Vous lisez : Les défis en contexte de regroupement d'entreprises

Les fusions et acquisitions d'entreprises font désormais partie des préoccupations relatives aux stratégies d'affaires et de croissance des entreprises. Ces transactions s'inscrivent généralement dans une volonté d'améliorer la présence globale et les parts de marché, en consolidant ou en diversifiant les activités d'une entreprise.

Certains aspects de la rémunération sont trop souvent négligés, tant à l'étape du contrôle préalable qu'au premier jour de la transaction. Ces aspects, comme nous le verrons, peuvent faire une différence notable entre une simple transaction financière et un réel succès d'entreprise. Les deux cas présentés ci-dessous sont réels et démontrent les difficultés soulevées lorsque les questions d'ordre stratégique surviennent une fois l'entente conclue.

Premier cas

L'entreprise A acquiert l'entreprise B, cette dernière étant particulièrement rentable. Avec l'harmonisation des pratiques de rémunération, on se rend compte rapidement que la rentabilité de l'entreprise B est largement influencée par une politique salariale conservatrice et par le choix de marchés de référence différents de ceux utilisés par l'entreprise acquérante. Comment rétablir la rentabilité initialement recherchée?

Deuxième cas

L'entreprise C acquiert l'entreprise D dans le but d'intégrer complètement leurs activités. Lors de la vérification préalable, on constate que la rémunération globale est comparable dans les deux organisations. Au moment d'harmoniser les pratiques toutefois, on réalise que l'entreprise D, très entrepreneuriale, a un régime de bonis plutôt agressif, qui ne correspond pas à la culture de l'entreprise acquérante. Comment concilier ces pratiques fort différentes?

Bien que chaque transaction soit particulière et mérite d'être analysée dans son contexte unique, notre article vise à éclairer de façon pratique les spécialistes en ressources humaines qui doivent désormais composer avec les nombreux défis qu'occasionnent les regroupements d'entreprises. Nous proposons d'identifier les principaux points à considérer lors de l'harmonisation des pratiques et des processus de rémunération.

Peut-on appliquer une approche « copier-coller » ?

Il est possible de classifier, de façon théorique, les regroupements selon la nature des transactions:

  • A intègre B et devient A+;
  • A se combine à B et donne AB;
  • A et B se fusionnent pour se transformer en C;
  • A acquiert certaines activités de B.

Évidemment, le type de regroupement pourrait théoriquement dicter l'approche adoptée en matière de rémunération: intégration des nouveaux employés au système existant, création d'un nouveau système en prenant le meilleur de chaque monde ou création d'un tout nouveau système mieux adapté à la réalité de la nouvelle entreprise.

Dans les faits, on remarque que chaque situation est unique et qu'il n'existe pas de solution miracle ou clés en main qui dicte l'approche à adopter pour harmoniser les pratiques. En effet, chaque approche doit être élaborée de façon à bien s'adapter à la mission et aux objectifs stratégiques de la nouvelle entreprise. En d'autres termes, elle doit être robuste.

À titre de professionnel de la gestion des ressources humaines, il est essentiel de se poser la question suivante: «Pourquoi l'entreprise fait-elle de telles transactions?» Est-ce que cela fait partie de la stratégie de croissance de l'organisation (ce qui semble être une tendance actuellement)? Si tel est le cas, il vaudrait mieux disposer d'une stratégie de rémunération robuste et flexible qui permettrait d'inclure facilement et sans heurt d'autres employés lors de futures acquisitions.

Quels sont les défis relatifs au design et à la mise en place d'une nouvelle politique de rémunération?

Une nouvelle politique de rémunération engendre nécessairement des changements, qu'ils soient d'ordre financier ou non. C'est à partir de ces changements, entre autres, que les employés portent un jugement sur leur nouvelle situation en se qualifiant de gagnant ou de perdant. Le défi consiste alors à choisir ou à créer une nouvelle approche et à proposer des mesures transitoires qui satisferont chacun des groupes, tout en appuyant la nouvelle culture et les stratégies organisationnelles.

