La rémunération est un facteur important d'attraction et de rétention du personnel, surtout en contexte de pénurie appréhendée de main-d'œuvre qualifiée. C'est pourquoi les dirigeants de PME ressentent le besoin de structurer la rémunération, tout en craignant parfois de s'imposer un cadre de gestion trop rigide. Comment peuvent-elles s'assurer d'offrir des salaires à la fois équitables, compétitifs et stimulants sans se doter d'un carcan?
Dans cet article, nous présentons une intervention représentative et réelle auprès d'une PME du secteur manufacturier comptant soixante-quinze employés, que nous appellerons fictivement « OMÉGA inc. ».
Le contexte
Il y a trois ans, OMÉGA inc. s'est retrouvée, comme bon nombre d'organisations, dans l'obligation légale d'entreprendre une démarche d'équité salariale. Peu enthousiaste, mais soucieuse de respecter un processus rigoureux, elle nous a demandé de la guider dans sa démarche. Ainsi, après avoir identifié une vingtaine de catégories d'emplois à prédominance féminine ou masculine, elle s'est dotée d'un système analytique d'évaluation des emplois composé de onze critères pondérés regroupés sous quatre grands facteurs : les connaissances et habiletés requises, les responsabilités, les efforts et les conditions de travail.
L'application de la pondération de chacun des degrés de ces critères (par exemple : autonomie importante au travail = 70 points) a permis d'attribuer à chaque emploi, à partir d'une description suffisamment précise de ses tâches et responsabilités, une valeur globale (par exemple : technicien comptable = 390 points) et d'établir par la suite une hiérarchisation des vingt emplois, selon la valeur globale attribuée à chacun. C'est au moment d'inscrire pour chaque emploi le taux maximum de salaire applicable, que la direction a pris conscience de plusieurs iniquités internes entre les emplois et qu'elle a décidé de profiter de l'occasion pour revoir en profondeur sa structure salariale actuelle.
Les classes salariales
Les postes ainsi évalués ont par la suite été regroupés par classes, selon leur nature et le résultat de l'évaluation des postes. On en retrouve généralement de cinq à dix dans une PME; dans le cas présent, les vingt postes furent répartis en neuf classes salariales structurées de la façon suivante :
|
Évaluation des postes |
Classes |
|
Support à la production |
65 |
175 |
1 |
• Production niveau 1 • Commis niveau 1 |
176 |
250 |
2 |
• Production niveau 2 • Commis niveau 2 |
251 |
325 |
3 |
• Production niveau 3 • Commis niveau 3 • Technicien niveau 1 |
326 |
400 |
4 |
• Technicien niveau 2 |
401 |
475 |
5 |
• Technicien niveau 3 • Coordonnateur niveau 1 • Professionnel niveau 1 |
476 |
550 |
6 |
• Coordonnateur niveau 2 • Professionnel niveau 2 |
551 |
625 |
7 |
• Professionnel niveau 3 • Directeur niveau 1 |
626 |
700 |
8 |
• Directeur niveau 2 |
701 |
775 |
9 |
L'étape suivante visait à déterminer une échelle ou fourchette salariale minimum-maximum pour chacune des classes, de sorte que les emplois d'une même classe soient rémunérés en fonction d'une même échelle. Pour y parvenir, nous nous sommes basés sur trois types de données : les pratiques salariales actuelles de l'entreprise, les données issues d'enquêtes salariales récentes produites par des firmes d'actuaires et une enquête salariale sur mesure réalisée à ce moment auprès d'entreprises comparables. Les données ainsi recueillies sur les salaires de base, les primes versées et certains avantages sociaux ont permis de dégager un portrait assez précis des écarts observables entre les pratiques actuelles et celles du marché, en matière de rémunération horaire globale.
Les échelles salariales
Le choix de recourir à des échelles ou fourchettes salariales minimum-maximum découlait de la volonté de l'entreprise d'améliorer non seulement l'équité interne entre les emplois, mais également l'équité individuelle entre les employés d'une même classe d'emploi. On visait aussi par cette mesure à fournir aux gestionnaires un guide pour simplifier le processus de révision annuelle des salaires qui s'avérait un exercice lourd qu'ils n'appréciaient guère. Dans cette PME, nous avons proposé une structure où l'écart entre le minimum et le maximum des échelles salariales varie de 7 % à 20 % de la médiane, selon les échelles, l'écart étant plus important dans les classes d'emplois supérieures. De même, chacune des classes est constituée d'échelons de rangement qui permettent de positionner les employés dans les échelles en fonction de leur expérience reconnue et de leur rendement. Le nombre d'échelons varie en fonction de l'étendue de l'échelle salariale, l'écart inter-échelons constant se situant entre 2,5 % et 3,5 %. Ainsi, la classe 1 de OMÉGA inc. comporte cinq échelons, alors que les autres classes en comportent sept, neuf, onze ou treize selon le cas. Voici, à titre d'exemple, l'échelle de la classe 4 qui comporte un écart mini-maxi d'environ 10 % de la médiane :
Échelon 1 |
|
|
|
Médian |
|
|
|
Échelon 9 |
12,75$ |
13,07 $ |
13,40 $ |
13,73 $ |
14,07$ |
14,43 $ |
14,79$ |
15,16$ |
15,53 $ |
Le positionnement individuel dans les échelles
Une politique de positionnement des employés dans leur échelle de rémunération a également été définie, afin de simuler le coût d'implantation de la nouvelle structure salariale et de situer chacun des employés à un endroit précis dans l'échelle salariale correspondante. Elle a également permis de définir des règles de positionnement salarial lors de l'embauche d'un nouvel employé. Bien qu'elle laisse place au jugement de l'employeur, cette politique est essentiellement basée sur le calcul de l'expérience reconnue, qui tient compte aussi bien de l'expérience acquise antérieurement que de celle acquise au sein de l'entreprise, de même que de la formation, lorsque celle-ci excède ou est inférieure à celle qui est exigée par l'emploi.
