Vous lisez : L'impartition en rémunération : choix ou contrainte?

Ce n’est un secret pour personne en gestion des ressources humaines, la rémunération a pris du galon auprès des dirigeants d’entreprise ces dernières années.

Il faut dire que le marché de l’emploi, avec la pénurie de main-d’œuvre tantôt réelle, tantôt appréhendée, a contribué à l’émergence d’un contexte propice à sa mise en valeur. Ainsi, parce qu’elles sont soucieuses d’attirer et de retenir des gens de talent, les entreprises portent un intérêt plus marqué à leurs stratégies et pratiques de gestion des ressources humaines. Mais disposent-elles en leur sein des ressources capables d’arrimer celles-ci, et plus particulièrement celles qui concernent la rémunération, aux stratégies d’affaires de l’entreprise de façon à se démarquer de la compétition ?

Depuis quelques années, les dirigeants d’entreprise confèrent un rôle plus stratégique à leurs pratiques de rémunération. Certains généralistes en ressources humaines sont même devenus, avec les défis à relever en rémunération, des spécialistes de la discipline. Il faut dire qu’il s’agit là d’un parcours usuel dans la mesure où nos universités ne produisent pas, à proprement parler, des professionnels qualifiés en rémunération et capables de relever de pareils défis dès leur entrée sur le marché du travail.

À ce propos, il s’avère que peu de diplômés s’intéressent assez à la rémunération pour y faire le saut, et cela, même si les possibilités d’emplois y sont plus nombreuses que jamais. Une des raisons plausibles est que la rémunération fait appel aux méthodes quantitatives et statistiques, alors que ceux qui s’inscrivent généralement au programme d’études s’intéressent davantage aux sciences humaines et au comportement organisationnel. Ainsi, bien que la demande de spécialistes soit forte, l’offre demeure relativement faible. En résulte alors une pénurie, qui a pour effet de rendre plus difficile, voire de remettre en question l’embauche de tels spécialistes par les employeurs.

Puisque le caractère stratégique de la rémunération continue de prendre de l’ampleur, d’autres avenues doivent nécessairement être envisagées... Parmi elles, on retrouve celle qui fait présentement sa niche en gestion des ressources humaines : l’impartition.

L’impartition en gestion des ressources humaines : au-delà du stade embryonnaire 
Pour bien des entreprises, la production de la paye a été la première activité à être impartie. Aujourd’hui, il est même plutôt rare qu’elle soit encore réalisée en interne. À titre indicatif, l’une des firmes les plus connues dans le domaine, ADP Canada, compte trente-sept mille clients et traite à elle seule la paye d’un employé du secteur privé sur quatre au pays. L’important virage effectué ces dernières années s’explique d’ailleurs, selon ADP, par le fait que les entreprises qui impartissent cette activité choisissent de se concentrer sur leurs activités principales et sur ce qu’elles savent le mieux faire. À en croire la tendance actuelle, force est d’admettre que ces activités n’ont décidément rien à voir avec la paye!

L’idée ayant fait son chemin à la suite d’une première expérience concluante, nombre de dirigeants d’entreprise ont pris conscience que plusieurs activités de type transactionnel de la fonction ressources humaines peuvent être imparties. Il s’agit là d’un constat important dans la mesure où plus de 75 % du budget de cette direction est justement affecté à la réalisation de telles activités… Et ce virage, comparable à celui de la paye, serait déjà amorcé. Certains affirment en effet que l’impartition de telles activités est en plein essor et qu’elle devrait continuer de croître à un rythme de 11 % à 20 % par année.

Cela dit, une grande partie des activités normalement prises en charge par le service des ressources humaines d’une entreprise peuvent être imparties (recrutement et embauche de personnel, rôle-conseil, administration des avantages sociaux, évaluation des emplois, vigie des salaires avec le marché). Mais pas nécessairement imparties à l’étranger afin de diminuer les coûts comme le veut la croyance populaire ! Certaines activités nécessitent en effet que les ressources affectées au client saisissent bien toutes les particularités de son contexte (lois du travail applicables par exemple). Un argument qui ne peut bien sûr être évoqué pour toutes les activités pouvant être imparties, comme le développement d’une solution intranet par exemple.

L’impartition de services en ressources humaines ne connaît en fait de limite qu’en ce qui concerne la prise de décisions stratégiques, comme c’est parfois le cas en rémunération (élaboration de la philosophie de rémunération, positionnement salarial par rapport au marché). On comprendra alors l’entreprise de vouloir garder le plein contrôle de cette activité, même si elle pourra consulter au besoin. Après tout, il est possible que la firme retenue pour les activités d’impartition détienne des ressources capables de l’orienter dans ses choix stratégiques. Ainsi, les entreprises qui se tournent vers l’impartition n’ont souvent plus besoin de maintenir une équipe, ce qui rend nécessaire la contribution de seulement quelques décideurs. De même, parce que la firme externe standardise autant que possible les procédés du client et qu’elle peut davantage compter sur des ressources interchangeables, le service s’en voit moins affecté lors de l’absence de l’une d’entre elles (congé de maternité par exemple).

