Vous lisez : L'assignation temporaire : rentabilité conditionnelle

Parmi les outils fournis à l'employeur pour lui permettre de gérer les conséquences des lésions professionnelles survenues dans son entreprise, se retrouve le droit pour lui de demander à l'employé que sa lésion professionnelle ne rend pas totalement incapable de tout travail d'utiliser ses capacités résiduelles pour continuer de contribuer aux activités de l'entreprise pendant la période nécessaire à la consolidation de sa lésion. Les dépliants et brochures de la CSST parlent du droit «de l'affecter à une autre tâche en attendant qu'il puisse occuper à nouveau son emploi ou un emploi convenable».

Par contre et malgré son utilité manifeste, il s'agit d'un droit souvent mal compris, mal exploité, résultant fréquemment en la perte des avantages disponibles pour l'employeur et pour le travailleur.

Voici donc un aperçu général des questions touchant la rentabilité (ou présumée rentabilité) de l'assignation temporaire pour les employeurs qui cotisent selon le régime rétrospectif.

L'impact sur les cotisations

L'avantage pratique le plus souvent invoqué en faveur de l'assignation temporaire est sans aucun doute celui ayant trait à la potentielle réduction des cotisations de l'employeur.

Lors d'une assignation temporaire, l'employeur verse lui-même au travailleur le salaire et les avantages liés à l'emploi que ce dernier occupait lorsque s'est manifestée la lésion professionnelle et dont celui-ci aurait bénéficié n'eût été de sa lésion.

Ce faisant, aucune indemnité de remplacement de revenu (IRR) ne sera versée par la CSST ni, par conséquent, imputée par celle-ci au dossier d'expérience de l'employeur. Il est donc exact d'affirmer que l'assignation temporaire permet à l'employeur de réduire les «coûts imputés à son dossier financier». Cependant «coût imputé» n'est pas l'équivalent de «cotisation générée».

En effet, l'importance de la réduction de cotisations pouvant résulter de cette réduction des coûts imputés variera sensiblement selon la nature du régime de tarification auquel l'employeur est assujetti et de divers autres facteurs qui y sont reliés.

Les cotisations générées par les dépenses imputées au régime rétrospectif

La première situation à illustrer (la plus simple et supposée la plus rentable) est celle de l'employeur assujetti au régime rétrospectif, c'est-à-dire celui dont les cotisations au risque sont généralement supérieures au seuil d'assujettissement d'environ 230 000 $ à 235 000 $ requis pour participer à ce régime, si l'on considère les années 2001 à 2003.

Dans le régime rétrospectif, les dépenses d'IRR seront multipliées par un facteur de chargement dont l'importance varie selon le nombre de trimestres de versement d'indemnités, dits «trimestres d'activité», survenant durant les troisième et quatrième années de calendrier après celle de la réclamation. Lorsque tous les facteurs sont considérés (facteur de chargement, facteur d'ajustement ou d'équilibre, facteur additionnel «pour dépenses non imputées», intérêts, etc.), le coût final de chaque dollar d'IRR (jusqu'à concurrence de la limite par réclamation choisie par l'employeur pour l'année de la réclamation) peut ressembler au multiple indiqué au tableau ci-contre en regard du nombre de trimestres d'activité de la réclamation.

Premier exemple : un travailleur gagnant 40 000 $ par année

Un travailleur gagnant un revenu de 40 000 $ par année aura généralement droit à des prestations d'IRR de l'ordre de 25 103 $ par année, soit 90 % de son revenu net retenu (après impôts et autres cotisations diverses).

L'assignation temporaire étant une mesure généralement utilisée au début d'une réclamation plutôt qu'à la fin, il nous semble approprié d'utiliser le facteur de 2,20 applicable aux réclamations de catégorie «inactive» (moins de 2 ans) pour estimer que l'IRR épargné durant une assignation temporaire d'une durée de douze mois (environ 25 103 $) aurait normalement généré approximativement 55 226 $ en cotisations rétrospectives.

Si l'on compare maintenant cette épargne au coût du maintien en poste du travailleur dans le cadre d'une assignation temporaire, il faut tenir compte du fait qu'un travailleur coûte généralement au moins 125 % de son salaire (une estimation plutôt prudente lorsqu'on considère l'ensemble des coûts reliés aux avantages sociaux, aux taxes sur la masse salariale, aux cotisations CSST et autres contributions sociales à la charge de l'employeur). Il faut donc généralement compter environ 50 000 $ de coûts totaux pour affecter temporairement un travailleur gagnant un revenu de 40 000 $ par année.

L'employeur épargne donc 55 226 $ en cotisations rétrospectives, mais au coût d'environ 50 000 $ pour l'assignation temporaire.

Soudain, l'épargne de cotisations que plusieurs croient encore si importante ne semble plus aussi évidente… La structure des facteurs de chargement de la Phase 2 de la réforme de tarification est différente de celle qui était en vigueur de 1990 à 1998 et les résultats sont forts différents lorsque l'on tient compte de tous les facteurs à considérer.

Un deuxième exemple nous permettra de compléter ces premières constatations.

Impact financier de chaque 1 $ retenu* d'une réclamation 2003 si on tient compte des intérêts du rétrospectif
Type de prestation et nombre de trimestres d'activité Facteur de chargement total** Cotisation totale générée par $ retenu* avec intérêts du rétro 2003 à 5 %
Dommages corporels (facteur 0,00) 2,0000 2,28
Décès 2,3000 2,62
Inactive (moins de 2 années) 2,2000 2,51
Active – 2 années + 1 trimestre 2,5500 2,91
Active – 2 années + 2 trimestres 2,9000 3,31
Active – 2 années + 3 trimestres 3,2500 3,71
Active – 2 années + 4 trimestres 3,6000 4,10
Active – 2 années + 5 trimestres 3,9500 4,50
Active – 2 années + 6 trimestres 4,3000 4,90
Active – 2 années + 7 trimestres 4,6500 5,30
Active – 2 années + 8 trimestres 5,0000 5,70
* C'est-à-dire sujet à la limite par réclamation applicable selon le choix de limite établi par l'employeur pour l'année concernée.
** Incluant facteur de chargement pour dépenses non imputées de 2,00 et paramètre C de 1,00, lesquels ne seront déterminés qu'au moment du calcul de l'ajustement définitif, en 2007.

