Vous lisez : Les jeunes travailleurs : plus à risque

Les jeunes se blessent davantage que les autres travailleurs. En effet, selon les données compilées par la CSST, le taux de fréquence des lésions professionnelles, calculé avec des effectifs en équivalent temps complet (ETC), se situe à 3,7 % chez les 25 ans et plus alors qu’il atteint 5,8 % chez les 15 à 24 ans. Au Québec, chaque année, en moyenne vingt-quatre mille travailleurs de 24 ans ou moins ont déclaré une blessure au travail et douze y ont perdu la vie.

L'analyse des données d’accidents révèle que, dans la forte majorité des cas, les jeunes sont victimes de blessures traumatiques aux muscles ou de plaies qui touchent une fois sur deux le dos ou les mains. On note de plus une légère hausse des accidents rapportés pendant l’été pour ce groupe d’âge, en raison de sa présence accrue sur le marché du travail pendant cette période. La préoccupation pour la santé et la sécurité des jeunes doit, cependant, se poursuivre toute l’année.

Plusieurs facteurs expliquent les différences significatives entre les générations de travailleurs quant aux accidents et maladies du travail.

L’exposition aux contraintes de travail
Des études démontrent que les travailleurs de 24 ans et moins sont plus exposés à certaines contraintes du travail, notamment parce que les employés qui ont plus d’ancienneté dans l’entreprise peuvent choisir des tâches moins risquées. Au Québec, l’Enquête sociale et de santé de 1998 (ESS-98) a fait ressortir que les jeunes sont plus touchés que les adultes par les quatre principales contraintes identifiées dans les milieux de travail, soit les horaires irréguliers, le travail répétitif, la manutention de charges lourdes et les efforts sur outils. À partir des données de cette enquête, des chercheurs de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST) ont découvert que les jeunes cumulent souvent plusieurs contraintes d’organisation (horaire irrégulier, horaire de nuit, faible rémunération) ou physiques (travail répétitif, efforts, manipulation d’objets lourds, bruit, solvants, vibration, machine, poussières) dans leur emploi (voir tableaux ci-dessous).



L’exposition aux facteurs de risques du travail, particulièrement le cumul de contraintes, constitue sans doute un élément majeur dans l’explication du phénomène des accidents chez les jeunes.

Les jeunes ont généralement peu de contrôle sur leurs conditions de travail et n’osent pas poser de questions. Toutefois, l’employeur a la responsabilité de s’assurer que ses employés travaillent dans un milieu de travail sain et sécuritaire et de fournir des équipements de protection individuels, le cas échéant. Et les travailleurs étudiants, saisonniers, temporaires ou ceux qui occupent un emploi à temps partiel doivent bénéficier des mêmes droits que les autres employés. Rappeler aux jeunes que leur superviseur est ouvert aux questions, inviter les travailleurs à déclarer les incidents et accidents, identifier les personnes à contacter en cas de besoin, expliquer les mécanismes de participation (comité de santé et sécurité) sont des éléments qui doivent faire partie d’un programme d’intégration en emploi. Selon une enquête Ipsos-Reid réalisée en 2003, le superviseur est une personne-clé en santé et sécurité du travail, les jeunes s’adressent à lui et lui accordent beaucoup de crédibilité.

Des chiffres qui parlent…
  • En  moyenne, une soixantaine de jeunes se blessent au travail chaque jour et un jeune meurt au travail à chaque mois.
  • En considérant le temps travaillé, le taux de fréquence des accidents du travail des jeunes est 1,5 fois plus élevé que chez les 25 ans et plus.
  • Un accident sur deux arrive dans les six premiers mois d’un nouvel emploi.

Le manque de formation
On attribue souvent au manque d’information et de formation à la tâche le taux de fréquence élevé d’accidents du travail chez les 24 ans et moins. Pour faire ce constat, on considère que, s’ils adoptent des comportements non sécuritaires au travail, c’est qu’ils ne connaissent pas les bonnes méthodes. Toutefois, l’expérience démontre que, si la connaissance est essentielle à ce niveau, elle n’est pas suffisante. Prenons l’exemple des jeunes fumeurs qui connaissent les dangers liés à l’utilisation de la cigarette et qui continuent à fumer. On doit admettre qu’il existe d’autres déterminants fort influents dans l’explication des comportements des individus.