La politique de révision des salaires
Pour cette PME, le budget annuel de révision salariale consenti à chaque individu sera constitué :
- d'un ajustement périodique des échelles salariales au marché qui se fait généralement une fois par année;
- d'une portion imputable au mérite de l'individu qui lui permet de monter dans son échelle salariale.
Ce budget pourra être versé partiellement ou totalement en augmentation de salaire ou sous forme de montant forfaitaire, selon le rendement et l'évolution de l'individu dans son échelle.
L'ajustement périodique des échelles
Les trois principaux critères retenus par OMÉGA inc. pour réaliser l'ajustement annuel de ses échelles salariales sont les suivants :
- la progression de l'indice des prix à la consommation (IPC);
- les pourcentages moyens d'augmentation de salaire consentis par des entreprises manufacturières de taille comparable dans la région; les repères sont des enquêtes sectorielles réalisées par des associations de fabricants (par exemple l'AFMQ), les prévisions de révisions salariales réalisées chaque année par les principaux cabinets spécialisés en enquêtes salariales et le répertoire des conventions collectives du ministère du Travail, etc.;
- la performance financière de l'entreprise.
L'ajustement annuel est exprimé en pourcentage; il est déterminé par la direction à la suite des recommandations reçues et il varie généralement de 0,5 % à 2,5 % dans une situation économique normale. Certaines échelles peuvent augmenter plus que d'autres pour tenir compte de problématiques de pénurie de main-d'œuvre et de rétention de personnel clé.
La révision annuelle des salaires individuels
Le salaire de base versé à un employé pourra donc progresser en fonction de son mérite et de l'ajustement périodique des échelles salariales. Ainsi, un budget de révision basé sur l'appréciation du rendement individuel a été défini comme suit :
Budget de révision salariale selon la cote d’appréciation du rendement |
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0 |
1 |
2 |
3 |
4 |
5 |
Classes 1 à 4 |
0 % |
0 % |
1 % |
2,5 % |
4 % |
5,5 % |
Classes 5 et + |
0 % |
0 % |
2 % |
3,5 % |
5 % |
6,5 % |
Au pourcentage déterminé ci-dessous, s'ajoute donc le pourcentage d'ajustement d'échelle. Par exemple, pour l'année 2003, un employé de la classe 4 dont le rendement était supérieur aux attentes (niveau 4) a eu droit à une augmentation totale de 6 %, soit 4 % pour son rendement et 2 % en raison de l'ajustement de son échelle salariale. L'entreprise a choisi de verser 4,5 % en augmentation de salaire pour assurer l'évolution d'un échelon et de verser 1,5 % en montant forfaitaire. Un autre employé de la classe 4, dont le salaire était supérieur au maximum de l'échelle, a reçu la totalité de son budget de révision salariale en montant forfaitaire.
Communication aux employés
La structure salariale et la politique de révision des salaires doivent être des outils de gestion rigoureux mais souples. OMÉGA inc. a jugé important de bien expliquer aux employés les principes qui sous-tendent la structure salariale et le contenu de la politique de révision, sans toutefois se sentir obligée de diffuser les échelles salariales, pour des raisons de sécurité face à la concurrence et de flexibilité d'application.
OMÉGA inc. a donc fait d'une pierre deux coups. Non seulement sa démarche d'équité salariale lui a permis de corriger certaines iniquités dont étaient victimes quelques catégories d'emplois à prédominance féminine tout en respectant ses obligations légales, mais elle lui a également permis de revoir l'ensemble de sa structure et de ses pratiques salariales. Ce faisant, l'entreprise s'est dotée d'un outil de gestion précieux qui permet à ses dirigeants de se sentir plus à l'aise pour prendre et, surtout, pour expliquer leurs décisions en matière de rémunération. La structure salariale et la politique de révision annuelle des salaires élaborées conformément aux principes directeurs en matière d'équité interne permettent à OMÉGA inc. d'assurer le maintien de l'équité salariale au sens de la loi. Parallèlement, les employés ont acquis le sentiment que les décisions de la direction sont réfléchies et appliquées équitablement avec rigueur, ce qui ne peut que les rassurer.
Michel Paquet, CRHA est conseiller, ressources humaines et Pascale Scalabrini, CRHA est directrice générale chez GRH-Ressources humaines
Source : Effectif, volume 7, numéro 3, juin / juillet / août 2004