Vous lisez : Dix trucs de base vus par un négociateur syndical

Dans le cadre d'une négociation collective, un principe élémentaire est à retenir : l'employeur a tous les droits et chaque gain du négociateur syndical implique pour lui une concession de son droit de gérance. Céder sur un point peut parfois lui arracher le cœur; on doit donc faire en sorte que ce ne soit pas trop douloureux. Le négociateur syndical doit revenir à la charge en appliquant ses bons trucs jusqu'au moment où il sera considéré comme un véritable partenaire.

La négociation est une activité passionnante où l'erreur n'est pas permise, car elle se traduit inévitablement par un gain pour le vis-à-vis ou un renforcement de sa position. Tout comme lors d'une partie d'échecs, cette erreur suivra le négociateur et limitera sa latitude jusqu'à la fin. Dans un processus de négociation, il est rare qu'on n'ait pas le sentiment d'avoir trop concédé ou, à l'inverse, de n'avoir pas été assez exigeant. Ce sentiment, partagé par tous les intervenants à une table de négociation, est justement ce qui les attire à la table. Voici donc quelques conseils généraux utiles du point de vue syndical.

Préparez judicieusement la négociation
Plusieurs trucs peuvent conduire à une bonne négociation, mais aucun ne sera efficace sans une bonne préparation. Celle-ci demeure donc le premier conseil à retenir. Le résultat et le déroulement de la négociation seront directement proportionnels à la qualité de la préparation. Il est essentiel de bien maîtriser son mandat, de connaître les attentes des membres, leurs priorités et leurs objectifs, de bien cerner les enjeux de la négociation. Cette connaissance approfondie du dossier et du mandat qui vous est octroyé vous servira à jauger le moment propice de retrait ou d'insistance dans l'exercice du rapport de force. Il faut appliquer le même soin à connaître les enjeux, les priorités, les objectifs et les attentes de la partie adverse. L'employeur est-il préoccupé par un échéancier ? Doit-il conclure une entente dans un temps imparti pour connaître ses coûts afin de pouvoir décrocher un contrat et poursuivre sa croissance ? L'entreprise est-elle viable? A-t-elle la capacité de payer ? À quel point désire-t-elle la paix industrielle ?

Une bonne connaissance permet, lors de la négociation, d'évaluer si vous en «laissez sur la table» ou si vous avez exercé le rapport de force de façon optimale. Elle vous permet également de bien cerner les intérêts de la partie adverse et d'ajuster vos demandes et contre-propositions en fonction de certaines attentes.

Déterminez si le moment est propice
Le moment propice pour entamer la négociation constitue en soi un truc, car il peut à lui seul rallier la partie adverse à vos demandes et vous épargner ainsi une série d'arguments. Une bonne préparation et une connaissance adéquate du dossier permettent d'analyser et d'évaluer le moment opportun, durant la période permise, pour déclencher la négociation en vue du renouvellement de la convention collective. Par exemple, il est préférable d'entamer une négociation au lendemain du dévoilement d'un chiffre d'affaires croissant plutôt que la veille, c'est bien évident. Vous devez donc vérifier les dates où l'entreprise dévoile ses résultats financiers et voir s'il est possible d'en tirer un avantage. L'employeur, de son côté, peut ajuster le moment ou le rythme de la négociation avec les périodes d'élection des dirigeants syndicaux. Un changement d'acteurs peut parfois être interprété comme bénéfique pour la partie patronale.

Analysez vos vis-à-vis
Mandatez un membre du comité de négociation pour observer les réactions de la partie adverse. Le langage non verbal est très significatif et révélateur de la pensée de vos vis-à-vis. En tenant compte de cet aspect, vous pourrez utiliser d'autres termes ou modifier votre approche afin que la partie adverse soit plus réceptive à vos arguments. Il faut toujours étudier la réaction de ses vis-à-vis lorsqu'on modifie ses expressions ou son approche, et ce, afin de vérifier si le discours semble plus rassurant et plus accueillant. N'oubliez pas que négocier, c'est échanger, dialoguer, convaincre, rallier son vis-à-vis. Adaptez-vous à votre interlocuteur, n'hésitez pas à ajuster votre discours en fonction de son degré de compréhension. Prenez les moyens nécessaires pour vous faire comprendre en utilisant, par exemple, des cas concrets qui s'appliquent à l'entreprise. Lorsque vous défendez de grands principes, rattachez-vous à des expériences vécues et à une réalité locale qui, par le fait même, sécurisent les acteurs autour de la table et permettent de visualiser l'impact et l'application concrète « dans notre cour ». Reformulez dans vos mots les réponses données par votre interlocuteur afin de vous assurer que tous les intervenants comprennent et en donnent le même sens.

Retirez-vous pour mieux revenir
N'ayez pas peur de prendre du recul et de demander une pause, que ce soit pour faire le bilan, mieux orienter votre stratégie (quitte à la repenser) ou simplement vous calmer. La négociation a un caractère de confrontation et il se peut que vous utilisiez ces temps d'arrêt pour vous ressaisir, car certains arguments et dires de vos vis-à-vis sauront « venir vous chercher ». Il est indéniable que toutes les parties à une table de négociation croient fermement en leurs arguments et en leur position. Ce sont tous des professionnels qui ont à cœur les intérêts de la partie qu'ils représentent. Néanmoins, ne personnalisez jamais le débat, car vous courrez directement à la confrontation, qui est malsaine et met un frein à la créativité. Insistez pour que le respect soit la valeur de base partagée par tous à la table de négociation.