Plusieurs modes de transmission de connaissances et d’acquisition de compétences sont utilisés pour rendre les gens aptes à accomplir leurs tâches de façon sécuritaire. Dans le domaine de la santé et de la sécurité du travail, la formation des travailleurs est privilégiée. Elle est d’ailleurs obligatoire et inscrite dans la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Mais il est généralement admis qu’un programme de formation doit être accompagné de certains éléments pour avoir un impact: engagement de la haute direction, présence d’outils d’analyse et surveillance des risques, contrôle et prévention des dangers et mise en place d’un programme d’évaluation. Par exemple, pour diminuer les accidents liés à la conduite de chariots élévateurs, il faut considérer, outre la formation des caristes, l’entretien préventif, les limites de vitesse, la signalisation, la cadence de travail exigée, etc. Or, plusieurs entreprises investissent beaucoup d’argent, de temps et de ressources pour former leurs travailleurs, sans s’interroger sur l’efficacité de leurs démarches et sans remettre en cause les méthodes de travail enseignées et leur applicabilité. On ne tient pas assez compte du fait que les jeunes sont très sensibles à une approche participative et interactive concernant la formation. Il est important de bien analyser les besoins de formation, d’adapter la forme à la clientèle et de faire un suivi.

De plus, le contexte et le climat dans lesquels est donnée la formation influencent sa valeur. Par exemple, les employés peuvent percevoir que la véritable intention de l’employeur est de les culpabiliser ou de leur transférer sa responsabilité. Il faut savoir identifier les leaders informels et les groupes d’influence : il peut être rentable de les convaincre d’adopter un bon comportement et ne pas accepter qu’ils le dénigrent. Et c’est particulièrement vrai pour les jeunes. De fait, il est très difficile de leur faire respecter une consigne de sécurité si les leaders et les superviseurs ne la suivent pas. Il en va de même lorsque l’application de la consigne fait en sorte qu’ils paraissent ridicules (par exemple le port de lunettes démodées).

Par ailleurs, notons que des accidents du travail peuvent survenir alors que les travailleurs n’effectuent pas les tâches auxquelles ils ont été affectés et pour lesquelles ils ont été formés.

Les attitudes et comportements des jeunes
La personnalité des jeunes travailleurs constituerait un important facteur de risque d’accident du travail. Cette variable renvoie au manque d’attention, à l’insouciance et à la distraction potentiellement liés au développement cognitif en croissance des jeunes. Elle fait aussi référence aux traits de caractère tels que la recherche de sensations fortes et la tendance à vouloir transgresser les règles. Par ailleurs, des études mettent en évidence une plus grande détresse psychologique chez cette clientèle. Il faut aussi comprendre que les jeunes ne constituent pas un groupe homogène.

Cependant, il y a peu de recherches qui traitent spécifiquement du lien entre les accidents du travail chez les jeunes et leur personnalité. Il est donc prématuré de tirer des conclusions. La prudence est de mise, surtout si on considère que le fait d’attribuer les accidents du travail au manque de maturité des jeunes renforce les préjugés à leur égard, en plus de contribuer à dégager les employeurs, gouvernements et organismes de leur responsabilité de rendre les milieux plus sécuritaires. Cela dit, il importe de juger de la capacité et des connaissances des travailleurs avant de leur confier une tâche qui comporte des risques, notamment la manœuvre d’une machine dangereuse.

Le manque d’expérience
Étant donné qu’ils changent fréquemment d’emploi, une forte proportion de jeunes comptent peu d’ancienneté chez leur employeur. L’enquête de la population active de Statistique Canada, réalisée en 2003, révèle qu’un tiers des Québécois de 15 à 24 ans occupent leur poste depuis moins de six mois et la moitié depuis moins d’un an. La courte durée en emploi et le manque d’expérience expliquent en partie le taux très important d’accidents dans les premiers mois d’un nouvel emploi chez les jeunes travailleurs. Une étude menée par le Workers Compensation Board of British Columbia indique que 54 % des accidents surviennent dans les six premiers mois d’un nouvel emploi chez les 15-24 ans, alors que cette proportion baisse à 29 % chez les travailleurs plus âgés. Des chercheurs de l’Institut de recherche sur le travail et la santé de l’Ontario affirment, quant à eux, que tous les travailleurs, indépendamment de leur âge, ont de cinq à sept fois plus de risques de se blesser au cours du premier mois de leur emploi. Ces données préoccupantes mettent en évidence l’importance de l’intégration à l’embauche des travailleurs et particulièrement des jeunes.