Bien souvent, les décideurs considèrent uniquement les coûts financiers nécessaires au maintien ou à l'absence de certains avantages. Il est cependant important de porter une attention particulière à la charge émotive associée au retrait de certains avantages. À cet effet, pensons par exemple aux « voitures de fonction ». Retirer ce privilège et offrir des bonis supplémentaires ou une allocation de voiture fixe pour compenser la perte occasionnée sont des décisions qui peuvent, à première vue, sembler logiques pour une entreprise ayant une culture entrepreneuriale. Mais dans les faits, une telle mesure ne peut se prendre sans heurt, puisqu'un certain statut est rattaché à l'octroi de ce privilège.

Voici les principaux points auxquels le professionnel de la gestion des ressources humaines doit porter une attention particulière avant de concevoir ou de choisir une politique de rémunération, de façon à assurer une certaine harmonisation des enveloppes de rémunération, des autres avantages, des processus décisionnels et des systèmes.

  • L'harmonisation des enveloppes de rémunération. Les salaires versés pour des emplois de même niveau sont-ils équivalents? Les protections d'avantages sociaux et la part respective des coûts assumés par l'employeur et les employés sont-elles comparables? Quels sont les bonis cibles et sur quelle base sont-ils octroyés (automatiquement ou selon des critères de performance appliqués rigoureusement)? Existe-t-il une politique relative à la voiture de fonction et à qui s'adresse-t-elle? Existe-t-il des régimes d'options d'achat d'actions et, si oui, qui y est admissible et quelle est leur valeur?
  • L'harmonisation des autres avantages. Outre les composantes traditionnelles que l'on retrouve dans l'enveloppe de rémunération, les employés accordent beaucoup d'importance aux avantages qui ne sont pas nécessairement d'ordre pécuniaire. Pensons par exemple aux horaires de travail (horaires flexibles, horaires d'été, etc.), aux diverses politiques concernant les téléphones cellulaires, à l'accessibilité à un ordinateur portable, aux prestations additionnelles pour les congés de maternité et de paternité, aux vacances et congés mobiles, aux remboursements des droits de scolarité, au tarif de remboursement du kilométrage, aux stationnements, à l'octroi des espaces de travail (bureaux ouverts ou fermés), au paiement de la cotisation à l'association professionnelle, aux petites faveurs du type jus et café offerts gratuitement, etc.
  • L'harmonisation des processus décisionnels. Qui prend les décisions et comment sont-elles prises? Quel est le degré d'autonomie et de responsabilité des gestionnaires dans la prise de décisions? Quelles sont les mesures de soutien, de contrôle et d'approbation en place?
  • L'harmonisation des systèmes. Quels sont les systèmes d'évaluation des emplois et de classification? Quelles formes prennent les structures salariales (élargies ou classiques)? Existe-t-il un système de gestion de la performance et, si oui, comment est-il lié à la rémunération? Les employés des deux entreprises ont-il accès aux mêmes maximums d'échelle (point 100 ou 125)? Les échelles sont-elles construites à partir des mêmes marchés de référence?

Finalement, même si la politique de rémunération n'est pas totalement finalisée, les décisions prises concernant l'harmonisation devraient être communiquées le plus rapidement possible aux groupes d'employés concernés par la transaction. Il faut toutefois éviter d'adopter une approche de communication dite « à la pièce », afin que les employés ne perdent pas de vue la perspective globale. En effet, si les employés se voient retirer un avantage auquel ils avaient droit avant la transaction, sans rien recevoir en retour, l'harmonisation risque d'être perçue négativement. Des discussions de « corridor » interminables sont alors à prévoir. Celles-ci envenimeront, sans aucun doute, le climat de travail déjà fragilisé par les changements qu'occasionne le regroupement. « Time is of the essence », dit le diction. Mais dans de telles situations, il est tout aussi vrai de dire: «Timing is of the essence».

Comment et combien les employés sont-il rémunérés?