Deuxième exemple : un travailleur gagnant 80 000 $ par année

Un travailleur gagnant 80 000 $ par année doit généralement acquitter des impôts et autres charges sociales d'environ 36 000 $ par année, ce qui lui laisse un revenu net réel d'environ 44 000 $ par année. Cependant, le salaire maximum assurable aux fins des prestations d'IRR de la CSST est de 53 500 $ pour l'année 2003, ce qui produit un revenu net assurable maximum de l'ordre de 37  000 $ et une base d'indemnités maximale d'environ 32 590 $ par année (90 % du revenu net retenu; ainsi l'acceptation d'une assignation temporaire s'avère très rentable pour un tel haut salarié).

Appliquant à nouveau le facteur de chargement de 2,20 établi pour les réclamations de catégorie «inactive» (moins de 2 ans), nous pouvons estimer que l'IRR épargné par une assignation temporaire de douze mois (approximativement 32  590 $) aurait normalement généré environ 71 698 $ en cotisations rétrospectives.

Si l'on compare maintenant cette épargne à l'estimation de coûts totaux d'au moins 125 % du salaire annuel requis de l'employeur pour couvrir l'ensemble des taxes et autres contributions sociales applicables au salaire d'un travailleur actif, nous arrivons à un coût d'environ 100 000 $ pour affecter temporairement un travailleur gagnant un revenu de 80 000 $ par année.

Une fois de plus, un résultat sans doute bien inférieur à ce que plusieurs auraient cru: l'employeur épargne environ 71 698 $ en cotisations rétrospectives, mais au coût d'environ 100 000 $ pour l'affecter temporairement, soit une perte nette de l'ordre de 28 300 $...

Une fois de plus, les résultats sont forts différents lorsqu'on tient compte de tous les facteurs à considérer et, dans ce deuxième exemple, le facteur additionnel à considérer est l'impact du salaire maximum assurable sur l'épargne de cotisations attendue.

Raisons expliquant ces résultats

Ces résultats étonnants résultent principalement du fait que le facteur de chargement pour une réclamation «inactive» n'est que de 2,20 et que ce facteur ne s'applique pas à 100 % du salaire brut, mais bien seulement à 90 % du salaire net que reçoit le travailleur. Évidemment, une affectation temporaire acceptée durant la troisième ou la quatrième année de prestations augmentera le facteur de chargement et, partant, le montant de cotisations épargnées.

D'un autre côté, il ne faut pas négliger de considérer l'ensemble des contributions et des autres charges sociales rattachées au versement d'un salaire. Rappelons que 125 % du salaire brut constitue une estimation pour le moins prudente et qu'une augmentation de ce facteur générera une réduction de la rentabilité pour l'employeur (et un incitatif pour le travailleur d'accepter une affectation temporaire).

Enfin, que l'employeur soit assujetti au régime rétrospectif ou au régime de taux personnalisés, l'assignation temporaire permettra d'éviter l'imputation de la dépense d'IRR pendant la période de l'assignation, mais cette dernière n'aura aucun impact prévisible sur les autres catégories de coûts ou de prestations rattachées à la lésion professionnelle (frais médicaux, indemnités pour dommages corporels, etc.). Le meilleur remède demeurera donc toujours un prompt et durable retour au travail.

Conclusions

Quand le salaire du travailleur dépasse le niveau d'environ 45 000 $ par année, l'épargne de cotisations CSST ne suffit plus à compenser, à elle seule, le coût du maintien d'un travailleur en emploi actif. Pour un salaire annuel de 80 000 $, l'épargne de cotisations de 71 698 $ par année coûte même 100 000 $ à générer…

Contrairement à une perception largement répandue, d'un point de vue strictement financier et ne tenant compte que des coûts directs, le travailleur en assignation temporaire peut donc parfois coûter plus cher au travail qu'en absence d'invalidité.

C'est pour cette raison qu'il ne faut jamais tenir la rentabilité d'une assignation temporaire pour acquise, mais bien toujours s'assurer d'en maximiser l'efficacité en tenant compte d'au moins trois éléments additionnels non négligeables :

  • si la période d'assignation temporaire se situe dans la troisième ou dans la quatrième année de prestations, les facteurs de chargement deviennent alors plus importants et l'épargne de cotisations s'en trouvera augmentée;
  • de façon beaucoup plus significative cependant, le travailleur en assignation temporaire peut (et doit normalement) fournir une prestation de travail, facteur de rentabilité additionnelle;
  • enfin et surtout, la période de consolidation est généralement plus courte pour un travailleur en assignation temporaire que pour un travailleur absent du travail, il s'agit du facteur le plus important.

Un programme complet visant à assurer la rentabilité de l'assignation temporaire tiendra compte et visera donc aussi l'optimisation de plusieurs autres facteurs pertinents puisque, comme le démontre l'exercice précédent, il ne faut pas s'arrêter au seul élément de l'épargne directe de cotisations rétrospectives.

Jacques L. Archambault, CRHA, associé, coordonnateur de l'Équipe de santé et sécurité du travail, Ogilvy Renault

Source : Effectif, volume 7, numéro 1, janvier / février / mars 2004

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