Vous lisez : Vouvoiement - une valeur sûre au travail?

Froid et distant, le vouvoiement? Pas en toutes occasions… mais une chose le caractérise en tout temps : il évoque le respect.

Entre collègues de travail, et même entre patrons et employés, il a généralement fini par céder la place au tutoiement, jugé plus convivial. Devrait-on favoriser le retour au vouvoiement? Quelques milieux ont déjà pris ce virage et en sont satisfaits.

Selon Louise Masson, présidente de Beaux Gestes, une entreprise spécialisée dans l’étiquette sociale et professionnelle, il serait souhaitable de se réapproprier le vouvoiement, notamment au travail. « Quand on ne connaît pas quelqu’un, la langue française nous permet une sorte de filtre, illustre-t-elle. Je préconise que le “vous” soit le rein de la langue française. Il filtre la mauvaise humeur, l’insulte, la familiarité et l’intimité qui n’ont pas lieu d’exister dans le milieu professionnel. »

L’abandon du vouvoiement, beaucoup plus marqué au Québec qu’en Europe, ne s’est bien sûr pas produit en un jour. En 1960, le vous était encore de rigueur pour aborder les gens, tant au quotidien que dans les relations de travail. Il reste tout de même difficile de déterminer avec précision l’époque à laquelle le « vous » a cédé sa place au tutoiement. Ce qui est certain par contre, c’est que, de nos jours, on peut entendre une caissière de vingt ans tutoyer un client de soixante-cinq ans au supermarché. Maintenant, tout le monde est à tu et à toi…

S’il faut en croire les constats faits pendant les visites d’appréciation de la qualité des services réalisées en 2004 par le ministère de la Santé et des Services sociaux, même les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD), dont les résidants sont pour la plupart des personnes âgées, ne sont pas épargnés. Certains membres du personnel tutoient en effet les résidants et les appellent par leur prénom. Cela dit, des efforts sont déployés dans bon nombre d’établissements pour que le vouvoiement des résidants soit de rigueur pour tous les employés.

« Dans le monde des affaires, le vouvoiement s’avère une valeur sûre, car il met un écran de protection entre les gens », précise d’ailleurs Louise Masson. À ce propos, elle évoque la situation des gens qui œuvrent dans les services des ressources humaines. Ces gestionnaires ont souvent des nouvelles délicates à annoncer, comme le licenciement d’un employé, en plus d’avoir à régler des conflits. En ce sens, « c’est un refuge de vouvoyer dans ces cas-là, parce que le vous est beaucoup plus nuancé que le tu. Le vouvoiement peut avoir une résonance de respect, de froid, de distance, mais aussi une connotation d’affection », poursuit Louise Masson, ajoutant qu’on peut notamment vouvoyer ses grands-parents, tout en se sentant très proche d’eux. « On ne se trompe donc jamais en vouvoyant, enchaîne la présidente de Beaux Gestes. À mon avis, c’est une assurance-vie. »

Vouvoiement égale respect au CPE La Becquée  
Les milieux de travail dotés d’une politique de vouvoiement sont pour l’instant plutôt rares au Québec, mais ils tendraient à se multiplier. En ce sens, l’équipe du Centre de la petite enfance La Becquée, à Québec, fait figure de pionnière. Sa politique de vouvoiement, officiellement entrée en vigueur en novembre 2004, concerne l’ensemble du personnel, tant éducatif qu’administratif, sans oublier les responsables de l’alimentation. « L’idée nous est venue il y a quelques années, lorsque le vouvoiement a commencé à être réinstauré à l’école publique, explique Martine Beaupré, directrice générale du CPE La Becquée. Étant donné que nous sommes un établissement d’enseignement préscolaire, on voulait vraiment donner la chance aux enfants d’être prêts pour l’école. Mais la raison première, enchaîne-t-elle, était vraiment d’inculquer aux enfants des notions de respect et de leur donner un modèle. »

La politique s’applique donc de la façon suivante : les enfants tutoient les éducateurs, étant donné le rôle de substitut parental de ces derniers. Les éducateurs se tutoient entre eux, puisque les enfants les voient et les entendent. Mais les tout-petits vouvoient les responsables de l’alimentation et les membres de l’équipe administrative. Martine Beaupré vouvoie pour sa part les éducateurs ainsi que les responsables de l’alimentation, et vice-versa. « Les mots madame ou monsieur précèdent toujours, alors le vous suit facilement », explique-t-elle. Et les éducateurs vouvoient bien sûr tous les parents, sans exception.

« C’est vraiment dans une idée de respect entre tous les adultes dans le CPE », commente madame Beaupré. Cette dernière avait d’ailleurs remarqué, au cours d’entrevues d’embauche, la facilité avec laquelle certaines aspirantes à un poste d’éducatrice usaient du tutoiement, alors qu’elles se faisaient vouvoyer…

L’application de la politique n’aurait modifié en rien les excellentes relations de travail qui existent à La Becquée. « Par contre, c’est étonnant de voir les éducateurs vouvoyer même leurs stagiaires, d’ajouter la directrice générale. Ça devient automatique; même quand on sort du bureau, on a tous tendance à s’appeler madame ou monsieur. » Quant aux enfants, les contacts qu’ils entretiennent avec les membres de l’équipe administrative sont toujours aussi chaleureux, et ce, même s’ils les vouvoient, précise Martine Beaupré. « On observe donc que la politique n’a rien changé, conclut-elle. Elle n’a pas détérioré les relations de travail. Par contre, il y a un petit moment d’arrêt avant de parler. On réfléchit peut-être un peu plus à ce qu’on va dire, mais dans un sens positif. Ça permet de prendre un peu de recul avant de parler. » Qui sait, d’autres CPE emboîteront peut-être le pas…

Marie-Claude Dion, journaliste indépendante

Source : Effectif, volume 8, numéro 3, juin/juillet/août 2005

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