L’impartition en ressources humaines est un sujet attirant de plus en plus l’attention au Québec et qui, en même temps, suscite quantité d’émotions.
Pour certains, l’idée va tellement à contre-courant qu’elle frôle l’absurde. Pour d’autres, il s’agit d’une simple évolution, d’un changement de degré plus que d’un changement de nature, car la fonction ressources humaines impartit depuis longtemps des éléments de sa gestion tels que l’administration des régimes de retraite, la tenue et le traitement des dossiers d’assurance collective et le calcul de la paie.
Qu’on le veuille ou non, l’impartition de processus d’affaires en ressources humaines frappe à nos portes. Certains prétendent que la tendance actuelle annonce le changement à la fonction ressources humaines le plus important des trente dernières années. Afin de prendre position de manière éclairée sur ce changement important, il faut connaître et comprendre les nouveaux choix qui s’offrent dans l’organisation de services de gestion des ressources humaines. Nous présentons dans cet article la nouvelle forme que prend le concept d’impartition en ressources humaines. Nous en tracerons l’historique et les principales tendances qui se dessinent en Amérique du Nord.
De l’impartition à la transformation de la fonction ressources humaines
Le tableau de la page suivante présente les types d’impartition les plus souvent rencontrés. Dans une de ses formes les plus simples, l’externalisation implique la prise en charge d’un processus d’affaires par une firme externe détenant un savoir-faire spécifique. L’impartition du calcul et de la production de la paie est un exemple de ce mode d’impartition déjà bien répandu au sein des organisations québécoises.
Dans sa forme la plus élaborée, un seul partenaire (ou impartiteur) prend en charge la portion administrative et transactionnelle de plusieurs processus d’affaires, fournit les solutions technologiques nécessaires à la conduite de ces processus et reprend la gestion des contrats d’impartition déjà cédés à des firmes spécialisées. Cette impartition dite intégrée des processus, des applications et des fournisseurs est un concept récent et s’inscrit généralement dans une logique plus large de transformation de la fonction ressources humaines. Selon cette logique, l’impartition des processus d’affaires est un des principaux moyens permettant à la fonction de se dégager d’activités administratives au profit d’activités stratégiques apportant une réelle valeur à l’organisation.
En plus de céder l’administration de processus peu stratégiques, les projets de transformation de la fonction ressources humaines prévoient généralement une reconfiguration profonde de l’organisation et du modèle de services interne. Cette nouvelle configuration s’articule généralement autour de quatre axes :
- la mise en place d’un centre de services partagés en ressources humaines dont une part des activités est impartie;
- la création d’un nouveau rôle de généraliste en ressources humaines attaché aux branches d’activité;
- la constitution d’un centre d’expertise qui concentre le savoir-faire de l’entreprise;
- la mise en place d’une équipe de soutien dont une large part des activités est impartie et dont le rôle est de développer et de maintenir des technologies qui appuient les échanges d’information et les transactions.
Il est clair que les formes les plus avancées d’impartition proposées aux entreprises aujourd’hui s’inscrivent au sein de projets qui visent un meilleur alignement et une plus forte contribution stratégique de la fonction ressources humaines. Comme le souligne Dave Ulrich, cité dans le Magazine Workforce (janvier 2003), ce qui se passe essentiellement est que le domaine des ressources humaines se divise progressivement en deux parties.
La première comprend les activités administratives et transactionnelles qui deviennent de plus en plus automatisées et routinières et qui se transforment en des solutions libre-service ou en services livrés en impartition. La deuxième comprend le développement des objectifs organisationnels, la détermination des capacités internes nécessaires à leur atteinte et la mise en place de pratiques qui permettent à ces capacités de se réaliser. Ulrich parle donc d’impartition, mais parle davantage d’une révision en profondeur du rôle de la fonction ressources humaines.
Historique
Le concept d’une impartition intégrée de plusieurs processus d’affaires en ressources humaines a fait son apparition il y a cinq ans. Trois conditions essentielles étaient alors réunies et ont permis au concept de faire son chemin : la maturité, la performance et l’accessibilité des solutions technologiques qui rendent possibles l’automatisation et la prise en charge externe des activités de gestion des ressources humaines de l’entreprise ; la constitution d’une offre de services structurée et spécialisée dans l’impartition intégrée de processus d’affaires et la popularité grandissante des courants de pensées en rapport à l’alignement stratégique et à la transformation de la fonction ressources humaines.
Durant les quelques années précédant l’an 2000, plusieurs entreprises nord-américaines ont revu leurs systèmes et leurs applications de gestion interne. Du coup, le parc informatique de plusieurs organisations s’est rajeuni et s’est rétabli sur la base de technologies modernes et puissantes. Aussi, depuis cinq ans, les principaux fournisseurs de solutions technologiques en ressources humaines (des firmes comme SAP, PeopleSoft/Oracle, DLGL-VIP) ont massivement investi dans l’élaboration de solutions libre-service destinées aux employés, aux gestionnaires et à la gestion des centres de services en ressources humaines.
Une des caractéristiques de ces nouvelles solutions est qu’elles rendent possible la conduite des processus de l’entreprise via Internet par des chemins sécurisés. Il n’en fallait pas plus pour que plusieurs nouvelles entreprises (et d’autres déjà spécialisées en services de consultation dans le domaine) voient, dans les possibilités offertes par les technologies, l’opportunité d’optimiser et de prendre en charge à distance les processus d’affaires ressources humaines de leurs clients. Ce faisant, elles peuvent offrir à leurs clients la possibilité de réaliser des économies d’échelle et de bénéficier d’une expertise de pointe.