Influencez et façonnez la perception
Tentez d'identifier les demandes et les offres qui suscitent le plus d'intérêt et soulèvent le plus de préoccupations chez la partie adverse. Au cours de la négociation et selon l'évolution du dossier, identifiez celles dont vous seriez prêts à vous départir afin de donner l'impression que vous concédez un élément majeur. Il est alors essentiel de laisser croire et de souligner qu'il s'agit d'un gain important pour la partie adverse. Évidemment, ce « truc » ne s'applique pas à la première séance de négociation, mais vous constaterez au cours de la négociation que certains acquis ou demandes peuvent être abandonnés en raison de changements organisationnels ou par le simple écoulement du temps qui modifie les rapports. À titre d'exemple, votre convention collective prévoit un effectif minimum par équipe de travail et une fusion est sur le point de se réaliser. Vous savez que la fusion apportera assurément une augmentation du nombre d'employés par équipe de travail. Vous avez ici un changement organisationnel et une réorganisation du travail qui rendront le nombre minimal d'employés par équipe non applicable dans la nouvelle réalité. Une partie peut très bien renoncer à cette clause sachant qu'elle ne trouvera plus d'application d'ici peu, une fois la fusion réalisée. Cependant, voyez à ce que l'abandon de cette clause soit interprété comme un gain pour la partie adverse. Pour ce faire, soyez sélectif et prévoyez une mise en scène durant plusieurs séances. Si c'est trop évident, ce sera de l'amateurisme et personne n'adoptera l'idée d'un gain. Il en va de votre crédibilité.

Calculez le coût de vos demandes
Faites le calcul des clauses à incidence financière. Il est très important de connaître avec exactitude le coût de l'ensemble de vos demandes, car il vous sera ainsi plus facile de « naviguer » à l'intérieur de l'enveloppe budgétaire de l'employeur. Certaines demandes financières peuvent paraître importantes pour les membres. Cependant, en faisant le calcul, vous constaterez souvent que, malgré les attentes suscitées, elles représentent peu et qu'il est préférable d'orienter votre énergie et votre argumentation sur d'autres demandes ayant une incidence plus significative et à plus long terme. Privilégiez les clauses qui ont un effet exponentiel. Utilisez la pondération des augmentations afin de modifier leur incidence sur le résultat escompté. Ceci vous permettra d'utiliser à leur maximum toutes les sommes contenues dans l'enveloppe budgétaire.

Tentez de reporter la mise en application ou le retrait de certaines bonifications et augmentations à la dernière journée de la convention collective, les parties y trouvent souvent leur compte pour des raisons différentes. L'employeur, pour des raisons politiques ou financières, préfère l'application de la convention collective à la toute fin de la période de renouvellement, ce qui lui permet d'attribuer l'augmentation de la masse salariale à un autre exercice financier. Pour les membres, bien que la mise en vigueur soit reportée, il s'agit d'un gain, d'un précédent qui peut dès lors être considéré comme acquis.

Inspirez la confiance, soyez sûr de vous
Démontrez que vous avez un mandat fort et clair. Lorsque vous vous prononcez, assurez-vous qu'il n'y ait pas d'ambiguïté, car vous vous engagez au nom de l'assemblée. Faites sentir à votre interlocuteur que votre humeur et votre attitude sont représentatives de celles de vos membres. Une fois que la partie patronale est convaincue de votre authenticité et que sa position semble inconciliable avec la vôtre, ne perdez pas une occasion de lui rappeler qu'il est heureux que les membres ne soient pas présents pour entendre un tel discours qui discrédite ou nie la juste valeur de leur apport à la bonne marche de l'entreprise. Vous trouverez toujours chez vos vis-à-vis un représentant plus sensible aux revendications des membres.

Gardez les irritants majeurs pour la fin
Abordez toujours la négociation des clauses à incidence financière à la fin. Certaines clauses se buteront à de grandes réticences ; soyez patient, reportez-en la discussion à plus tard. L'approche d'une entente de principe ou d'un conflit de travail peut apporter un éclairage nouveau à la négociation et modifier la tension du moment. Il est toujours possible qu'une offre qui vous semblait inacceptable plus tôt vous apparaisse tout à coup acceptable.

Gardez en tête que, le lendemain, les gens travailleront ensemble
Dans un processus de négociation, il faut savoir « lâcher le morceau à temps ». Cela ne s'apprend pas, cela se vit, parfois différemment en fonction de l'expérience de chacun. Bien que cela puisse être difficile, tentez de laisser l'impression à vos vis-à-vis que vous avez « lâché le morceau » en tant que bon négociateur tenace et non en tant que négociateur acharné. Ce goût amer laisse parfois des marques indélébiles et vos interlocuteurs peuvent avoir l'impression d'avoir perdu la face. Pour un gain banal, vous serez attendu de pied ferme lors du prochain renouvellement d'une convention collective et cela teintera le climat à la table. La négociation est un processus durable, en constante évolution. Soyez conscient que vous devez évoluer au même rythme et tentez d'être à l'avant-garde.

Rien n'est jamais final
Trop souvent, on entend l'expression que l'offre est « globale et finale ». Soyez avare de ce terme et dites-vous que rien n'est final. Gardez toujours à l'esprit que les parties veulent conclure une entente négociée et que toutes les solutions viables seront retenues pour dénouer une impasse. Devant une utilisation trop grande de ce moyen de persuasion, retirez-vous de la table et laissez vos vis-à-vis porter l'odieux. Une brève période de réflexion saura les ramener à la table de négociation et, cette fois, votre créativité jumelée à la leur vous conduira vers un règlement à la satisfaction de tous.

Denis Côté, CRIA, président de la Fédération des policiers et policières municipaux du Québec

Source : Effectif, volume 8, numéro 2, avril/mai 2005

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