Certains auteurs expliquent le taux d’accidents du travail plus élevé chez les jeunes par le fait qu’avec les années, les travailleurs quittent les emplois auxquels ils ne sont pas adaptés physiquement ou psychologiquement. Ceux qui demeurent dans leur poste auraient des caractéristiques personnelles favorables (healthy workers effect). Parallèlement, des études récentes menées par une équipe de chercheurs de l’IRSST ont fait ressortir l’effet protecteur de l’expérience du travail, particulièrement des stratégies individuelles et collectives acquises en cours d’emploi, et les facteurs favorisant la transmission des savoirs entre les générations. Il faudrait donc, pour tenir compte de ce facteur, mettre en œuvre des processus qui facilitent le transfert d’expertise, comme le jumelage des nouveaux travailleurs avec des personnes plus expérimentées. Le compagnonnage ne remplace toutefois pas la formation formelle que tout nouveau travailleur doit recevoir.

Le manque d’encadrement et de supervision
Le manque d’encadrement est un élément qui ne semble pas d’emblée lié particulièrement à la jeunesse. Or, puisque la moitié des jeunes travaillent dans des entreprises de vingt travailleurs ou moins qui ne sont pas nécessairement organisées en matière de prévention (conseiller en prévention, comité de santé et sécurité du travail, syndicat, etc.), on peut se demander si les jeunes sont encadrés adéquatement. De plus, on sait que ces derniers travaillent souvent seuls (travail de nuit, etc.).

Les jeunes n’entretiennent pas le même rapport à l’autorité que la génération précédente. Ainsi, il ne suffit pas de leur imposer quelque chose pour qu’ils le fassent. Les employeurs doivent gagner le respect de leurs employés pour espérer les voir adopter un comportement. Les jeunes de la génération actuelle ont évolué dans un contexte de constante négociation et demandent à être convaincus. Ils ne se contentent pas de réponses faciles et veulent être impliqués dans les décisions. Si cette attitude peut être considérée comme une barrière en gestion de la prévention, il peut toutefois en aller autrement. De fait, sans être docile, cette génération semble être plus encline à modifier ses habitudes et à se soumettre à la solution si celle-ci est décidée collectivement et bien sûr justifiée.

Pourquoi cibler les jeunes?
Les entreprises auraient intérêt à considérer les jeunes dans leurs programmes de prévention non seulement parce qu’ils sont plus à risque, mais parce qu’ils sont au début de leur parcours professionnel et qu’ils ont des valeurs, des motivations et des modes d’apprentissage différents. Les employés de la nouvelle génération ne forment toutefois pas un groupe homogène. Ils ont, en général, accès à beaucoup d’informations, ils sont plus scolarisés et savent apprendre. Ils n’ont pas le même attachement à l’entreprise, ni les mêmes attentes que leurs collègues plus âgés. Ils recherchent constamment de meilleures conditions de travail et sont en mesure de choisir. Le bilan de santé et sécurité du travail de l’organisation sera sans doute davantage déterminant sur ce plan et les entreprises auront à s’adapter pour retenir les jeunes travailleurs qui seront de plus en plus convoités.

Il est clair que l’approche avec les jeunes doit être différente de celle qui est adoptée avec les adultes; par contre, la démarche est similaire. Il faut se rappeler qu’il n’y a pas de cause unique aux accidents du travail. Les accidents surviennent dans un contexte global et, pour les éviter, il faut viser la cohérence entre les éléments internes à l’organisation (individus, tâches, organisation formelle et informelle) et les éléments de l’environnement (disponibilité des équipements, lois et règlements, etc.).

Dire que les jeunes se blessent davantage ne signifie pas qu’être jeune constitue un facteur de risque. En comprenant bien les causes des accidents chez les jeunes, on arrive à mieux cibler ses actions et surtout on évite d’agir seulement sur la composante «individu» du système.

Besoin de soutien?
La CSST offre du soutien aux entreprises, notamment pour mieux intégrer leurs jeunes travailleurs. Elle offre gratuitement les services de l’Escouade jeunesse durant la période estivale pour renforcer les mesures prises par l’employeur. L’Escouade jeunesse est constituée de jeunes qui parlent à d’autres jeunes de prévention dans le milieu de travail.

Pour en savoir plus : (514) 905-3939
escouade.jeunesse@csst.qc.ca 


Principales contraintes de travail selon le groupe d’âge 15 – 24 ans 25 ans et plus
Horaires irréguliers 35,0% 30,1%
Travail répétitif 30,1% 19,4%
Manipulation de charges lourdes 27,3% 17,6%
Efforts sur outils 23,1% 16,9%
Travail de nuit 13,6% 12,7%

Les quatre principales contraintes sont les mêmes pour les deux groupes d’âge. Le total dépasse 100%, car un travailleur peut être exposé à plusieurs contraintes.

Source : Institut de la statistique du Québec, Enquête sociale et de santé (1998) traitée par IRSST (2004)

Guillaume Fournier, CRIA, chargé de projet à la Direction action jeunesse, CSST

Source : Effectif, volume 8, numéro 1, janvier/février/mars 2005

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