Le fait d’avoir les moyens (les technologies) et l’expertise (les nouveaux impartiteurs) n’aurait probablement pas suffi à enclencher la vague nord-américaine vers l’impartition. Le catalyseur se trouve probablement dans la force d’une simple idée, disséminée depuis le milieu des années 90, sous différentes formes, par plusieurs auteurs tels que Tom Peters, Dave Ulrich, Robert Kaplan et David Norton. Cette idée n’est rien d’autre que : les ressources humaines peuvent être une source de capital stratégique pour l’organisation. Toutefois, pour qu’elle le devienne, la fonction ressources humaines doit cesser d’administrer et plutôt rediriger ses efforts sur la planification et sur la gestion en lien avec les objectifs stratégiques de l’organisation et de ses secteurs d’activité.
Tendances
Les données les plus récentes en disent beaucoup sur les avancées du concept d’impartition intégrée de processus d’affaires en ressources humaines. En 2005, sur le plan mondial, on parle d’un marché de 4,6 milliards de dollars avec une croissance estimée à plus de 27 % pour les prochaines années. D’ici à 2009, selon une recherche fait par The Yankee Group (cité par Finfacts, 2005), les entreprises investiront plus de quatorze milliards de dollars par année dans la révision de leur modèle de services et dans l’impartition de leurs activités en ressources humaines. Pour mettre le tout en perspective, ces montants représentent aujourd’hui un sixième des cinquante-deux milliards de dollars dépensés annuellement par les entreprises en services de gestion externes (impartition spécifique, impartition intégrée, services-conseil).
Les Américains ont eu tôt fait d’adopter l’impartition et le courant de pensée en transformation des ressources humaines qui l’accompagne. Depuis le début, ce sont eux qui y investissent les trois quarts des sommes et, selon une enquête du Conference Board, HR Outsourcing : Benefits, Challenges and Trend (2004), ils sont plus enclins à adopter l’impartition comme mode de gestion des processus d’affaires en ressources humaines.
Les enquêtes récentes ne mesurent pas l’ampleur du phénomène au Canada et au Québec. Toutefois, des contrats majeurs d’impartition de processus d’affaires font les manchettes depuis quelques années. Air Canada est la dernière des entreprises canadiennes à avoir signé une lettre d’entente en vue de l’impartition intégrée de processus d’affaires, un contrat qui prévoit la livraison de services à plus de trente mille employés pour une durée de sept ans. La Banque CIBC, le Groupe financier BMO et Nortel ont eux aussi signé des ententes semblables au cours des dernières années.
Malgré l’absence complète de données précises sur la question, il est clair que l’adoption du concept d’impartition intégrée de processus d’affaires tarde au Canada en comparaison aux États-Unis et à l’Europe. Alors que, dans ces pays, de grandes et moyennes entreprises s’appliquent depuis déjà cinq ans à transformer la fonction ressources humaines et à impartir certaines fonctions non stratégiques, on commence tout juste à en entendre parler ici. Jusqu’à présent, seules quelques grandes entreprises s’y sont vraiment engagées au Canada.
De fait, la taille de l’entreprise joue certainement dans la décision d’impartir en raison des économies d’échelle que l’on peut en dégager. Toutefois, il ne s’agit pas du seul critère qui justifie le choix d’impartition. Le diagramme suivant, tiré d’une enquête menée en 2004 sur un échantillon de trente-cinq entreprises (dont quelques-unes sont canadiennes) montre que la volonté d’agir au plan stratégique, l’amélioration des services, la capacité de livrer des solutions plus complètes sont aussi parmi les facteurs qui entrent dans la décision d’adopter un modèle d’impartition.
Source : Towers Perrin, HR BPO Comes of Age: From
Expectations to Reality, Document d’enquête, 2004.
L’impartition d’activités transactionnelles et administratives à l’étranger, en matière de gestion des ressources humaines, vers des pays où les devises sont faibles et les salaires moins élevés, tels que l’Inde, le Mexique, la Pologne ou l’Espagne, représente probablement la prochaine frontière franchie par les entreprises aux activités transnationales à la recherche d’économies importantes. Pour le moment, il s’agit encore d’une piste remplie d’embûches. Les pressions politiques et sociales, les préoccupations sans doute légitimes autour de la qualité du service et les coûts cachés de transition et d’opération inhérents à de tels arrangements font en sorte que ce type de proposition demeure encore peu intéressant. Mais plusieurs parient que cela va changer rapidement. Les fournisseurs de services d’impartition en ressources humaines sont tous en train de mettre à l’essai et de stabiliser des infrastructures de services et de traitement dans ces pays et, d’ici quelques années, il est probable que les avantages purement financiers de ces propositions mènent de plus en plus d’entreprises à considérer sérieusement l’impartition étrangère.
À l’heure de la mondialisation, au moment où la fonction ressources humaines cherche à prouver et à réaliser sa contribution au bilan de l’entreprise, la transformation du modèle de service traditionnel intégrant une forme ou une autre d’impartition est maintenant une option qui permet à certaines entreprises de tirer un meilleur avantage compétitif.
Romain Charbonneau, CRIA, directeur de pratique, consultation stratégique, ARINSO Canada
Source : Effectif, volume 8, numéro 3, juin/juillet/août 2005