La façon dont les entreprises impliquées dans la transaction rémunèrent leurs employés en dit long sur leurs valeurs, leurs croyances et leur philosophie de gestion, mais également sur la façon dont l'organisation du travail est structurée. En effet, répondre à la question « comment » les employés sont rémunérés est aussi important que de déterminer « combien » ils sont payés.

L'analyse des facteurs culturels permet de répondre à la question: «comment les employés sont-ils rémunérés?» Voici les facteurs que nous proposons d'analyser et qui ont un impact direct sur le design des nouvelles pratiques de rémunération et les processus afférents.

  • Partage du risque. L'entreprise qui adhère à une philosophie de partage du risque mise sur une plus grande portion de rémunération variable, soutenant ainsi le partage de risque (bonis, commissions et options d'achat d'actions), et ce, sans qu'il y ait nécessairement un maximum prescrit. C'est l'exemple typique des sociétés de fonds privés du capital de risque.
  • Flexibilité. L'entreprise qui fait des affaires dans un cadre flexible conçoit plusieurs programmes ad hoc et une gestion d'exceptions (par exemple des ajustements spéciaux octroyés en raison des pressions du marché, des contributions exceptionnelles ou de participation à des projets critiques), mais moins de politiques formelles et de descriptions d'emplois détaillées.
  • Degré de centralisation. Une entreprise structurée de façon centralisée voit ses politiques et mesures administratives davantage contrôlées et encadrées par un siège social ou un service des ressources humaines, laissant ainsi peu de marge de manœuvre aux gestionnaires dans les prises de décisions relatives aux questions de rémunération (salaire d'embauche, progression salariale, etc.).
  • Accent sur les personnes ou sur les emplois. L'entreprise orientée vers les emplois ne fait que peu de distinctions entre les employés dans sa gestion de la rémunération. Peu de différences sont faites sur le plan des ajustements annuels et des bonis et l'ancienneté (plutôt que la performance) joue un rôle important dans l'attribution des privilèges. Un modèle de gestion axé sur les personnes inclut des pratiques appuyant la gestion des compétences.
Avez-vous aussi pensé…
  • aux obligations de la Loi sur l'équité salariale en contexte de regroupement d'entreprises?
    • Est-ce que l'équité salariale a été réalisée dans chacune des entreprises?
    • Quels sont les impacts de l'intégration de nouvelles catégories d'emplois, d'enveloppes de rémunération différentes, d'échelles salariales de forme et de niveaux différents?
  • à vous prémunir contre les risques de départs des employés clés?
  • à considérer les obligations qui découlent de l'article 45 du Code du Travail pour les emplois syndiqués?
  • à vérifier et à formuler de nouveaux contrats de travail, incluant les clauses de séparation, s'il y a lieu?
  • à la façon de gérer les clauses de droits acquis (grands-pères) et les exceptions de chacun des groupes?
  • à la façon d'harmoniser vos pratiques en matière d'expatriation et de rémunération des dirigeants?
  • à l'importance des communications en général: message, messager, moyens et choix du moment?
  • aux approches à utiliser pour reconnaître l'ancienneté et les pratiques pour lesquelles ce dénominateur est utilisé?
  • à instaurer une «ligne téléphonique ou un courriel info» pour répondre aux préoccupations des employés?

Conclusion

À notre avis, les processus de contrôle préalable abordent trop souvent la rémunération uniquement sous l'angle du «combien». Or, la considération des dimensions autres que celles d'ordre financier doit faire partie intégrante des processus de vérification préalable et se voir accorder un poids tout aussi important lors de la prise de décisions. Somme toute, même si les masses salariales peuvent être comparables mathématiquement, cela ne diminue en rien les enjeux majeurs et les difficultés qui surviendront dès le premier jour suivant la transaction.

Anne-Emmanuelle St-Denis, CRIA est conseillère et Daniel Drolet, CRHA, a.s.a. est conseiller chez Gestion-conseil LORAN inc.

Source : Effectif, volume 7, numéro 1, janvier / février / mars 2004

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