurisprudence, le patient d'un hôpital ou d'un centre d'hébergement est un tiers par rapport à l'employeur. En l'espèce, la lésion professionnelle est attribuable à un tiers, le bénéficiaire, et son geste a été déterminant dans la survenance de l'accident. La travailleuse n'est pas à l'origine de son comportement agressif. Par ailleurs, la loi exige que la lésion soit « attribuable » à un tiers, mais ne fait allusion à aucune notion de « faute civile ». D'ailleurs, selon l'article 25 LATMP, les droits conférés par la loi « le sont sans égard à la responsabilité de quiconque ». Par contre, l'agression n'est pas un risque particulier relié à l'activité de l'employeur, un centre d'hébergement et de soins de longue durée, tel qu'il appert d'une revue de la jurisprudence. C'est le bénéficiaire qui est à l'origine de la lésion professionnelle. La jurisprudence majoritaire considère en effet comme étant exceptionnelle et anormale la situation qui a rendu la travailleuse incapable d'exercer son emploi. Le coût de la lésion professionnelle doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

CHSLD Biermans-Triest, AZ-50333575

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Infirmière dans un centre de soins spécialisés
La travailleuse, une infirmière dans un centre de soins spécialisé en neurologie, a subi une lésion professionnelle, soit une morsure, une tendinite au bras gauche et une épicondylite gauche, lorsqu'elle a été mordue par une bénéficiaire en proie à une crise très grave d'épilepsie alors qu'elle tentait de l'empêcher de se blesser. L'employeur a demandé un transfert d'imputation au motif que l'accident était attribuable à un tiers. La CSST a refusé. L'instance de révision a confirmé cette décision.

DÉCISION : La patiente qui a mordu la travailleuse peut être considérée comme un tiers au sens de l'article 326 LATMP et il ne fait aucun doute qu'elle est l'auteure ou la cause de l'accident. L'accident du travail lui est donc entièrement attribuable. De plus, l'accident résulte d'un risque particulier se rattachant à la nature de l'ensemble des activités exercées par l’employeur qui est appelé à traiter des patients épileptiques, victimes de crises nombreuses et incontrôlées. À preuve, la patiente impliquée dans le présent événement porte des mitaines de contention et de protection afin que, lors d'une période convulsive, elle ne puisse arracher les électrodes servant à la surveillance constante prescrite par ses médecins traitants. La crise convulsive faite par cette patiente n'est donc pas une surprise ou une anomalie dans un tel contexte. En outre, même si la patiente était en crise et agitée, on ne saurait conclure à une agression de sa part. Or, la jurisprudence qui s'est développée en matière d'agression vise à soustraire du dossier d'expérience d'un employeur les coûts des accidents résultant de réelles agressions, assimilables à des phénomènes de société sur lesquels un employeur n'a aucun contrôle. C'est pourquoi, les vols à main armée, les attaques de chauffeurs d'autobus ou d'agents de stationnement ou encore les agressions sur du personnel infirmier – qui ne sont pas survenus en raison de la maladie de leur auteur, mais plutôt, par exemple, de l'insatisfaction de la clientèle – sont reconnus comme de tels phénomènes de société et permettent un transfert des coûts. Toutefois, lorsque, comme en l'instance, une infirmière travaillant auprès de personnes en crise est blessée par une telle personne, on ne peut y voir un événement qui sort de la sphère des activités de l'employeur. Il s'agit plutôt d'un accident qui survient dans le cadre du travail et qui s'inscrit dans les risques inhérents aux activités exercées par l'employeur. Le transfert d’imputation est refusé.

Centre universitaire Santé Mc Gill, SOQUIJ AZ -50317873

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Infirmière auxiliaire dans un CHSLD
La travailleuse, une infirmière auxiliaire, a subi une lésion professionnelle, soit une contusion dorsale, une contusion périscapulaire, une dorsalgie, une cervicalgie et une paresthésie au membre supérieur droit. Elle s'occupait d'un patient assez âgé et corpulent, atteint de la maladie d'Alzheimer. Elle venait de faire sa toilette et elle s'affairait à le vêtir. Alors qu'elle était accroupie afin de lui enfiler ses bas, il l'a frappée violemment avec son poing. L’employeur a demandé un transfert d'imputation au motif que l'accident était attribuable à un tiers. La CSST a refusé. L'instance de révision a confirmé cette décision.

DÉCISION : Le bénéficiaire est un tiers et il est l’auteur ou la cause de l’accident. Quant à savoir s'il est injuste que l'employeur supporte les coûts de cet accident, preuve essentielle à l'application de l'article 326 LATMP, le législateur parle de « faire supporter injustement à un employeur le coût des prestations dues en raison d'un accident du travail attribuable à un tiers ». S'il avait voulu que la simple démonstration de l'implication d'un tiers dans l'événement soit suffisante pour opérer un transfert des coûts, il aurait omis le mot « injustement » de cet article. Il faut donc lui donner un sens et conclure que l'injustice fait partie des conditions d'application et doit être démontrée. Or, l'employeur exploite un centre de soins prolongés et l'accident du travail est survenu dans le cadre de soins prodigués à un bénéficiaire. Bien qu’il ne soit pas un établissement à vocation psychiatrique, il accueille des bénéficiaires en perte d'autonomie et souffrant de la maladie d'Alzheimer. Il n'est donc pas exclu que de tels bénéficiaires fassent preuve d'agressivité ou d'impatience. Surtout lorsque, comme dans le présent cas, ils sont souffrants et que la toilette prodiguée provoque des douleurs en raison d'une maladie physique (inflammation des testicules). Ces manifestations d'impatience ou de contrariété font donc partie des risques se rattachant à l'activité exercée par l'employeur et ne revêtent pas un caractère exceptionnel qui les ferait sortir du cadre de cette activité. Contrairement à ce que prétend l'employeur, l'évaluation des risques inhérents aux activités exercées dans un centre hospitalier à vocation générale ne peut s'appliquer sans nuance aux centres de soins de longue durée compte tenu des clientèles différentes qu'il dessert et des activités particulières qu'il accomplit. Le transfert d’imputation est refusé.

