Le pouvoir de négociation ou « rapport de force » est l'un des éléments fondamentaux de toute négociation collective. La plupart des auteurs considèrent qu'il est au cœur même du processus de négociation collective et nécessaire à sa compréhension.
Voici la définition qu'en donne Gérard Dion dans le Dictionnaire canadien des relations du travail (1986, p. 357) :
« Capacité que possèdent les parties contractantes, dans une négociation collective, de faire triompher leur position. »
Il s'agit dans les faits de la capacité des parties prenantes à une négociation collective d'atteindre leurs objectifs. Cette définition apparaît plus à propos, par opposition à celle de Dion, puisque chaque partie doit tirer profit du résultat de la négociation collective et non triompher sur l'autre.
Le pouvoir de négociation étant au cœur de la négociation collective, il importe, dès le début de la préparation, de procéder à une analyse des divers éléments à considérer et de se livrer à une réflexion approfondie pour évaluer son pouvoir de négociation et celui, bien sûr, de l'autre partie.
Plusieurs éléments ou facteurs doivent être pris en considération et diffèrent selon qu'on négocie dans le secteur privé ou dans le secteur public. Dans son ouvrage intitulé Initiation à la négociation collective (2001), Jean Sexton souligne que ces facteurs sont généralement d'ordres financier, économique, psychologique et comportemental, socio-politique et résiduel.
Il n'existe pratiquement pas de limite quant aux facteurs qui peuvent être pris en considération, si ce n'est le degré d'imagination de l'équipe de négociation. Bien entendu, la pertinence des facteurs à considérer selon le secteur d'activité économique et le genre d'entreprise ou d'établissement constitue en soi la limite pour procéder à l'évaluation la plus juste possible.
Plusieurs de ces facteurs sont objectifs, tels la situation financière de l'entreprise, ses stocks, la clientèle, les projets de développement, la gouvernance, le coût de la vie, le taux d'emploi, les caractéristiques démographiques de la main-d'œuvre, etc. D'autres sont subjectifs comme les grandes tendances économiques, la réputation de l'équipe de négociation, ses personnalités et leurs objectifs personnels, et ainsi de suite.
L'évaluation du pouvoir de négociation est donc un exercice objectif et subjectif visant à identifier les facteurs qui influenceront la négociation. Cette analyse influencera, voire conditionnera au départ la stratégie de négociation à utiliser selon le contexte et l'environnement de cette négociation.
Une interrelation étroitePris isolément, le pouvoir de négociation ne veut rien dire et demeure très théorique. Ce pouvoir doit se traduire dans le concret en stratégies et tactiques qui seront utilisées pendant le processus même de la négociation collective, considérant la structure de négociation que les parties auront établie. Ces stratégies et tactiques influenceront à leur tour le pouvoir de négociation tout comme la structure de négociation influencera et sera influencée par le pouvoir de négociation ainsi que par les stratégies et les tactiques.
La négociation collective se réalisant dans un environnement en constante évolution et les stratégies et tactiques de négociation produisant leurs effets, le pouvoir de négociation doit être réévalué tout au long du processus de négociation. Il est donc évolutif et viendra à nouveau influencer les stratégies et les tactiques et même la structure de négociation.
Le dernier conflit à la Société des alcools du Québec illustre bien ce propos. La décision des membres du syndicat des employés de magasin et d'entrepôt de la SAQ, à savoir une affiliation à une centrale syndicale, n'avait d'autre motif que de renforcer leur pouvoir de négociation par un changement de structure interne. Cette décision a également eu un impact sur le pouvoir de négociation de l'autre partie. Cette dernière a dû réévaluer son propre pouvoir de négociation et revoir un certain nombre de facteurs qui, bien que potentiellement présents au début des négociations, ont évolué dans une direction fort probablement différente de celle qui avait été considérée au départ.
Cette nouvelle réalité a sans aucun doute amené les deux parties à modifier leurs stratégies et leurs tactiques qui, à leur tour, ont eu un impact sur leur pouvoir respectif de négociation. On constate par cet exemple non seulement le caractère dynamique et évolutif du pouvoir de négociation, mais également l'influence d'autres composantes essentielles à toute négociation collective, c'est-à-dire la structure et les stratégies et tactiques en négociation.
Cette dynamique d'interrelation est continue pendant tout le processus de négociation. Le tableau de la page suivante illustre cette interrelation dynamique appelée la trilogie de la négociation collective.
Cette illustration, extraite de l'ouvrage de Jean Sexton (p. 111), nous permet d'apprécier le caractère dynamique et les relations existantes entre les trois composants essentiels de toute négociation collective.
Le pouvoir de négociation est donc relatif et ne produit aucun effet tout seul. Il doit être mis en relation avec les autres composantes, particulièrement les stratégies et tactiques. Une partie peut posséder un grand pouvoir de négociation, mais l'affaiblir par des stratégies et tactiques non appropriées dans les circonstances. L'inverse est également vrai. Une partie qui a un faible pouvoir de négociation peut l'accroître par ses stratégies et tactiques.
Fondamentalement, il importe de se donner les moyens de démontrer un pouvoir de négociation adapté aux circonstances et tenant compte des objectifs poursuivis. En principe, si l'évaluation du pouvoir de négociation a été bien réalisée et revue à la lumière de l'évolution de la négociation et de l'environnement, celui-ci devrait se maintenir tout au long du processus et permettre aux parties d'atteindre leurs objectifs.
Négociation raisonnéePar rapport aux tendances actuelles, le concept de pouvoir de négociation est-il toujours d'actualité en matière de négociation collective basée sur les intérêts (NBI) ou négociation dite «raisonnée»?
Il n'y a aucun doute que le pouvoir de négociation demeure au cœur de toute forme de négociation collective. Même si on est en présence d'une négociation basée sur les intérêts, le concept de pouvoir de négociation devra toujours être pris en considération. Il importe de faire la différence entre «moyens de pression» et «pouvoir de négociation».
La capacité de convaincre l'autre partie du bien-fondé de ses objectifs demeure essentielle à tout processus de négociation, qu'il s'agisse d'une négociation dite de « position » ou d'une négociation «raisonnée». Par ailleurs, il va de soi que les stratégies et les tactiques seront fort différentes selon que l'on est en mode coopératif ou en mode conflictuel.
Ce qui importe fondamentalement dans tout processus d'évaluation du pouvoir de négociation ou « rapport de force », c'est de toujours se rappeler qu'on doit vivre ensemble au lendemain d'une négociation collective. L'objectif d'une négociation collective n'est pas de vaincre l'autre partie, mais de conclure une convention collective dans le respect des positions et objectifs de chacune des parties.
Le contexte actuel de mondialisation et de globalisation ainsi que les changements de plus en plus fréquents dans les milieux de travail ont introduit au cours des dernières années un mode de négociation collective pratiquement permanent. Dans ce contexte, le concept même de pouvoir de négociation des parties apparaît de plus en plus relatif et dynamique.
Cette mouvance quasi permanente devrait engendrer une relation différente d'une relation de pouvoir. Le respect, la confiance, la transparence, la coopération sont des valeurs qui doivent prendre le dessus. Pour y parvenir, il est essentiel que les ressources humaines soient considérées comme la principale richesse de l'entreprise et que leurs représentants soient reconnus et respectés.
Claude Hétu, CRIA, directeur adjoint au Syndicat canadien de la fonction publique
Source : Effectif, volume 8, numéro 2, avril/mai 2005