Un attrait certain pour la rémunération
La rémunération requiert des connaissances techniques spécialisées détenues par une minorité de professionnels de la gestion des ressources humaines. De plus, la diversité des défis (comme la conception de plans de vente ou de programmes de bonis liés à la performance) exige parfois qu’une brochette d’experts s’y consacrent pour que l’entreprise tire son épingle du jeu. L’accessibilité à d’autres ressources qualifiées peut donc s’avérer très utile; plusieurs entreprises y recourent déjà pour combler leurs besoins en informatique, en avantages sociaux ou en régimes de retraite par exemple. Et pour les mêmes raisons, l’impartition en ressources humaines (et par ricochet en rémunération) devra avoir comme objectif d’offrir des services de meilleure qualité, plus rapidement et à moindre coût que s’ils étaient assumés par l’entreprise.

En plus de pouvoir compter sur une expertise de pointe en cas de besoin, l’impartition rend accessible une technologie qui serait autrement trop dispendieuse si elle était conçue et maintenue par l’entreprise (en considération notamment du caractère changeant des obligations légales et fiscales). Cela pourrait, par exemple, se traduire par l’implantation d’un site intranet à multiples applications ou d’un centre d’appels ouvert jour et nuit pour une entreprise de plus petite taille. En permettant ainsi aux employés d’avoir plus facilement accès à certaines informations, ces mesures pourraient accroître la satisfaction des employés. Un bienfait non négligeable, mais pourtant souvent oublié…

Dans le même ordre d’idées, les entreprises qui optent pour l’impartition de services en rémunération peuvent profiter d’outils informatiques pour faciliter la vigie des pratiques salariales sur les marchés de référence et positionner leurs propres pratiques par rapport à elles. La firme externe prend ainsi en charge les activités davantage opérationnelles (remplir les enquêtes salariales, recueillir et analyser les données de marché par exemple), en plus d’offrir des conseils sur divers aspects relatifs aux structures et stratégies de rémunération. Cette situation permet aux ressources internes de concentrer leurs efforts sur les activités plus stratégiques.

L’impartition de certaines fonctions de gestion des ressources humaines peut enfin s’avérer particulièrement avantageuse pour les entreprises qui ont adopté une stratégie de croissance par acquisitions. Le fait d’être associé à une firme externe peut alors rendre beaucoup plus efficace et rapide l’intégration des directions des ressources humaines et l’arrimage des pratiques de rémunération (en fonction des intérêts de la nouvelle entité).

Limites et considérations
L’une des principales limites concerne le retour en arrière une fois que l’entreprise a fait le grand saut… et signé un contrat à long terme. Il faut dire que ces contrats s’échelonnent souvent sur cinq à dix ans, étant donné que l’investissement est généralement considérable pour les firmes externes au cours des deux premières années. On comprendra que l’intégration des procédés pour en assurer une plus grande efficience ou l’introduction d’une plate-forme informatique desservant l’ensemble des points d’affaires de l’entreprise, par exemple, nécessitent effectivement un investissement important avant de devenir rentables.

L’impartition de services peut aussi rendre l’entreprise vulnérable face à la confidentialité de l’information à divulguer, d’où l’importance du sérieux et du professionnalisme de la firme externe retenue. Parmi ces informations, on fait bien sûr référence aux montants de salaire versés aux employés, mais aussi aux composantes des divers programmes de rémunération qui pourraient intéresser les compétiteurs (par exemple le plan de vente). Dans de tels cas, une entente de confidentialité signée par les ressources externes ayant accès à de l’information privilégiée peut certes être envisagée. Mais la question devient plus sensible lorsque l’employé de la firme externe est aussi au service des compétiteurs directs de l’entreprise… Or, cette possibilité est plutôt rare pour autant que l’impartition ait une large portée et que le professionnel soit affecté à un seul client. Dans cette optique, il est également possible, à court terme du moins, que l’équipe soit composée des professionnels du service des ressources humaines avant que l’entreprise ne se tourne vers l’impartition. En fait, ces derniers pourraient même continuer d’occuper les bureaux de leur ancien employeur maintenant devenu client!

Dans la mesure cependant où les ressources affectées au dossier n’occupent pas (ou plus) les locaux de leur client, certains défis sont bien sûr à prévoir. Parmi eux, notons la possibilité que les ressources se trouvent très rarement sur le site de l’entreprise et que cela ait pour effet de compliquer le partage de l’information et la synergie existant normalement entre les membres d’une même équipe. De même, ces ressources pourraient être appelées à servir d’autres clients, avec les conflits d’horaire ou de priorités que l’on peut imaginer. Aussi, les dirigeants ne doivent pas penser que la gestion des activités imparties disparaîtra pour autant, car ces ressources auront parfois besoin d’être orientées dans leur travail.

Conclusion
Dans la mesure où la rémunération continue d’être perçue comme stratégique par les dirigeants d’entreprise, la difficulté de recruter ou de développer des spécialistes en rémunération constitue sans contredit un incitatif supplémentaire pour impartir une partie plus ou moins importante des activités opérationnelles liées à la fonction. Mais il ne faudrait pas s’y limiter dans la mesure où plusieurs autres bonnes raisons pourraient inciter les entreprises à y recourir ! Cela dit, que ce soit par choix ou contrainte, l’impartition devient de plus en plus un incontournable en gestion des ressources humaines et en rémunération…

Éric Simoneau, M.Sc., CRHA, conseiller, Normandin Beaudry

Source : Effectif, volume 8, numéro 3, juin/juillet/août 2005

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