Les CHSLD de mon Quartier, SOQUIJ AZ-50285293

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Psychologue dans un centre de réadaptation
La travailleuse a subi une lésion professionnelle lorsqu'elle a été agressée par une bénéficiaire d'un établissement du réseau de la santé – autre que l’employeur et que le centre de réadaptation pour lequel elle travaillait – qui venait tout juste d'être amenée chez l'employeur sous escorte policière. Celui-ci avait immédiatement placé cette personne sous contention afin d'en assurer un meilleur contrôle, mais elle a réussi à s'enfuir du centre hospitalier pour se rendre au centre de réadaptation où se trouvait la travailleuse et l'agresser. La CSST a imputé les coûts reliés à l'accident du travail aux employeurs de l'unité dans laquelle le tiers employeur, le centre hospitalier, était classé. L'instance de révision a confirmé cette décision.

DÉCISION : La blessure subie par la travailleuse est attribuable entièrement au geste inattendu et insoupçonné de la bénéficiaire en attente de prise en charge chez l'employeur. La jurisprudence analyse l'expression « faire supporter injustement » en tenant compte des risques particuliers ou inhérents rattachés à la nature de l'ensemble des activités exercées par l'employeur. En l’espèce, l'employeur est un établissement de santé public de soins de courte durée. Son activité économique n’est donc pas de maîtriser des patients agressifs, bien que cette situation puisse se produire à l'occasion. Or, le risque de blessure d'une psychologue travaillant chez un autre employeur lors de l'agression par une bénéficiaire en attente de prise en charge chez l'employeur n'est pas inhérent à l'activité économique de ce dernier. Il serait donc injuste de lui faire supporter le coût des prestations. En effet, la maîtrise d'un bénéficiaire est une situation exceptionnelle. Le coût de la lésion professionnelle doit être imputé à l’ensemble des employeurs.

Centre hospitalier Rouyn-Noranda, SOQUIJ AZ-50259338

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Préposée aux bénéficiaires dans une résidence pour personnes âgées
La travailleuse, une préposée aux bénéficiaires dans une résidence pour clientèle en perte d'autonomie fonctionnelle ou psychosociale, a subi une lésion professionnelle lorsqu'un résident lui a tordu le poignet alors qu'elle l'accompagnait à la salle à manger. L'employeur a demandé un transfert d'imputation au motif que l'accident était attribuable à un tiers. La CSST a refusé. L'instance de révision a confirmé cette décision.

DÉCISION : On doit vérifier si l'accident résulte d'un risque particulier se rattachant à la nature de l'ensemble des activités exercées par l'employeur. Dans ce contexte, le titre de l'unité de classification octroyée à ce dernier est moins important que les activités réellement exercées. Il faut bien examiner les faits particuliers et les activités de l'employeur afin de déterminer si le geste du tiers est étranger ou inhérent à ces dernières. Ainsi, la tâche effectuée lors de l’accident, les circonstances de cet accident et sa prévisibilité – compte tenu de la personnalité du tiers ou des activités exercées par l'employeur – sont autant d'éléments qui doivent être pris en compte. En l’espèce, l'employeur accueille des personnes âgées qui sont pour la plupart autonomes, mais un étage de l'édifice est consacré aux personnes en légère perte d'autonomie. Ces personnes requièrent des soins de base et une attention accrue. Il s’agit donc d’une activité devant être considérée dans l'analyse de l'injustice de l'imputation du coût. Or, au moment de l'accident, la travailleuse était affectée à l'étage des résidents en légère perte d'autonomie. Selon elle, le résident impliqué est âgé et agressif lorsqu'elle l'accompagne à la salle à manger. Comme cet accompagnement fait partie de ses tâches, elle n'a donc pas été blessée lors d'une activité étrangère à celles-ci. Il est par ailleurs, prévisible qu'une personne âgée de plus de 90 ans, faisant preuve d'une certaine agressivité, perde le contrôle. Même si une telle situation ne se produit pas souvent, elle n'en demeure pas moins prévisible. De plus, en prenant soin de personnes âgées en légère perte d'autonomie, l'employeur s'expose à de tels risques. Il a en effet confirmé que les résidents sont évalués régulièrement et orientés vers des centres appropriés lorsqu'ils deviennent, entre autres, trop agressifs. C'est donc dire que des personnes avec un potentiel d'agressivité se retrouvent à l'étage des résidents en perte d'autonomie et que l'accident du travail n'est pas inusité ou sans lien avec les risques assumés par l'employeur. Le transfert d’imputation est refusé.

Place Kensington inc., SOQUIJ AZ-50235117

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Monique Desrosiers
, avocate, coordonnatrice, Secteur droit du travail et administratif, Direction de l'information juridique à la Société québécoise d'information juridique (SOQUIJ)

Source : VigieRT, numéro 3, décembre 2005.

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